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Antisémitisme chrétien

Jérémie 8:8 - 13s
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Sujet tabou chez les chrétiens, que l’antisémitisme qu’ils ont fondé en accusant les juifs d’avoir tué Jésus. Des écrits de haine à n’en plus finir pour décrire le peuple juif tout entier comme étant déicide. C’est pourtant la vérité et cette vérité n’est pas lointaine. Nous ne parlons pas de l’antiquité, ou encore de l’époque des croisades, mais jusqu’à Vatican deux qui se termine le 8 décembre 1965 où cette haine des juifs fut propagée officiellement. N’allez pas croire que cette haine ait disparu avec la fin de ce concile.

 

Ici un texte de moins de 20 pages qui débute par quelques informations nécessaires sur la Patristique et la scolastique pour entrer ensuite dans le vif du sujet avec un extrait de l’un des nombreux ouvrages de Mischel Onfray le philosophe fils d’un père ouvrier et d’une mère femme de ménage qui s’est fait lui-même à force de lucidité et de franchise face au monde dans lequel nous vivons.

Patristique et patrologie

 

Ces deux termes sont souvent employés indifféremment pour désigner l'étude des auteurs chrétiens de l'Antiquité reconnus traditionnellement par l'Église catholique et les Églises orthodoxescomme « Pères », fondateurs de la théologie chrétienne. Cependant, on peut faire la distinction suivante :

 

•          la patristique est la discipline qui traite de la vie, de l'œuvre et de la doctrine des Pères de l'Église ;

 

•          la patrologie désigne l'ensemble des œuvres des Pères de l'Eglise, et le mot désigne aussi les recueils qui en ont été faits. Ainsi distingue-t-on traditionnellement, d'une part, la patrologie latine et d'autre part la patrologie grecque. La littérature patristique comprend de nombreux genres littéraires (commentaires, homélies, scolies, catenae, etc.) qui se fondent essentiellement sur la Bible, l'« autorité suprême » étudiée dans son sens littéral et historique mais surtout dans son sens spirituel, appelé allégorique

 

Littérature patristique

 

La majorité des textes patristiques dans leurs langues d'origine sont disponibles dans les deux collection majeures de l'éditeur Jacques-Paul Migne, Patrologia Latina et Patrologia Graeca.

 

Dans cette littérature, l'herméneutique patristique se base sur le sens historique et la typologie, mais privilégie surtout l'allégorie qui est conçue comme n'ayant « nul besoin de se fonder sur des faits historiques : il lui suffit de bien servir l'objet qu'elle cache et qu'elle révèle tout à la fois par le biais des représentations ». Les objectifs de l'exégèse historico-critique actuelle, apparue dans un contexte polémique où il fallait répondre aux exigences de scientificité de son époque et garantir une certaine objectivité des résultats, sont ainsi bien différents de ceux de l’exégèse patristique : « la première vise à rendre compte du sens littéral du texte, elle prend donc de la distance historique par rapport à lui, elle sait qu'elle n’est pas contemporaine du texte biblique ; la seconde est une herméneutique de croyants qui abolit la distance historique : le Christ qui parle dans l’Écriture est mon contemporain »

Bref résumé sur la Scolastique

 

La scolastique (du latin schola, ae, « école », issu lui-même du grec σχολή, skolê, qui signifie « arrêt de travail », ou bien « loisir consacré à l'étude ») est la philosophie développée et enseignée au Moyen Âge dans les universités : elle vise à concilier l'apport de la philosophie grecque (particulièrement l'enseignement d'Aristote et des péripatéticiens) avec la théologie chrétienne héritée des Pères de l'Église et d'Anselme. De ce fait, on peut dire qu'elle est un courant de la philosophie médiévale.

 

Le terme de « scolastique », dérivé du terme schola, provient du grec scholê au sens d’oisiveté, de temps libre, d’inactivité, qui – plus tardivement – signifie : « tenir école, faire des cours ». C’est qu’en effet, au Moyen Âge, seuls les religieux avaient la « scholê », c'est-à-dire le loisir d’étudier, laissant aux autres (le clergé séculier, les frères convers, les laïcs…) le soin – réputé subalterne – de s’occuper des affaires matérielles.

 

Une des bases de la scolastique est l'étude de la Bible. Celle des Septante fut traduite de l'hébreu en grec à Alexandrie. L'Ancien Testament fut ensuite traduit de l'hébreu en latin par saint Jérôme, qui révisa également une ancienne version en latin du Nouveau Testament1, ce qui a donné la Vulgate. La Vulgate devient le texte de référence absolu pour les penseurs latins du Moyen Âge. Uniquement accessible aux lettrés, elle est le fondement incontesté des études. Sont aussi soumis à l'étude scolastique l'enseignement officiel de l'Église, notamment les décisions des conciles ; les écrits des saints, tels Saint Augustin, Saint Hilaire, Grégoire le Grand ; les traités attribués à Denys l'Aréopagite, et surtout les quatre livres des Sentences, où Pierre Lombard avait rangé, vers 1150, l'ensemble des données et des problèmes de la foi chrétienne tels qu'ils avaient été déterminés, discutés, compris, par les principaux penseurs de l'Église.

 

La réconciliation entre Aristote, « le divin docteur » et la foi chrétienne passe en particulier par la tentative de résoudre les tensions entre philosophie première (selon Aristote) et théologie, autrement dit entre une métaphysique générale (philosophie première appelée plus tard ontologie, ou ontosophie) et une science de l'être par excellence (plus tard, metaphysica specialis, la théologie).

 

Cette réconciliation avec la philosophie première est présentée dans la Somme théologique de Thomas d'Aquin. Au centre de cet ouvrage, on trouve une théologie de la Création (prima pars : Dieu, la création). La réconciliation est soumise à la hiérarchie augustinienne : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas » citant Is 7,9. Il s'agit avant tout de mieux comprendre la foi chrétienne à la lumière de la philosophie antique. Thomas précise par ailleurs que la philosophie, recherche de la vérité, ne peut présenter de danger pour la religion qui selon lui est la vérité : elle ne peut au contraire qu'y conduire. La philosophie se retrouvera donc in fine au service de la révélation. Les bases que prend Thomas sont les textes sacrés, et donc le travail philosophique de la Somme consiste, au moyen de questions successives, à en débusquer les contradictions apparentes et à les résoudre par une approche qui s'apparente à ce que sera la dialectique de Hegel (en partant évidemment d'autres bases).

Un coup de poing juif dans le visage du Christ

Naissance de l’antisémitisme chrétien Épître du pseudo-Barnabé

 

Alexandrie, vers 130. La patristique est un courant philosophique de presque mille ans passé sous silence par l’histoire officielle de la philosophie. Après les présocratiques et Platon, Aristote et Épicure, Lucrèce et Cicéron, Sénèque et Marc Aurèle, la philosophie tombe dans un trou noir. Certes, on parle bien de saint Augustin, puis de philosophie médiévale, en l’occurrence la pensée scolastique, mais c’est oublier l’incroyable nébuleuse que représente la patrologie grecque et latine forte d’un nombre incroyable de penseurs qui mettent leur intelligence et leur plume au service d’un christianisme d’abord éclaté, éparpillé, moléculaire, ensuite d’un christianisme ramassé, orthodoxe, officiel, institutionnel, molaire, enfin d’un christianisme dominateur et conquérant.

 

Les conciles constituent un instrument idéologique de domination massive : la patristique nourrit leurs débats.

 

L’origine du christianisme est obscure, opaque : il lui faut composer avec un Jésus invisible, incorporel, conceptuel. Ce christianisme primitif doit dire l’indicible, manifester l’ineffable, donner un aspect rationnel à ce qui ne l’est pas, voire à ce qui semble franchement déraisonnable.

 

Par exemple : comment une vierge peut-elle rester vierge et enfanter ? De quelle manière Joseph, le père, peut-il être dit père d’un fils sans en être le géniteur ? Le corps du Christ se trouve-t-il réellement ou symboliquement présent dans l’hostie ? Le péché originel relève-t-il du savoir ou du sexuel ? Quand un veuf se remarie et retrouve sa femme au paradis, puis sa seconde épouse, comment se passent les choses ? De quelle manière peut-on être Père et Fils en même temps, sachant que l’un engendre l’autre et que, pour ce faire, le Père préexiste ? Dieu veut-il tout, y compris le mal, et si oui, pourquoi ? À quoi ressemble le paradis ? Et l’enfer ? Quelles différences entre virginité, chasteté et continence ? Faut-il choisir la voie du célibat ou se marier ? Et pour quelles raisons ? Un officiant du Christ peut-il être marié ? L’âme est-elle une ? Matérielle ou spirituelle ? Survit-elle après la mort ? Si oui, comment ? Faut-il choisir la voie de l’ascèse ? Quel est le sens de la pénitence ? Le péché originel se transmet-il par la chair ou par l’esprit ? Que sont les sacrements ? Combien sont-ils ? Comment organiser l’Église ? À quoi ressemblent les anges ? Qu’est-ce qui distingue anges et archanges, trônes et séraphins ? Faut-il choisir la vie monastique des cénobites ou la vie anachorétique des ermites ? Qu’est-ce que la grâce ? Pourquoi peut-on n’en être pas gratifié ? Quid de la prédestination ? Comment définit-on un dogme ? Qu’est-ce qu’un concile ? Un symbole ? Le Saint-Esprit ? Quels rapports entretiennent raison et foi ? Y a-t-il une bonne façon de lire les Écritures ? A-t-on le droit de représenter le Christ ? Quel est le pouvoir d’un évêque ? D’un cardinal ? Le pape peut-il se tromper ? Comment connaître Dieu ? Quels sont les attributs divins ? Quelle est la nature du Christ ? Que peut-on dire de l’incarnation ? À quoi ressembleront les corps lors de la résurrection des morts ? Qu’est-ce qu’un corps glorieux ? Quelles sont les modalités de la rédemption ? Qu’est-ce qui distingue la grâce sanctifiante et la grâce actuelle, les grâces supérieures et les grâces extraordinaires ? Comment l’Église peut-elle distribuer les grâces ? À quoi servent le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la pénitence, l’extrême-onction ? Que sont les péchés ? Où est le bien ? Et le mal ? Quelles sont les vertus théologales ? À quoi sert la prière ? Qui est appelé au sacerdoce ? Comment l’est-on ? Et autres joyeusetés intellectuelles…

 

La patristique fournit les matériaux des controverses ensuite discutées dans les conciles : elle discute les erreurs sur Dieu et sur le monde chez les gnostiques, dans le marcionisme, le manichéisme, le priscillianisme, le mithraïsme, le panthéisme ; elle soulève les erreurs sur la Trinité commises par les unitariens (qui sont des adoptianistes), les modalistes (qui sont aussi appelés monarchianistes ou patripassianistes), les arianistes (avec des sous-sections d’anoméens, d’homéens, d’homéousiens…), les photinistes, les pneumatomaques ; elle dénonce les erreurs commises sur le Christ, Marie par les docétistes, les aloges, les apollinaristes, les nestoriens, les monophysites, les monothélistes, les antidico-marianites ; elle analyse les erreurs commises sur les images par les iconoclastes ; elle disserte abondamment sur les erreurs commises sur la grâce et les sacrements par les pélagiens, les semi-pélagiens, les prédéterminationistes ; elle met en lumière les erreurs sur l’Église ou la discipline commis par les quartodécimans, les novatianistes, les donatistes, les lucifériens ; elle dénonce les erreurs commises sur les fins dernières des millénaristes, des origéniens ; ou bien encore, elle instruit le dossier de ceux qui commettent des erreurs sur la vie chrétienne, par exemple les encratistes, les montanistes. Cette liste montre qu’il y eut mille et une façons d’être chrétien aux premiers siècles du christianisme.

 

Cette constellation de sectes qui se constituent autour d’une personne (Arien, Marcion, Pélage, Mani, Paul de Samosate, Photius, Caïus, Nestorius, Papias, Origène, Tatien, Eustathe et tant d’autres…) ne saurait constituer une Église sainte, catholique, apostolique.

 

Il faut pour ce faire décider d’une pensée vraie, juste, droite, conforme, l’orthodoxie, et d’une pensée fausse, altérée, corrompue, l’hétérodoxie.

 

L’hérésie nomme ce que l’orthodoxie refuse : elle est tout ce que l’autre n’est pas.

 

Le concile est le lieu où se constitue la vérité de l’Église. Cette vérité n’est jamais que la cristallisation politique des évêques les plus malins, les plus violents, les plus rusés, les plus forts, les plus intrigants, les plus démagogues, les plus dialecticiens, les plus sophistes, les plus retors, souvent aussi les plus riches.

 

Pour lisser la mécanique des passions tristes et des passions humaines, très humaines, le concile décide lui-même que, quand il a pris une décision, il n’a été soucieux de rien d’autre que de la vérité. Il décide un jour que ses décisions ne procèdent pas de la somme des volontés individuelles démocratiquement exprimées mais de l’expression du Saint-Esprit qui, telle la colombe sur la tête du Christ lors de son baptême, descend sur chacun des électeurs au moment de son vote.

 

Dès lors, s’opposer à une décision conciliaire, c’est tout simplement s’opposer au Saint-Esprit, donc à Dieu lui-même.

 

Cette mise aux voix décide des matériaux avec lesquels se constitue la civilisation occidentale. Au cours des siècles, on y décide de ce qu’est un corps chrétien et de ce qu’il doit être selon l’Église – un corps charnel méprisé au profit d’une âme immatérielle ; d’une politique chrétienne théocratique et de sa toute-puissance – une monarchie absolue qui permet la réalisation de la cité de Dieu dans la cité des hommes ; de la complicité du pouvoir spirituel avec le pouvoir temporel – le clergé et la papauté soutiennent les empereurs, les rois, les princes qui les soutiennent ; des rapports  de soumission de la raison à la croyance, de l’intelligence à la foi – la philosophie devient outrageusement la domestique de la théologie ; des relations avec les non-chrétiens qu’il faut convertir ou réduire – légitimation des guerres dites justes et bénédiction des massacres perpétrés au nom du Christ…

 

On rêve quand on découvre que des décisions fondatrices de l’Occident s’effectuent dans des conciles avec peu d’évêques : 18 au concile de Carthage en 253, 14 à Cologne en 346, 12 à Saragosse en 380, 31 à Constantinople en 448 ! Certains évêques illettrés ne savent pas même écrire leur nom ; d’autres ont fait des études qu’on dirait aujourd’hui supérieures et maîtrisent la rhétorique classique. Les uns sont des paysans incultes devenus évêques dans leur campagne ; d’autres des sophistes formés dans une école philosophique.

 

Les débats sont houleux, agressifs, par acclamations ou huées du peuple qui s’invite, des coups sont parfois donnés. Après Constantin, l’or coule à flots, et les hommes de l’empereur distribuent des pièces en quantité pour obtenir la nomination de tel ou tel évêque.

 

Pour le seul Ier siècle, il y eut huit conciles : Hiéraphe en 170, Rome en 196, Éphèse la même année, Palestine également, l’année suivante, 197, Rome, Césarée, Lyon, et le concile d’Afrique en 200.

 

Presque tous concernent la question de la date à laquelle il faut célébrer la Pâque : le dimanche, jour de la résurrection du Christ pour certains qui s’appuient sur des textes et des apôtres ; le 14 de la Lune, quel qu’en soit le jour, pour les autres qui s’appuient sur d’autres textes et d’autres apôtres.

 

Les quatorze évêques réunis lors du concile de Palestine en 196 retiennent le dimanche. Mais le concile d’Asie, à Éphèse, sous Polycarpe, évêque du lieu, refuse cette décision et menace, déjà, de séparer l’Église d’Orient et l’Église d’Occident.

 

À Rome, en 197, le pape Victor veut excommunier les quartodécimans, ceux qui veulent fêter la Pâque le 14 de la Lune.

 

Le concile de Lyon dirigé par Irénée, évêque de la ville, calme le jeu et maintient les quartodécimans dans le giron de l’Église. Deux conciles échappent à ce débat qu’on dira plus tard, et l’on comprend pourquoi, byzantin !

 

Le premier, celui de Hiéraphe en Asie, vers 170, relève de la police intérieure : 26 évêques entourent Apollinaire, l’évêque du lieu, qui souhaite évincer Montan de l’Église. Cet évêque entrait dans des moments de fureur et niait alors l’enseignement des prophètes puis se présentait comme le Saint-Esprit ! Avec deux femmes, il avait fondé la secte des Cataphryges – les montanistes.

 

Le second, le concile d’Afrique, qui réunit des prélats venus d’Afrique et de Numidie, autour d’Agrippa, évêque de Carthage. Cette assemblée décide de ne pas valider les baptêmes célébrés en dehors de l’Église officielle.

 

On comprend qu’une vie tout entière ne suffise pas à démêler l’écheveau patristique dans son ensemble. Trop de noms, trop d’œuvres, trop de débats, trop de discours. Des sermons à foison, des homélies en quantité, des lettres à profusion, des épîtres en veux-tu, en voilà, des traités en nombre. Des centaines de milliers de pages illisibles, incompréhensibles, obscures, absconses.

 

Une liste de noms interminables – de Clément de Rome ou Ignace d’Antioche au Ier siècle, à Jean Damascène ou Théodore Studite vers la fin, au VIIIe siècle. Confusion, pinaillages, arguties, chicanes, subtilités, sophisteries, rhétorique, procédures, ergotages, byzantinisme comme on finira par dire, ce marigot intellectuel et philosophique ne cesse d’étonner : tant d’intelligence mise au service de tant de bêtises, tant de raison perdue, tant de vains débats dans lesquels la pensée délire, le jugement dérape, le discernement disparaît, l’entendement fuit, l’esprit manque, la perspicacité meurt, la réflexion agonise – et ce pendant presque mille ans !

 

On comprend qu’une partie de la philosophie occidentale, la scolastique médiévale et l’idéalisme allemand, la phénoménologie germanique et la French Theory, ait été contaminée par de pareilles divagations… Dans cette jungle patristique, on peut suivre une question afin de voir comment fonctionne cette machine à fabriquer l’idéologie et les vérités institutionnelles.

 

La question juive, pour la nommer dans un vocabulaire postérieur, ne manque pas d’intérêt. Pour que le judéo-christianisme des origines devienne christianisme historique, il lui faut devenir antisémite.

 

Cet antisémitisme se trouve déjà dans le Nouveau Testament, dont la Première Épître aux Thessaloniciens de Paul. De même, il existe un hypothétique moment dans la montée au Golgotha qui donne naissance au mythe du Juif errant. Rappelons que Jésus est juif, Paul également. Tous deux sont circoncis. L’un et l’autre enseignent que la vérité du judaïsme n’est pas dans l’observance pour quelques-uns des rites et coutumes, dont la circoncision, mais dans l’invention de rites et de coutumes pour le futur de tous.

 

Jésus dit être la vérité advenue dont les Juifs disent qu’elle est à venir : l’un dit qu’il est le Prophète annoncé et venu, les autres, que ce Prophète reste à venir. Le judéo-christianisme est donc le nom pris par ceux des Juifs qui « croient en Christ » comme il est dit.

 

On peut imaginer que pareille prophétie constitue une offense pour les Juifs croyants et pratiquants de stricte observance – les pharisiens ou sadducéens, par exemple, qu’on retrouve en permanence dans les Évangiles. Cette offense peut donc expliquer que, parmi les plus zélés des Juifs, ou les plus offensés, certains aient voulu la mort de Jésus ou celle de Paul. « Jésus ne pouvait circuler en Judée, écrit Jean dans son Évangile, parce que les Juifs voulaient le tuer » (7, 1) et que, parlant de Paul, on puisse lire dans les Actes des Apôtres : « Au bout d’un certain temps, les Juifs se concertèrent pour le faire périr » (9,23).

 

Avant la crucifixion, Pilate demande aux Juifs s’ils veulent tuer Jésus ; ceux- là lui répondent qu’ils n’en ont pas le droit, mais qu’ils invitent Pilate, lui, à le faire. Pilate rédige donc l’écriteau « Jésus roi des Juifs » mais les Juifs lui font remarquer qu’il ne l’est pas mais qu’il se dit tel et qu’il faut donc ne pas écrire ce qu’il prévoyait d’écrire.

 

Quand Pilate avertit les Juifs qu’il se lave les mains de cette mort qu’ils réclament, il dit : « “Je ne suis pas responsable de ce sang ; à vous de voir !” Et tout le peuple [juif] répondit : “Que son sang soit sur nous et sur nos enfants !” » (Matthieu, 27, 24-25).

 

Paul quant à lui rapporte : « Cinq fois j’ai reçu des Juifs les trente-neuf coups de fouet » (Deuxième Épître aux Corinthiens 11, 24). De même, alors qu’il est en prison à Rome : « Voulant faire plaisir aux Juifs, Félix laissa Paul en captivité » (23, 26).

 

Quand Jésus meurt sur la croix, Paul affirme clairement que les Juifs ont tué le Christ : « Ce sont ces Juifs qui ont fait mourir le Seigneur Jésus et les prophètes, qui nous ont persécutés, ils ne plaisent pas à Dieu, ils sont ennemis de tous les hommes » (Première Épître aux Thessaloniciens 2, 15).

 

Peuple déicide, peuple haï par Dieu, et surtout peuple ennemi de tous les hommes : comme on dit aujourd’hui, les éléments de langage de l’antisémitisme occidental se trouvent ici posés.

 

L’Église catholique n’abolit cette version des Juifs peuple déicide que sous Jean XXIII, en 1962, avec le fameux concile Vatican II. Entre-temps, il y aura eu presque deux mille ans d’antisémitisme chrétien, et son terrible couronnement par la Shoah.

 

Aux textes néotestamentaires fondateurs de cet antisémitisme s’ajoute l’interprétation d’un étrange moment associé à l’histoire de Jésus. Il est souvent renvoyé à une source évangélique pour expliquer qu’en gravissant le Golgotha Jésus s’arrête devant l’échoppe d’un cordonnier pour se reposer. L’homme le repousse, Jésus lui dit alors : « Je reposerai, mais tu devras errer jusqu’à mon retour. »

 

On dit également que c’est devant le palais de Pilate que Jésus s’arrêta et que son gardien lui dit « Marche, Jésus, dépêche-toi. Pourquoi t’arrêtes-tu ? » avant de lui décocher un formidable coup de poing au visage. Jésus aurait alors dit, variation sur le même thème : « J’y vais, mais tu devras attendre jusqu’à mon retour. »

 

Cordonnier ou concierge de Pilate, ce sont deux Juifs qui refusent le Christ, dont l’un très violemment. Pour ce fait, ils sont damnés et condamnés à errer jusqu’au retour du Christ sur terre, autrement dit jusqu’à la fin des temps.

 

Le mythe du Juif errant, Ahasvérus, s’enracine dans cette histoire. Les livres doctes renvoient à l’Évangile selon Jean (21, 23). Or, ceux qui reprennent cette information sans la vérifier devraient y aller voir de plus près, car, à cet endroit des Évangiles, il est question de Pierre à qui Jésus apparaît après sa mort, mais pas de cette anecdote. Dans aucun autre Évangile il n’est question de cette histoire. Cette légende est tellement légendaire que même son origine prétendument néotestamentaire est légendaire !

 

La légende apparaît chez Matthieu Paris, un moine bénédictin anglais du XIIIe siècle. Rappelons qu’Étienne, premier martyr chrétien auquel Paul, pas encore converti, s’était associé, a été massacré par des Juifs. Il fallait donc que les Juifs, auxquels Jésus volait la vedette messianique, fussent coupables. La patristique construisit le dispositif antisémite occidental. 

 

Tout commence avec l’Épître de Barnabé. Juif lévite originaire de Chypre, Barnabé fut chrétien avant même la crucifixion de Jésus. On lui doit la présentation de Paul aux apôtres de Jérusalem, même chose avec la petite communauté d’Antioche. Il fut également le premier compagnon de route des voyages missionnaires de Paul. Nous sommes donc au Ier siècle de notre ère – sauf pour ceux qui contestent la paternité de ce texte à ce Barnabé et préfèrent parler d’un pseudo-Barnabé qui aurait rédigé son texte à Alexandrie vers 130…

 

Le soussigné Barnabé rédige une homélie, un petit traité apologétique sous forme de lettres, dans lequel il s’adresse à des chrétiens qui restent fidèles à la Synagogue et s’obligent à respecter les règles juives traditionnelles. Pour lui, les prophètes ont annoncé la venue du Messie qui est le Christ ; dès lors, il faut obéir au Christ plutôt qu’aux textes de l’Ancien Testament. Il reproche aux Juifs de n’avoir rien compris au sens allégorique et mystique des textes bibliques.

 

Dieu ne demande pas des sacrifices sanglants, mais un cœur contrit ; il ne souhaite pas le jeûne corporel, mais la pratique de bonnes œuvres ; il n’invite pas à la circoncision de la chair, mais à celle des oreilles et des cœurs ; il n’interdit aucune consommation de viande, mais souhaite qu’on s’écarte des vices signifiés par les animaux impurs.

 

Que les Juifs, dont la spécialité est l’herméneutique, soient considérés par Barnabé comme des gens incapables de comprendre ce qu’ils lisent, faute de disposer de l’intelligence nécessaire pour comprendre les sens cachés, est cocasse ! À la suite de Barnabé, vers 140, Ariston de Pella, originaire de Syrie, est un chrétien qui parle le grec ancien. Il fut peut-être le secrétaire de l’évêque Marc à Jérusalem. On lui doit la Discussion de Jason et de Papiscus au sujet du Christ. Or ce texte a été perdu. Mais comme l’œuvre a été commentée, on sait qu’elle opposait Jason, un judéo-chrétien convaincu, à Papiscus, un Juif alexandrin, qui, persuadé par les arguments de son interlocuteur, finit par se convertir à la religion nouvelle.

 

Le traité de patristique jadis utilisé pour la formation des prêtres français, le Cayré, s’appuie sur Maxime le Confesseur, un moine théologien byzantin du VIIe siècle, pour faire de ce texte « la première apologie composée contre les Juifs » (I, 107).

 

Vers 155, Justin de Naplouse, né en Syrie-Palestine, en actuelle Cisjordanie, est aussi appelé Justin Martyr, pour avoir été décapité vers 165 après un refus de célébrer les idoles. On le nomme également Justin le Philosophe parce qu’il a suivi un enseignement philosophique haut de gamme en son temps. Il est samaritain, autrement dit non juif, non circoncis, mais issu des plus anciens Israélites des territoires de l’époque. Il affirme que la pratique de la philosophie grecque, pythagoricienne, aristotélicienne, stoïcienne, mais surtout platonicienne, l’a préparé à devenir chrétien.

 

En présence de l’exemplarité de la vie d’ascèse, de pauvreté et de dignité des chrétiens qu’il rencontre, Justin se convertit. Il voyage beaucoup, arrive à Rome, ouvre une école de philosophie chrétienne sous Marc Aurèle. Justin et Crescence le Cynique polémiquent sur le sujet : le premier croit que la raison est compatible avec le christianisme ; le second, non.

 

Le préfet de la ville de Rome, qui est stoïcien, estime que Julien le Philosophe est un facteur de troubles dans la cité. Il subit le martyre avec six de ses compagnons – coups de fouet et décapitation. Dans son Dialogue avec Tryphon, un Juif d’Éphèse, Justin, écrit des Juifs : « Mais maintenant encore, en vérité, votre main est levée pour le mal ; car, après avoir tué le Christ, vous n’en avez pas même le repentir ; vous nous haïssez, nous qui par lui croyons au Dieu et Père de l’Univers, vous nous mettez à mort chaque fois que vous en obtenez le pouvoir ; sans cesse vous blasphémez contre lui et ses disciples. »

 

Il y a pour Justin le Philosophe les « Juifs qui croient au Christ », les bons ; et ceux qui n’y croient pas, les mauvais. Justin eut probablement un disciple nommé Miltiade que Tertullien nomme Miltiade le Sophiste. Probablement originaire d’Asie Mineure, il vécut dans la seconde moitié du IIe siècle et écrivit un Contre les Juifs. Il a également publié contre les montanistes et les valentiniens. Eusèbe de Césarée affirme qu’on lui doit également un traité écrit à destination de l’empereur, soit Marc Aurèle, soit son fils Commode, un texte qui aura donc été écrit soit entre 161 et 169, soit entre 176 et 179, pour convertir les puissants au mode de vie chrétien.

 

Toutes ses œuvres ont été perdues. Perdu également le Contre les Juifs écrit par Apollinaire, évêque d’Hiérapolis en Phrygie qui, lui aussi, écrivit une apologie du christianisme envoyée vers 172 à l’empereur philosophe Marc-Aurèle.

 

Perdu aussi la Démonstration contre les Juifs de saint Hippolyte (170/175-235). La liste est longue des Pères de l’Église ayant écrit contre les Juifs présentés comme le peuple auquel on doit la mort de Jésus, du Christ et de Dieu, les trois instances n’en faisant qu’une, malgré les différences sur lesquelles les évêques s’écharpent aux conciles : au IVe siècle, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Athanase d’Alexandrie, Cyrille de Jérusalem, Didyme d’Alexandrie, Basile de Césarée ; au Ve siècle, Astérios d’Anassée, d’Anassée, Épiphane de Salamine ; au VIe siècle, Léon de Byzance ; au VIIe siècle, Maxime le Confesseur, Georges de Pisidie ; au VIIIe, Jean Damascène… Jean dit Chrysostome (344/349-407), autrement dit « Bouche d’or », aurait été formé à la rhétorique par Libanios.

 

Sa jeunesse à Antioche où il est né est libertine – il aime manger, aller au théâtre et assister aux concours d’éloquence juridique. Il rencontre Mélétios à dix-huit ans, puis se fait baptiser. Il devient ermite à Antioche puis se consacre à l’exégèse et à la théologie. Il devient diacre, prêtre, prédicateur, écrit beaucoup, donne des conférences très courues avec un nombreux public. Il devient évêque à Constantinople et s’y fait remarquer par sa rudesse, son austérité et son goût pour l’ordre moral : il chasse des évêques, destitue des prêtres, il reconduit au monastère les moines mendiants sortis de la clôture. Il prend ses repas seul et refuse toute ostentation. Il impose son austérité à son entourage, à ses prêtres et aux autres dignitaires chrétiens à qui il reproche leur vie non conforme à l’Évangile. Il attise les haines.

 

Le couple impérial a d’abord ses faveurs, puis il les perd. Il est associé à des affaires qui le discréditent. Contre lui, des évêques obtiennent un concile à la Villa du Chêne près de Chalcédoine. Il perd. Il est destitué, puis condamné. L’impératrice fait une fausse couche, elle y voit un signe divin ; elle fait rappeler Jean Chrysostome.

 

Dans une homélie, il compare la princesse à Hérodiade ; il est exilé en Arménie. Il meurt en exil en 407. Jean Chrysostome a écrit pas moins de huit sermons à la suite contre les Juifs !

 

On y peut lire, par exemple dans ses Homélies : « La Synagogue est un mauvais lieu où afflue tout ce qu’il y a de plus dépravé ; c’est un rendez-vous pour les prostituées et pour les efféminés. Les démons habitent et les âmes mêmes des Juifs et les lieux dans lesquels ils se rassemblent » (13).

 

Ou bien ceci pour dissuader les chrétiens qui vont encore à la Synagogue : « Et si quelqu’un tue ton fils, dis-moi, est-ce que tu supporterais son regard ? L’écouterais-tu s’il te parlait ? Ne le fuirais-tu pas comme un méchant démon, comme le diable lui-même ? Ils ont tué le fils de ton Maître, et tu oserais entrer avec eux dans le même lieu ? Alors que celui qu’ils ont mis à mort t’a honoré au point de te faire son frère et son héritier. Et tu lui fais le même affront que ses meurtriers qui l’ont attaché à la croix, lorsque tu pratiques et observes leurs fêtes, que tu vas dans leurs édifices impies, que tu entres dans leurs portiques impurs et que tu participes à la table des démons. C’est ainsi que je suis amené à appeler le jeûne des Juifs après le meurtre de Dieu. » Il estime que les Juifs sont tout « juste bons à être massacrés » (18) ; il affirme que le devoir de tous les chrétiens consiste à haïr les Juifs (19) ; il déclare que c’est un péché de les traiter avec respect ; il les traite de chiens, de porcs, de boucs, de bêtes sauvages ; il cite Jérémie qui en fait des « étalons bien repus ; chacun d’eux hennit après la femme de son prochain » (5, 8) ; il leur prête les vices des animaux, voraces, goinfres, lubriques ; il invente également un topos antisémite en associant les Juifs à des vices qui leur seraient propres, « cupidité, rapines, trahison envers les pauvres, larcins, trafics de mercantis » ; il affirme que leurs cultes sont grotesques et ridicules et qu’ils sont le prétexte à des beuveries.

 

On ne s’étonnera pas que les nazis aient abondamment cité Jean Chrysostome pour justifier leur entreprise antisémite auprès des chrétiens. Ce Père de l’Église, saint et docteur de l’Église catholique, de l’Église orthodoxe et de l’Église copte, fonctionne en effet comme une pièce majeure du dispositif patristique. Nil d’Ancyre, ou Nil du Sinaï, saint Nil, fut un disciple de Jean Chrysostome. Haut fonctionnaire à Constantinople, il était marié et père de famille quand il fut conquis par la parole de Jean et se sépara de sa femme et de ses deux fils pour mener une vie chrétienne et devenir anachorète sur le mont Sinaï.

 

On trouve également sous sa plume de terribles pages contre les Juifs. Au début du Ve siècle, l’Empire est donc chrétien, Nil écrit : « Ne te laisse pas impressionner par le Juif qui soutient qu’il a été spolié de la Palestine pour d’autres fautes. Car ce n’est pas pour d’autres fautes, c’est à cause du meurtre du Christ qu’il endure des maux incurables » (À Zosarios, 57).

 

L’évêque de Ravenne, Pierre Chrysologue (Chrysologue voulant dire « aux paroles d’or », un surnom dû à son éloquence), saint et docteur de l’Église, ajoute une pièce au dossier de l’antisémitisme chrétien des Pères de l’Église : peuple déicide, incapable de comprendre ce qu’il lit, blasphémateur et agressif, compagnon de route des efféminés et des prostituées, gibier de potence, personnes qui ne méritent pas le respect, individus possédés par le démon, engeance légitimement spoliée de sa terre, elle est aussi nation ressentimenteuse, animée par la jalousie contre Jésus Fils de Dieu (Sermons, 4, PL 52).

 

Pour ce conseiller du pape Léon Ier, la jalousie mène le monde : elle conduit Caïn à tuer son frère Abel tout autant qu’elle a décidé les Juifs à désirer pour elle le succès qu’eut le Christ après la conversion de l’Empire. Ces éléments de langage contre les Juifs, plus que ces arguments, sont repris par d’autres Pères de l’Église : dans ses Poèmes dogmatiques, Grégoire de Nazianze les dit ennemis de Dieu ; dans Sur les proverbes (PG 10). Hippolyte de Rome stigmatise la « servante qui rejette sa maîtresse », autrement dit « la Synagogue qui a tué le Seigneur en crucifiant la chair du Christ » ; dans Sur les psaumes (58, 8), Cyrille d’Alexandrie fait de la synagogue un lieu de débauche et invite au « rejet d’Israël pour ses iniquités » ;

 

dans Sur l’adoration en esprit et en vérité (4, 183) de Cyrille d’Alexandrie, on apprend que Césaire d’Arles pense que « la Synagogue qui a tué le Seigneur est une bête de somme chargée de livres » ;

 

dans Commentaire de l’Évangile concordant, ou Diatessaron (11, 8), Éphrem de Nisibe parle des Israélites comme d’un « vase sans utilité » ; au IVe siècle, l’auteur anonyme des Constitutions apostoliques (2, 61) écrit : « Toi qui marches vers la maison des démons, la Synagogue des assassins du Christ ou l’assemblée des malfaisants, n’as-tu pas entendu cette parole : “j’ai haï l’assemblée des malfaisants” ? » ;

 

saint Jérôme traite les Juifs de serpents, il compare leurs prières et leurs psaumes à des braiments d’ânes ; saint Ambroise dit dans son Commentaire de la Première Épître de saint Paul aux Corinthiens et de Luc IV : « Il y a chez eux la puanteur des crimes », il ajoute que le peuple juif « souille sa prétendue pureté corporelle par les ordures intérieures de l’âme ».

 

À quoi il faut ajouter les diatribes antisémites d’Épiphane, Diodore de Tarse, Théodore de Mopsueste, Théodoret de Cyr, Cosmas Indicapleustès, Athanase le Sinaïte, Synésios, Hilaire de Poitiers, Prudence, Paul Orose, Sulpice Sévère, Guennadi, Venance Fortunat, Isidore de Séville. Etc.

 

Avec Constantin au pouvoir au début du IVe siècle, l’antisémitisme de papier devient un antisémitisme d’État. Le premier nourrit le second. Eusèbe de Césarée, son hagiographe, rapporte les moindres faits et gestes de l’empereur pour les embellir.

 

Dans sa Lettre de Constantin auguste aux Églises au sujet du concile de Nicée qui ouvre sa Vie de Constantin, l’empereur s’exprime ainsi à l’endroit des Juifs : « On a jugé que, pour toutes les Églises, il n’était pas du tout convenable de célébrer la très sainte solennité de Pâques en suivant la coutume des Juifs dont les mains sont souillées par un crime abominable…

 

Que peuvent savoir des hommes qui, après le meurtre du Seigneur et ce parricide, ne se conduisent plus selon la raison, mais sont emportés par des pulsions irrésistibles ? » Puis : « Il importe que nous n’ayons rien de commun avec les parricides qui ont tué le Seigneur. »

 

Et puis ceci, toujours rapporté par Eusèbe : « L’Empereur défendit aux Juifs d’avoir des esclaves chrétiens, car il n’était pas juste que ceux qui avaient été rachetés par le Seigneur soient placés sous le joug de la servitude par ceux qui ont tué les prophètes et le Seigneur. »

 

Au début de son règne, Constantin n’est pas encore chrétien ; en juin 313, il signe un édit de tolérance, l’édit de Milan, qui permet aux Juifs, mais aussi aux chrétiens et aux païens, de pratiquer leurs religions sans aucun problème. Cet édit met fin aux persécutions qui sévissaient depuis des années.

 

En 321, il édicte une loi qui permet aux Juifs d’être dispensés à vie de nomination à la curie – cette nomination obligeait à rendre un culte impérial et aux divinités traditionnelles.

 

En 323, à la mort de Licinius qui régnait sur l’Orient, Constantin reste le seul empereur ; dès lors, il devient chrétien par opportunisme en comprenant que cette idéologie qui affirme que tout pouvoir vient de Dieu s’avère politiquement rentable.

 

Non loin de Grenade, le concile d’Elvire en Espagne se tient sous son règne. Il rassemble 19 évêques, 26 prêtres, des diacres, sans parler du peuple présent et bruyant. Parfois, comme au théâtre ou dans les jeux du cirque, le peuple impose sa loi en huant ou en applaudissant, il force ainsi la main épiscopale – l’Église dit que l’Esprit-Saint l’infuse en pareil moment, elle oublie que l’acclamation populaire compte pour beaucoup et que la démagogie des évêques permet parfois, souvent, d’obtenir le soutien d’une claque entretenue.

 

Ce concile sépare les Juifs des chrétiens : il devient devient désormais impossible pour un Juif d’épouser une chrétienne, idem bien sûr pour une Juive qui cesse de pouvoir épouser un chrétien ; les chrétiens n’ont plus le droit d’abandonner la gestion de leurs biens à des Juifs ; ni les uns ni les autres n’ont désormais la possibilité de commercer ; les Juifs ne peuvent plus accueillir des chrétiens à leur table, pas plus qu’ils n’ont le droit de partager un repas avec eux, chez eux ; les Juifs n’ont pas le droit de bénir le champ des chrétiens.

 

Ce même concile provincial impose l’abstinence sexuelle aux prêtres, excommunie les femmes qui se font avorter et réserve le même traitement aux comédiens, aux acteurs, aux gens de cirque. Variations nouvelles sur le thème de l’amour du prochain…

 

Vers 329, Constantin édicte une loi qui menace de mort par le bûcher les Juifs qui lapideraient ceux des leurs qui deviendraient chrétiens ; en 335, un rappel est effectué en ce sens : interdiction de molester les convertis ; en 329, un semblable châtiment est réservé à ceux « qui se joignent à leur secte impie et participent à leurs groupements séditieux » ; en mars 336, une loi interdit aux maîtres juifs de circoncire leurs esclaves non juifs – au cas où ils le feraient tout de même, les esclaves seraient de fait affranchis et libres.

 

L’édit de Milan se trouve aboli. Dans l’Empire, Constantin impose lourdement les non-chrétiens, dont les Juifs, et octroie d’incroyables privilèges fiscaux aux chrétiens. On imagine combien les exemptions d’impôts contribuent à des conversions massives !

 

Il interdit l’entrée de Jérusalem aux Juifs, sauf le jour où ils commémorent la destruction du Temple ; ils le peuvent alors, mais moyennant le paiement d’un lourd tribut. Des lois interdiront ensuite aux Juifs l’héritage à leurs enfants et petits-enfants convertis ; elles leur imposeront de lourdes charges sociales ; elles leur enlèveront leurs tribunaux spéciaux qui leur permettaient de juger de leurs affaires internes ; elles leur interdiront la fonction publique ; elles réglementeront les détails de leurs sabbats ; elles les obligeront à célébrer la Pâque après que les chrétiens auront fêté la leur.

 

Justin leur interdit la récitation de leurs prières. Les docteurs juifs sont exilés de Judée. Ils sont condamnés à mort s’ils enseignent. Ils sont contraints à cuire leur pain le jour du sabbat, jour où toute activité est interdite par leur foi.

 

Sous Théodose, on brûle des synagogues… Le judéo-christianisme est donc devenu chrétien en se faisant antisémite.

 

S’il fallait souscrire à cette idée que, depuis la nuit des temps, une société ou une civilisation se fondent toujours avec un sacrifice qui fait couler le sang, c’est du sang juif qu’il faudrait alors parler pour envisager la fondation de la civilisation judéo-chrétienne – donc chrétienne.

 

Jésus est juif, ses parents le sont aussi, Paul est juif, les disciples du Christ l’étaient également. Il leur aura donc fallu retourner le couteau qui servait à la circoncision contre la poitrine de leurs semblables pour que le sang juif arrose la civilisation chrétienne dans un bain qui n’a cessé pendant près de deux millénaires : de saint Augustin qui veut les condamner à l’errance et à l’humiliation pour montrer le triomphe de l’Église sur la Synagogue, à Martin Heidegger, lui aussi catholique, qui lâche la bride à son antisémitisme dans ses Cahiers noirs, l’antisémitisme a partie liée avec le christianisme. 

 

Quel catholique du XXe siècle a écrit ceci du Juif : « Sa vie n’est que de ce monde et son esprit est aussi profondément étranger au vrai christianisme que son caractère l’était, il y a deux mille ans, au grand fondateur de la nouvelle doctrine. Il faut reconnaître que celui-ci n’a jamais fait mystère de l’opinion qu’il avait du peuple juif, qu’il a usé, lorsqu’il le fallut, même du fouet pour chasser les marchands du Temple du Seigneur cet adversaire de toute humanité, qui, alors, comme il le fit toujours, ne voyait dans la religion qu’un moyen de faire des affaires. Mais aussi le Christ fut pour cela mis en croix » ? Un certain Adolf Hitler, dans Mon combat. L’antisémitisme des chrétiens primitifs fut la condition de l’émergence de la civilisation chrétienne ; l’antisémitisme des nazis, qui ne furent pas antichrétiens, et pour lesquels le pape Pie XII avait quelque faiblesse, est l’un des signes de la fin de cette civilisation.

 

Onfray, Michel. Décadence

Onfray, Michel. Décadence Flammarion.

Chacun connaît les pyramides égyptiennes, les temples grecs, le forum romain et convient que ces traces de civilisations mortes prouvent… que les civilisations meurent – donc qu’elles sont mortelles ! Notre civilisation judéo-chrétienne vieille de deux mille ans n’échappe pas à cette loi.

Du concept de Jésus, annoncé dans l’Ancien Testament et progressivement nourri d’images par des siècles d’art chrétien, à Ben Laden qui déclare la guerre à mort à notre Occident épuisé, c’est la fresque épique de notre civilisation que je propose ici.


On y trouve : des moines fous du désert, des empereurs chrétiens sanguinaires, des musulmans construisant leur « paradis à l’ombre des épées », de grands inquisiteurs, des sorcières chevauchant des balais, des procès d’animaux, des Indiens à plumes avec Montaigne dans les rues de Bordeaux, la résurrection de Lucrèce, un curé athée qui annonce la mort de Dieu, une révolution jacobine qui tue deux rois, des dictatures de gauche puis de droite, des camps de la mort bruns et rouges, un artiste qui vend ses excréments, un écrivain condamné à mort pour avoir écrit un roman, deux jeunes garçons qui se réclament de l’islam et égorgent un prêtre en plein office – sans parler de mille autres choses…

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