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Abolissons les exemptions de taxes aux églsies, mosquées, synagogues et autres lieux de culte. LAÏCITÉ
8 décembre 1965

La déchristianisation chrétienne
Le Paraclet immanent
de Vatican II 8 décembre 1965.
Clôture par Paul VI du concile Vatican II. Le concile Vatican II (1962-1965) suit d’une vingtaine d’années la chute du Berlin nazi. Une vingtaine d’années pour l’Église catholique, apostolique et romaine, c’est une virgule dans un long texte de deux mille ans qui prend date sur l’éternité. Car l’Église, elle, a le sens des longues durées. Quiconque n’a pas saisi qu’elle inscrivait son existence en regard de la fin des temps ne comprend pas son fonctionnement. Certes, le concile n’est pas une réponse explicite à cette histoire, à l’implication de l’Église officielle dans le soutien aux régimes anticommunistes européens de Mussolini, Hitler, Pétain et Franco, mais tout de même !
Le 25 janvier 1959, moins de trois mois après son arrivée à la tête du Saint-Siège en remplacement de Pie XII qui fut complaisant à l’endroit des fascismes européens, le pape Jean XXIII annonce la tenue d’un concile. Quand il était délégué du Vatican dans la Turquie kémaliste, obligé de s’habiller s’habiller en vêtements civils donc, le futur Jean XXIII, alors cardinal Roncalli, fournissait des visas à des milliers de Juifs pour qu’ils rejoignent la Palestine via la Bulgarie. À l’ouverture de ce concile, un visiteur lui demande ce qu’il attend de cette lourde machine qui permet de décider des affaires de l’Église. L’histoire lui prête cette réponse jamais démentie : « Nous avons autre chose à faire que de jeter des pierres au communisme. » Vatican II, c’est le Mai 68 chrétien.
En écho au silence de Pie XII qui, par anticommunisme, a soutenu les régimes fascistes, tous antisémites, le concile décrète que Juifs et chrétiens sont frères : le Christ était juif, les apôtres aussi. Si, de fait, certains Juifs sont responsables de la mort du Christ, tous les Juifs de l’époque ne le sont pas, encore moins les Juifs ayant vécu les siècles suivants, encore moins, bien sûr, les Juifs contemporains de Vatican II. Le texte conciliaire l’exprime clairement : « L’Église, qui réprouve toutes les persécutions contre tous les hommes, quels qu’ils soient, ne pouvant oublier le patrimoine qu’elle a en commun avec les Juifs, et poussée, non pas par des motifs politiques, mais par la charité religieuse de l’Évangile, déplore les haines, les persécutions et les manifestations d’antisémitisme, qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les Juifs. » Le pontificat de Pie XII, complice de dictatures de droite et de l’exfiltration des criminels de guerre en dehors de l’Europe après 1945 avec l’aide du Vatican, se trouve franchement désavoué.
L’Église associe sa condamnation de l’antisémitisme à celle du racisme. Avec ce concile, le catholicisme n’est plus une affaire de catholiques mais une aventure d’humains. Tous les hommes peuvent aimer cette nouvelle option ; certains catholiques détesteront. Il ne faut plus refuser un seul homme au nom de sa race, de sa couleur de peau ou de sa religion – voire de son absence de religion. C’est le sens de l’œcuménisme qui constitue l’épine dorsale de ce concile. L’époque s’estompe au cours de laquelle l’Église déteste les Juifs, brûle les hérétiques, excommunie les hérésiarques, condamne les sorcières à mort, massacre les gens de couleur dans les pays qu’elle colonise, envoie les athées au bûcher : elle souhaite désormais convertir, amener ou ramener à elle ceux qui se seraient égarés. « L’Église réprouve donc, en tant que contraire à l’esprit du Christ, toute discrimination ou vexation dont sont victimes des hommes en raison de leur race, de leur couleur, de leur condition ou de leur religion. »
Le concile invite des représentants schismatiques d’hier à se retrouver dans le même idéal évangélique pour prier Dieu sans souci d’autre chose que de l’amour du prochain : les protestants (anglicans, luthériens, réformés, évangélistes, méthodistes, quakers), les orthodoxes (arméniens, coptes, syriens, russes exilés), les vieux chrétiens également (c’est ainsi que l’on nomme les croyants de l’Union d’Utrecht qui ont refusé le dogme de l’infaillibilité papale lors de Vatican I), tous sont invités à Rome sans souci des particularités qui leur ont valu d’être déclarés ennemis au cours des siècles par les papes successifs et le Vatican.
Les « frères séparés », comme il est dit lors du concile, doivent bénéficier du même traitement que les non-baptisés avec lesquels il est conseillé au chrétien de se montrer aimant et charitable. Il est loin le temps où les nouveau-nés morts avant d’avoir été baptisés n’avaient droit ni au paradis, à cause du péché originel, ni aux enfers, à cause de l’impossibilité d’avoir commis un péché mortel, mais croupissaient dans les limbes, un lieu en marge de l’enfer. La théologie scolastique qui a inventé cette géographie punitive au XIIIe siècle marque le pas. Les limbes disparaîtront en 2007 par décision d’une Commission internationale de l’Église catholique. Vatican II a rendu possible ce trait de plume qui émancipe l’Église du jour de l’Église de toujours.
Le concile ne s’adresse plus spécifiquement aux chrétiens, mais à la totalité des hommes de la planète. Athées compris. Certes, l’Église ne va pas jusqu’à admettre l’athéisme dont elle propose la généalogie et l’analyse, mais elle invite celui qui ne croit pas « à examiner en toute objectivité l’Évangile du Christ », autrement dit à constater que, sur le fond, quand l’Église « défend la dignité de la vocation de l’homme et rend ainsi l’espoir à ceux qui n’osent plus croire à la grandeur de leur destin », elle n’est pas complètement étrangère aux préoccupations de ceux qui œuvrent pour la même fin, avec d’autres moyens. Jean XXIII est effectivement bien loin de jeter la pierre aux communistes qui partagent avec les chrétiens une passion pour la dignité inscrite dans « le fond secret du cœur humain » (id.). Le compagnonnage entre la gauche et les chrétiens cesse d’être inenvisageable. Donc, il sera bientôt envisagé.
Le temps où l’empereur byzantin Manuel II Paléologue fait savoir à son interlocuteur musulman que l’islam est une religion guerrière et conquérante, cruelle et vindicative, n’est plus. Le concile insiste sur ce qui rapproche les deux religions plutôt que sur ce qui les sépare : chrétiens et musulmans croient en un Dieu unique, créateur du ciel et de la terre, ayant parlé aux hommes ; ils veulent vivre selon les principes de Dieu. Certes, les musulmans ne croient pas que Jésus soit Dieu, mais ils conviennent qu’il est un prophète. De plus, ils invoquent Marie avec piété. Enfin tous attendent le retour de Dieu sur terre et le salut de l’humanité par son retour. Les dévots de Mahomet prient, pratiquent l’aumône et le jeûne. Dès lors, une réconciliation est possible. Le concile décrète donc : « Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le saint concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté » (Nostra aetate, 2).
Même remarque avec les religions qui ne sont pas celles du Livre. Ainsi l’hindouisme, le bouddhisme et « les diverses religions non chrétiennes » qui sont toutes dans le vrai en tant qu’elles sont chacune redevables d’« une certaine perception de cette force cachée qui est présente au cours des choses et aux événements de la vie humaine » (id.). Le concile fait ici fi de sa vieille lutte contre le déisme et ne regarde pas trop à la bouche du cheval. L’hindouisme recourt aux mythes et à la philosophie, à la vie ascétique et à la méditation, le bouddhisme vise l’illumination par le détachement de ce monde, les autres religieux disposent de rites et ont le sens du sacré – tout cela suffit pour que tout ce monde s’embrasse. L’Église qui a lutté toute sa vie contre le relativisme invite au relativisme !
Vatican II donne une place importante aux laïcs – au détriment des clercs, diront quelques-uns dont certains deviendront schismatiques, comme le traditionaliste Mgr Lefebvre. L’Église n’est plus l’Église d’en haut, celle du pape et des cardinaux, des évêques et des prélats, mais l’Église d’en bas, celle que voulait Jésus estimant qu’elle était là où deux personnes se trouvaient réunies en son nom. Les premiers croient en Dieu, mais gèrent leur croyance par la hiérarchie et la transcendance ; les seconds croient au même Dieu, mais par d’autres voies, la démocratie et l’immanence. Les uns s’occupent de l’arrière-monde par leur vocation ; les autres de l’ici-bas via leurs métiers. On peut lire dans Lumen gentium, un texte promulgué le 21 novembre 1964 : « Les laïcs peuvent en outre, de diverses manières, être appelés à coopérer plus immédiatement avec l’apostolat de la hiérarchie. » Et plus loin : « Certains d’entre eux, suivant leurs moyens, apportent, à défaut de ministres sacrés, ou quand ceux-ci sont réduits à l’impuissance par un régime de persécutions, un concours des suppléances pour certains offices sacrés. » Autrement dit, faute de prêtres, un laïc fait l’affaire. Le concile invite ainsi les laïcs à devenir prêtres à leur façon ; paradoxalement, ce sont les prêtres qui deviendront de plus en plus laïcs, au point même de se demander pourquoi rester prêtre quand la vie évangélique suffit.
La pastorale n’est plus une affaire de prêtre et de pasteur, chacun peut le devenir, tout chrétien doit d’ailleurs le devenir. L’annonce du Christ suppose une action évangélique, une pratique, un témoignage par la vie et la parole. « Dans l’accomplissement universel de ce devoir, les laïcs ont la première place [sic]. » Bien qu’ils soient soumis à l’obéissance, comme les clercs chrétiens, ils ont tout de même le droit de donner leur avis sur le fonctionnement de l’Église puisque le concile en fait même un « devoir ». Les clercs ont désormais l’obligation de tenir compte de ce que leur disent les laïcs. Le texte va même plus loin puisque au-delà de l’égalité qu’il y aurait entre clercs et laïcs il inverse même la perspective en estimant que les laïcs sont plus éclairés que les clercs : « Ceux-ci, avec l’aide [sic] de l’expérience des laïcs, sont mis en état de juger plus distinctement [sic] et plus exactement [sic] en matière spirituelle aussi bien que temporelle, et c’est toute l’Église qui pourra ainsi, renforcée par tous ses membres, remplir pour la vie du monde plus efficacement [sic] sa mission. » À Vatican II, le slogan est donc : Tout le pouvoir aux soviets !
Outre la pastorale, les laïcs sont également invités à participer aux rites de l’Église. Dans le décret sur l’apostolat des laïcs, Apostolicam actuositatem, il est en effet question de leur « participation active à la sainte liturgie ». Dans le préambule de Sacrosanctum Concilium (4 décembre 1963), le texte emprunte même au vocabulaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de la Révolution française puisque « le saint concile déclare que la sainte mère l’Église considère comme égaux en droits et en dignité tous les rites légitimement reconnus, et qu’elle veut, à l’avenir, les conserver et les favoriser de toute manière ; et il souhaite que, là où il en estbesoin, on les révise entièrement avec prudence dans l’esprit d’une saine tradition et qu’on leur rende une nouvelle vigueur en accord avec les circonstances et les nécessités d’aujourd’hui ». On appréciera la révision entière, qui suppose un peu d’audace, et l’invitation à l’exercice de la prudence, qui modère et tempère ladite audace, et ce afin que les nécessités d’aujourd’hui, autrement dit la modernité, respectent la saine tradition… L’enfant qui naît du mariage de la carpe moderne et du lapin traditionaliste est tout sauf traditionaliste. Le concile semble ici souscrire à la Constitution civile du clergé. Juifs, protestants, orthodoxes, athées, agnostiques, agnostiques, non-baptisés, hindouistes, bouddhistes, chamanistes ou shintoïstes, animistes ou polythéistes, laïcs, tous les hommes sont frères. Gaudium et spes invite explicitement à vivre en « citoyens du monde ». Avec cet universalisme humaniste, Vatican II tourne le dos à saint Paul au nom de Jésus. Le concile range l’épée du Tarsiote au magasin des accessoires pour lui préférer les vertus évangéliques d’amour du prochain, de pardon des péchés, de communion des saints, de fraternité universelle. Le Christ casqué et armé qui triomphe, de Constantin au pont Milvius à Pie XII en compagnie des dignitaires du IIIe Reich, en passant par saint Bernard de Clairvaux qui prend la tête des croisades, ou Hernan Cortés qui extermine les peuples amérindiens, laisse sa place au Jésus des Béatitudes. Mais les civilisations se bâtissent à l’ombre des épées et non à celle des oliviers.
Jean XXIII s’inscrit dans la droite ligne des annonces faites par Jésus dans son Sermon sur la montagne : il choisit en effet le camp des affligés qu’il veut consoler, des doux auxquels il promet la possession de la terre, des affamés et des assoiffés de justice qu’il veut rassasier, des miséricordieux auxquels il promet la miséricorde, des cœurs purs auxquels il annonce la vue de Dieu, des artisans de paix qui seront appelés fils de Dieu, des persécutés pour la justice à qui il annonce que le royaume des cieux leur appartient, des insultés au nom du christianisme. Avec pareil programme, on ne crée ni ne défend une civilisation, on produit un humanisme. Le Dieu de colère laisse place au Dieu d’amour. Or la colère fait peur et tient les loups à distance alors que l’amour est une évidente promesse de victoire pour ceux qui ont choisi la haine.
Pie XII, qui a tant lancé de pierres aux communistes, avait sur les prêtres ouvriers une théorie particulière ; lui qui n’a pas mis Mon combat d’Adolf Hitler à l’Index, qui n’a pas excommunié Mussolini et Franco, Pétain et Hitler, ou l’un de leurs affidés, alors qu’il a mis Marx à l’Index et excommunié tous les marxistes et les communistes pour cause d’athéisme, a vu dans l’expérience des prêtres ouvriers un oxymore insupportable : selon lui, le prêtre doit être de droite, l’ouvrier est toujours de gauche, comment peut-on être les deux ? Il faut être prêtre sans être ouvrier et l’ouvrier ne sera tolérable et toléré, défendable et défendu qu’en tant qu’il sera catholique. Pie XII condamne donc le mouvement des prêtres ouvriers, effectivement initié par des cathos de gauche dans le sillage du catholicisme social, en 1954.
Les prêtres ouvriers voulaient lutter contre la déchristianisation en milieu ouvrier là où le syndicalisme et le militantisme de gauche emportaient les suffrages prolétariens. Contre le devenir bourgeois du christianisme dans les paroisses, ces hommes de Dieu qui portent le bleu de travail souhaitent porter la parole évangélique parmi les damnés de la terre tout en soutenant leurs combats pour améliorer leur quotidien. Ils estiment que les nourritures célestes et les nourritures terrestres sont indissociables. Ces curés ont connu l’Occupation, la Résistance, la déportation, la collaboration ; ils ont vu leur hiérarchie, Pie XII en tête, prendre le parti des dictatures de droite et condamner le marxisme ; pendant la Seconde Guerre mondiale, dans les camps de prisonniers ou les réseaux de résistance, ils ont fréquenté des êtres de chair et d’os, loin des idées inculquées au séminaire.
Après guerre, ils entrent souvent à la CGT et se font les compagnons de route du PCF dont l’idéologie se trouve alors indexée sur l’URSS. En 1949, Pie XII fait paraître un décret du Saint-Office qui excommunie les communistes et leurs sympathisants. En mars 1950, des prêtres ouvriers soutiennent l’appel de Stockholm initié par des communistes et invitant à renoncer à l’armement nucléaire. Pie XII, lui, n’ignorant pas, bien sûr, Hiroshima et Nagasaki, défend l’usage de la bombe atomique. À Noël 1955, dans un message radiodiffusé, le pape explique que cet arsenal est légitime – il doit être défensif et ne pas occasionner la destruction pure et simple de la planète.
Le Catéchisme de l’Église catholique actuellement en vigueur ne condamne pas la bombe atomique. L’Église condamne un certain usage. « Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants, est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation. » Mais il n’y a pas de condamnation ferme et sans hésiter de la bombe atomique – juste son usage dont l’Église estime donc qu’il n’entre pas dans la catégorie des actes de guerre qui détruisent des villes ou des régions avec leurs habitants… Quand elle est chrétienne, la bombe atomique semble épargner les victimes ! Le « Tu ne tueras point » s’avère un commandement qui souffre d’abondantes exceptions. On comprend pourquoi l’aumônier catholique George Zabelka bénit l’équipage de l’Enola Gay qui part détruire la ville d’Hiroshima… Les prêtres ouvriers, eux, soutiennent la paix et récusent la course aux armements nucléaires. général Ridgway accusé par les communistes d’utiliser des armes bactériologiques en Corée et en Chine, deux prêtres ouvriers sont arrêtés parce qu’ils se trouvent dans le cortège. La manifestation a été violente, elle a causé des morts et le siège du PCF a été perquisitionné. Le secrétaire général du PCF, Jacques Duclos, est arrêté. L’implication des prêtres dans le monde du travail fait tache d’huile : après les usines, ce sont les ports, puis les campagnes qui accueillent des curés travailleurs. Le 1er mars 1954, Pie XII interdit aux prêtres de travailler dans les usines : il met un coup d’arrêt à l’expérience des prêtres ouvriers. Ils étaient une centaine ; la plupart démissionnent ; quelques uns restent et désobéissent.
Vatican II prend le parti de ceux qui ont désobéi ; autrement dit, ici comme ailleurs, le concile désavoue Pie XII. Il semble bien que, sans jamais le dire, Vatican II soit en fait le concile de l’épuration, de la dénazification, de l’apurement des comptes de l’Église qui avait collaboré au nom des chrétiens qui, individuellement, contre leur Église, avaient résisté, n’avaient pas souscrit aux fascismes ni au nazisme, sinon, pour certains, avaient pu, au nom d’un idéal de fraternité avec les petits et les sans-grade communs avec celui des Évangiles, se faire les compagnons de route du marxisme-léninisme. Car, dans Presbyterorum ordinis, l’Église désavoue Pie XII en enseignant que les prêtres vivent au milieu des hommes, semblables aux autres hommes et qu’il leur faut dès lors partager leurs existences avec ces frères. On ne voit plus ce qui distingue le prêtre de celui qui ne l’est pas, le clerc du laïc. Puisqu’ils doivent annoncer la Bonne Nouvelle partout, il ne saurait y avoir de lieu interdit. Dès lors, l’usine et le bateau de pêche, la ville ou la campagne, deviennent les géographies de l’évangélisation. Si le concile rapproche les laïcs des prêtres jusqu’à parfois les confondre, il rapproche également les prêtres des laïcs là aussi jusqu’à les confondre : le laïc qui concélèbre la messe ou le clerc qui tient son poste sur la chaîne se confondent dans une même mission éthique et politique.
Le concile associe tous les prêtres dans une même mission : « Ceux qui se consacrent à un travail scientifique de recherche ou d’enseignement, ceux-là mêmes qui travaillent manuellement et partagent la condition ouvrière – là où, avec l’approbation de l’autorité compétente, ce ministère est jugé opportun – comme ceux qui accomplissent d’autres tâches apostoliques ou ordonnées à l’apostolat. Finalement, tous visent le même but : édifier le Corps du Christ. » Partager la condition ouvrière, la chose se trouve dite, même si le concept de prêtre ouvrier est soigneusement évité.
Les positions de Pie XII en faveur de la guerre et de la bombe atomique se trouvent nuancées. Gaudium et spes aborde ces questions. Le concile prend le parti de la paix contre « la barbarie de la guerre ». Le Christ ayant voulu la paix par son sacrifice, il faut la vouloir, elle est une construction. L’Église opte pour le pacifisme et pour la non-violence, même si la chose se trouve dite avec les précautions jésuitiques de la maison. « Nous ne pouvons pas ne pas louer ceux qui, renonçant à l’action violente pour la sauvegarde des droits, recourent à des moyens de défense qui, par ailleurs, sont à la portée même des plus faibles, pourvu que cela puisse se faire sans nuire aux droits et aux devoirs des autres ou de la communauté. » La violence et la guerre procèdent du péché originel ; la paix est volonté et construction dans l’imitation du Christ. La non-violence s’avère évangélique ; la guerre, contre-chrétienne.
Dans l’ordre jésuitique linguistique, l’expression « armes scientifiques » est préférée à « bombe atomique ». Certes, ces armes intègrent également ce qu’il est convenu de nommer le NBC (nucléaire, biologique, chimique), mais passer sous silence l’arme atomique sous ces termes fait sens. Le concile condamne également la guerre froide, mais cache également la chose à l’aide du même genre de circonlocution : « des guerres larvées (qui) traînent en longueur » (79) ; il fustige également le « recours aux procédés du terrorisme (qui) est regardé comme une nouvelle forme de guerre » (id.).
Le concile condamne absolument le génocide, mais en évitant le terme. Il préfère parler des actions « par lesquelles, pour quelque motif et par quelque moyen que ce soit, on extermine tout un peuple, une nation ou une minorité ethnique : ces actions doivent être condamnées comme des crimes affreux, et avec la dernière énergie. Et l’on ne saurait trop louer le courage de ceux qui ne craignent point de résister ouvertement aux individus qui ordonnent de tels forfaits » (id.). Parmi les presque 3 000 princes de l’Église rassemblés pour ce concile, ceux qui avaient gardé le souvenir de Pie XII ont dû se rappeler que telle n’avait pas été l’opinion du précédent souverain pontife. Décidément, les oreilles ontologiques de Pie XII devaient siffler !
L’Église en appelle au « droit des gens », aux conventions internationales qui obligent à respecter l’humanité dans les conflits que ni la foi, ni la raison, ni l’intelligence n’ont su empêcher. Mais, péché originel oblige, l’Église sait que la guerre est indéracinable. Il faut travailler pour la paix, mais, pour elle, savoir faire la guerre. Elle ne voit pas de contradiction entre le commandement qui interdit de tuer et le fait de tuer, dès lors qu’il s’agit de se défendre. Mais ceux qui agressent ne disent jamais qu’ils agressent, ils prétendent toujours qu’ils répondent à une offense. La non-violence et le pacifisme trouvent ici leurs limites : le concile affirme qu’il ne faut pas faire la guerre, sauf quand il faut la faire. L’Église défend donc ce qui se nomme « la légitime défense »… Face au risque de conflit nucléaire, l’Église n’a rien d’autre à proposer que d’inviter les chefs d’État des puissances belliqueuses à réfléchir avant de commettre un acte qui serait terriblement funeste.
Le concile critique la course aux armements même si, toujours jésuite, il convient que l’équilibre des menaces travaille en faveur de la dissuasion de recourir à l’arme atomique. Il n’a là encore de solution que dans l’invitation à « la réforme des esprits » – dans le sens chrétien bien sûr. On imagine mal qu’à cette époque Kennedy et Johnson ou Khrouchtchev et Brejnev aient été sensibles à réformer leurs esprits. La lecture de cette profession de foi : « la Providence divine requiert instamment de nous que nous nous libérions de l’antique servitude de la guerre » pouvait les faire sourire. En d’autres circonstances Staline disait : « Le Vatican ? Combien de divisions ? » Ce pacifisme d’intention aurait gagné à déboucher sur un pacifisme militant, sur une non-violence devenant culture évangélique et christique – une non-violence concrète universelle pouvait être proposée. Imagine-t-on Jésus déplorant l’arme nucléaire mais s’y résignant pourvu qu’elle se limite à la défensive ? Mais c’était déjà un grand pas que de sortir de l’ornière deux fois millénaire de la guerre juste et de la guerre préventive. Avec Vatican II, la guerre ne devenait légitime que quand elle se faisait défensive.
Vatican II réalisait en effet l’aggiornamento que souhaitait Jean XXIII : les Juifs n’étaient plus le peuple déicide ; les protestants et les orthodoxes priaient finalement le même Dieu que les catholiques et c’est ce qui importait ; les athées, les agnostiques et les non-baptisés cherchaient eux aussi la vérité, de sorte que, même s’ils pouvaient se tromper, ils étaient des compagnons dans le partage d’une commune recherche de vérité ; les hindouistes, les bouddhistes, les chamanistes, les shintoïstes, les animistes, les polythéistes eux aussi pouvaient errer dans le chemin, mais ils ne se trompaient pas de direction, car ils étaient frères eux aussi en rites et en sacré ; les laïcs se distinguaient à peine des prêtres en vertu du principe que tous les hommes sont frères ; les clercs avaient même des leçons à prendre des simples chrétiens qui n’avaient pas mis toute leur vie sous le signe religieux ; les communistes n’étaient pas les ennemis principaux, les prêtres ouvriers avaient raison d’évangéliser à leurs côtés les travailleurs dans les usines, les ports et les campagnes ; les nationalistes et les patriotes avaient tort d’oublier la leçon de l’universalisme chrétien qui invite au cosmopolitisme, à l’amour de son prochain, du plus proche au plus lointain ; la guerre étant inévitable puisque le péché originel s’en trouve à l’origine, il fallait vouloir la paix et la non-violence, sinon se résoudre à la guerre, mais seulement pour se défendre.
Sur chacune de ces questions, c’était un camouflet pour Pie XII, certes, mais aussi, et surtout, pour plus d’un millénaire d’Église catholique, apostolique et romaine. Car, depuis l’empereur Constantin, elle a justifié : l’usage du glaive contre l’adversaire ; le recours aux autodafés des livres non chrétiens ; les pogroms antisémites ; les guerres de Religion contre les protestants ; le massacre systématique et consciencieux des hérétiques ; la multiplication des bûchers contre les athées, les matérialistes, les agnostiques, les déistes, les philosophes, les penseurs ; les ethnocides dans les pays du Nouveau Monde ; la supériorité du clerc sur le laïc ; la haine des idéologies progressistes qui prenaient la défense des travailleurs opprimés ; les régimes fascistes qui représentaient une digue contre le bolchevisme athée et matérialiste qui menaçait débordement ; le génocide des Juifs par les nazis ; la guerre dite juste qui permettait l’attaque dite préventive et qui présentait toute agression comme une défense ; les prêtres ouvriers coupables de sympathies bolcheviques. Ce concile était une bombe.
Pour que le fond soit visible, la forme devait l’être, et ce dans l’église de campagne la plus reculée. Ce qui avait été concocté dans les bibliothèques du Vatican par les théologiens, les cardinaux, les conseillers, les penseurs qui avaient théorisé la chose avant de la formuler… en latin, devait produire des effets aux yeux du catholique pratiquant quand il allait à la messe du dimanche. La liturgie fut donc modifiée et c’est ce qui, aux yeux des pratiquants, fit la démonstration visible que les choses avaient bel et bien changé. Jamais l’idée selon laquelle la forme c’est du fond qui remonte à la surface ne s’est avérée aussi juste.
Un milliard 100 millions de chrétiens dans le monde ont donc vu la liturgie et le rituel de leur Église catholique se transformer afin de… démocratiser le christianisme ! Désormais, cette religion vieille de deux mille ans n’était plus l’affaire d’une aristocratie, d’une noblesse, du sang bleu de la hiérarchie ecclésiastique, des curés et des bonnes sœurs, des moines et des moniales, des évêques et des cardinaux, des bienheureux et des saints, des théologiens et des casuistes, mais celle du peuple des chrétiens, des gens simples, modestes, ignorant la théologie et la patristique, la scolastique et les conciles, la définition exacte de la transsubstantiation ou celle de l’eucharistie. Les subtilités de cette religion complexe disparaissaient au nom d’un discours humaniste qui semblait courir après celui des francs-maçons laïcs ou des philosophes kantiens, des penseurs personnalistes ou des spiritualistes athées.
L’habillage de la messe fut repensé de fond en comble, dans le détail de la musique ou des vêtements, de la langue vernaculaire ou du tutoiement de Dieu, de la mixité de l’assemblée ou de la communion sous les deux espèces, par exemple, mais aussi et surtout, dans la symbolique la plus profonde, dans le sens intime de la topographie du sacré, comme avec la messe effectuée face au public, avec un prêtre qui tourne le dos au tabernacle et s’adresse de face à l’assemblée des fidèles.
L’Église a entretenu avec la musique un rapport très intime : elle avait pour mission, comme tout l’art chrétien, de signifier la vérité de la religion catholique. Il y eut la monodie grégorienne qui était lisibilité et pureté du message chrétien avec une seule ligne mélodique, puis la polyphonie grégorienne avec mélismes et bourdon soutenant la ligne mélodique, une innovation contestée par certains chrétiens à cause de la priorité de la musique sur le texte, ensuite les motets de l’ars nova, la musique sacrée médiévale, le répertoire pour orgue, la cantate luthérienne, l’oratorio baroque qui fait concurrence à l’opéra avec des sujets religieux, les grandes formes comme la messe, le stabat mater, le requiem, les vêpres, les litanies. hymnes prises dans le trésor hymnodique. » Il s’agit en effet de changer « tout ce qui sent la mythologie ou s’harmonise mal avec la piété chrétienne » (93). C’est ainsi que le patrimoine culturel de la musique religieuse classique laisse place aux chansons populaires, au gospel, à ces chansons accompagnées de guitare qui ont fait le bonheur des spectateurs de La vie est un long fleuve tranquille… Une chanson du Top 10, pourvu qu’elle parle d’amour, s’harmonisait alors mieux avec la piété chrétienne qu’un Kyrie grégorien. Vandalisme doux…
La garde-robe du prêtre est mise aux orties. Il s’agit d’en finir avec « la seule somptuosité » dans les vêtements, mais aussi dans les ornements ou les objets du culte. Les dentelles, la soie, le brocart, la pourpre, tout cela disparaît. La soutane est rangée aux magasins des accessoires. Le prêtre est habillé de gris et porte un col romain blanc, mais il peut aussi porter des vêtements civils. La tradition picturale classique des peintures et sculptures qui peuvent se trouver dans l’église depuis plusieurs siècles est augmentée par une iconographie kitsch et saint-sulpicienne avec chromos, peintures de fidèles, photos découpées dans la presse, panneaux d’isorel avec calligraphies naïves, affiches avec dessins innocents et textes ingénus bricolées par les paroissiens. Iconoclasme suave… Le latin, qui fut la langue du concile, reste la langue universelle du christianisme, certes ; mais la langue vernaculaire est préférée afin que le fidèle puisse entendre et comprendre ce qui se trouve dit. Le Pater Noster devient le Notre Père, le Credo, le Je crois en Dieu, l’Ave Maria, le Je vous salue Marie. Mais l’on ne se contente pas de démocratiser le message évangélique en le formulant dans la langue du croyant et non celle de l’Église, on descend du ciel Dieu, Jésus et Marie pour en faire des amis que l’on tutoie : lors de la prière, on ne dit plus que Votre volonté soit faite mais que Ta volonté soit faite, on n’énonce plus Que votre règne arrive, mais Que ton règne arrive. Dieu, Jésus et Marie sont des sans-culottes avec lesquels on peut pratiquer le tutoiement révolutionnaire de l’an II.
Dans un vocabulaire qui fait une fois encore songer à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, on peut lire dans Gaudium et spes : « Toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit sociale ou culturelle, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée et éliminée, comme contraire au dessein de Dieu. » Les femmes doivent pouvoir choisir librement leur mari, travailler, être impliquées dans la cité. On n’ira pas encore jusqu’à leur permettre l’accès à la prêtrise…
Dès lors, l’égalité entre les hommes et les femmes doit être visible : plus question d’une séparation entre le côté droit de l’église et son côté gauche avec la gauche réservée aux femmes parce que connotée négativement pendant que la droite revenait naturellement aux hommes. La misogynie, la phallocratie de l’Église issue du péché originel et de la faute commise par Ève, s’efface dans la mixité des sexes. Hommes et femmes peuvent donc se trouver côte à côte de part et d’autre de la travée centrale de l’église.
La communion qui permettait au prêtre d’offrir directement l’hostie pendant qu’un officiant tenait sous le menton du fidèle une patène destinée à la recueillir en cas de chute laisse la place à un nouveau rituel. On abolit le geste du clerc qui donne au laïc passif, au profit du clerc qui donne à un laïc actif : on lui remet en effet l’hostie consacrée dans la main et c’est lui qui procède à l’intromission dans la bouche. Dès lors, le corps du Christ n’est plus touché par privilège de la fonction par le seul prêtre, mais par le simple croyant. L’eucharistie ainsi modifiée fait de l’homme d’Église un fournisseur de prestation sacrée pendant que l’essentiel, la manducation, devient une affaire purement humaine. Les doigts de la main triviale ont un accès direct à la chair du Christ.
Cette destruction du sacré, ce massacre de la transcendance, cette triviale descente sur terre de la divinité, culminent dans la nouvelle scénographie de la messe. Depuis des siècles, le tabernacle qui contient le Saint-Esprit est enchâssé dans l’autel qui figure au fond du chœur : le prêtre y effectue la messe en regard de ce dispositif sacré. L’officiant revêtu des habits sacerdotaux a donc les fidèles dans le dos parce qu’il se trouve en face du sacré, devant le divin, regardant l’Esprit-Saint, au contact direct de la divinité, dans la vue des hosties consacrées, donc de la présence réelle du corps du Christ. Cet endroit s’avère éminemment symbolique puisqu’il est le lieu du soleil levant, autrement dit, celui d’où viendra le Christ lors du Jugement dernier. Quand le prêtre se tourne vers l’ouest, il se fait l’intermédiaire entre Dieu et ses fidèles, il intercède. Comme les fidèles, il fait face à l’ouest et, dans le mouvement vers Dieu, se trouve plus proche de Lui, plus lointain de la porte qui ouvre sur le monde profane.
Le changement liturgique de Vatican II abolit ce dispositif au profit d’une scénographie nouvelle : un autel est construit dans le chœur, entre l’abside où se trouve l’Esprit-Saint et la nef où prie la foule des fidèles. Cette fois-ci, le prêtre tourne le dos au tabernacle, donc au soleil levant, donc à la venue de Dieu, donc à Dieu lui-même, pour faire face aux hommes qu’il peut dès lors regarder en face et voir. Certes, le prêtre est plus proche de ses ouailles, mais c’est au prix d’une mise à distance de Dieu. Sur le terrain du symbole, de l’allégorie, la chose est terrible : en voulant rapprocher les hommes de Dieu, Vatican II a réalisé exactement l’inverse.
Jean XXIII qui avait convoqué le concile meurt le 3 juin 1963. Un nouveau pape est élu avec les cardinaux présents sur place le 21 juin, Paul VI. L’orientation générale du concile ne s’en trouve pas modifiée. Commencé le 11 octobre 1962, Vatican II se termine le 8 décembre 1965. Il s’était proposé d’endiguer la déchristianisation visible dans l’effondrement des vocations, dans la désaffection des églises du fait même des chrétiens, dans la croyance à la carte d’un grand nombre de croyants, dans le fait que la société se libérait de plus en plus du schéma judéo-chrétien, dans la laïcisation de tous les domaines, dans la montée en puissance du capitalisme consumériste, de l’agnosticisme, de l’athéisme, du matérialisme marxiste.
La civilisation du rock et de la BD, du cinéma et de la télévision, de la boîte de nuit et de la tabagie, de la pilule et du divorce, de l’alcool et des produits stupéfiants, du réfrigérateur et de l’automobile, de la bombe atomique et de la guerre froide, de l’amour libre et des loisirs, de l’argent et des objets, avance en broyant tout sur son passage. Vatican II ne peut rien y faire. Il semble même qu’en ayant voulu être un remède le concile a augmenté la maladie : en faisant de Dieu un copain à tutoyer, du prêtre un camarade à inviter en vacances, du symbolique une vieille lune à abolir, du mystère de la transcendance une plate immanence, de la messe une scénographie décalquant le schéma de l’émission télévisée, du rituel une aventure puisant indistinctement dans le succès des chansons du moment ou dans l’art naïf des croyants les plus allumés, du message du Christ un simple tract syndicaliste, de la soutane un déguisement de théâtre, des autres religions des spiritualités valant bien celle du christianisme, l’Église a précipité le mouvement en avant qui annonçait sa chute.
Dans son homélie du 29 juin 1972, soit moins de dix ans plus tard, Paul VI déplore ce qui est advenu après Vatican II : « Devant la situation de l’Église d’aujourd’hui, nous avons le sentiment que par quelque fissure la fumée de Satan est entrée dans le peuple de Dieu. Nous voyons le doute, l’incertitude, la problématique, l’inquiétude, l’insatisfaction, l’affrontement. On n’a plus confiance dans l’Église » – parole de pape… Puis, plus loin : « On croyait qu’après le concile le soleil aurait brillé sur l’histoire de l’Église. Mais au lieu de soleil, nous avons eu les nuages, la tempête, les ténèbres, la recherche, l’incertitude. Nous prêchons l’œcuménisme, et nous nous séparons toujours davantage les uns des autres. Nous cherchons à creuser des abîmes au lieu de les colmater. Comment cela a-t-il pu se produire ? Une puissance adverse est intervenue dont le nom est le diable, cet être mystérieux auquel saint Pierre fait allusion dans sa lettre. Combien de fois, dans l’Évangile, le Christ ne nous parle-t-il pas de cet ennemi des hommes ! Nous croyons à l’action de Satan qui s’exerce aujourd’hui dans le monde précisément pour troubler, pour étouffer les fruits du concile œcuménique, et pour empêcher l’Église de chanter sa joie d’avoir repris pleinement conscience d’elle-même. » La fumée de Satan qui entre par les fissures ? La lecture de l’Histoire effectuée par le premier des chrétiens paraît bien courte. Si celui qui dirige l’Église catholique mondiale n’a plus, pour comprendre le monde, que le concept de Satan, éculé tout autant que celui de Dieu, c’est que lui aussi il a sombré corps et âme dans l’abîme nihiliste.
Onfray, Michel. Décadence
Chacun connaît les pyramides égyptiennes, les temples grecs, le forum romain et convient que ces traces de civilisations mortes prouvent… que les civilisations meurent – donc qu’elles sont mortelles ! Notre civilisation judéo-chrétienne vieille de deux mille ans n’échappe pas à cette loi.
Du concept de Jésus, annoncé dans l’Ancien Testament et progressivement nourri d’images par des siècles d’art chrétien, à Ben Laden qui déclare la guerre à mort à notre Occident épuisé, c’est la fresque épique de notre civilisation que je propose ici.
On y trouve : des moines fous du désert, des empereurs chrétiens sanguinaires, des musulmans construisant leur « paradis à l’ombre des épées », de grands inquisiteurs, des sorcières chevauchant des balais, des procès d’animaux, des Indiens à plumes avec Montaigne dans les rues de Bordeaux, la résurrection de Lucrèce, un curé athée qui annonce la mort de Dieu, une révolution jacobine qui tue deux rois, des dictatures de gauche puis de droite, des camps de la mort bruns et rouges, un artiste qui vend ses excréments, un écrivain condamné à mort pour avoir écrit un roman, deux jeunes garçons qui se réclament de l’islam et égorgent un prêtre en plein office – sans parler de mille autres choses…