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Haine du corps et l'interdit du plaisir

Le vrai christianisme est mort avec Paul de Tarse et sa névrose propagée à l'occident.

Croyez-le ou non, les aberrations chrétiennes que vous allez lire ici,se pratiquent encore aujourd’hui dans plusieurs Églises protestantes évangéliques. Un ascétisme monastique du genre que pratiquaient les ermites, la haine du corps, la haine de la femme, la haine du corps de la femme, jeûne de longue durée, mortifications de toute sorte. Le corps est le mal, l’intestin est le serpent. Il faut se priver, se mortifier, s’humilier et surtout ne pas se faire plaisir en mangeant, en buvant. Tout ça pour « compléter » ce qui manque au sacrifice de Jésusé.

Jérémie 8:8 - 13s
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L’invention du corps mutilé Universalisation d’une névrose

 

Vers 215, Alexandrie,

 

Origène se sectionne les génitoires. Pour le chrétien moyen que sa religion invite à imiter l’anticorps de Jésus ou le cadavre du Christ et pour la chrétienne moyenne que sa foi contraint à ressembler à Marie, Vierge et Mère, comment vivre avec son corps ?

 

Que faire de son sexe et de sa sexualité, de sa libido et de ses désirs ? Puisque Jésus semble n’avoir connu aucun plaisir plaisir sensuel ou sexuel, que le Christ fut un grand cadavre mutilé et sanguinolent, puis que Marie a enfanté sans coucher avec Joseph, que reste-t-il à celui qui embrasse cette foi, sinon à se faire pareil à un cadavre – pour utiliser une expression qui deviendra la devise des jésuites…

 

La loi en matière de sexualité chrétienne se trouve dans quelques versets de sa Première Épître aux Corinthiens, un chef-d’œuvre de névrose personnelle qui a névrosé et névrose encore des millions de chrétiens depuis bientôt deux millénaires.

 

Paul commence ainsi sa harangue misogyne, phallocrate, sexiste et homophobe – s’il faut utiliser du vocabulaire contemporain pour nommer de très vieilles choses. « Pour ce que vous m’avez écrit, il est bon pour l’homme de s’abstenir de la femme. Mais à cause des fornications, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari. Que le mari s’acquitte de son devoir envers sa femme, et pareillement la femme avec son mari. La femme ne dispose pas de son corps, mais le mari. Pareillement le mari ne dispose pas de son corps, mais la femme » (7, 1-4).

 

Paul donne donc son plan : il a pris soin de dire que le corps réel, matériel, charnel, concret, n’existe pas pour lui-même, en lui-même, mais qu’il est pour le Seigneur (6, 14). Forniquer, c’est pécher contre son corps qui est « un sanctuaire du Saint-Esprit » (6 19).

 

Que veut dire forniquer ? Commettre le péché de la chair, autrement dit : avoir une relation sexuelle en dehors de la perspective de la procréation d’un enfant.

 

Où Jésus entretiendrait-il d’un péché de la chair ? Nulle part… Ce que veut Paul, c’est donc une vie dans laquelle il y aura eu autant de relations sexuelles que d’enfants, autant dire une petite dizaine ! Paul enseigne la virginité et, à défaut, pour ceux qui ne pourraient s’y tenir, le mariage dans le cadre étroit de la monogamie, de la fidélité, de la cohabitation, de la reproduction.

 

Le mariage est pour lui un pis-aller. Paul universalise sa névrose : la sexualité ne veut pas de lui, il ne veut pas de la sexualité ; il souhaite alors que l’humanité entière se refuse à ce qui se refuse à lui. « Je voudrais que tous les hommes soient comme moi. […] Je dis aux célibataires et aux veuves : il leur est bon de demeurer comme moi. Mais s’ils ne peuvent se contenir, qu’ils se marient : mieux vaut se marier que brûler » (7, 7-9).

 

Paul veut donc : la virginité ; sinon : le mariage dans la continence. Il invente le devoir conjugal (7, 3) ; il interdit le divorce (7, 10) ; il refuse le remariage (7, 11) ; il conseille le célibat (7, 32) – celui des prêtres s’enracine dans ce commandement, et nulle part ailleurs ; il demande aux parents de garder leur fille vierge (7, 38) ; il déconseille le remariage aux veufs et veuves, sans l’interdire toutefois (7, 39) ; il voue l’adultère aux gémonies (6, 9) ; il déclenche les foudres contre l’homosexualité ; ainsi, dans son Épître aux Romains, « Aussi Dieu les a-t-il livrés à des passions avilissantes : car leurs femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature ; pareillement les hommes, délaissant l’usage naturel de la femme, ont brûlé de désir les uns pour les autres, perpétrant l’infamie d’homme à homme et recevant en leurs personnes l’inévitable salaire de leur égarement » (1, 26-27) – même condamnation dans son Épître à Timothée (1, 10). Dans sa Première Épître à Timothée, Paul essentialise les femmes et estime que, puisque « ce n’est pas Adam qui a été dupé ; c’est la [sic] femme qui, séduite, en est venue à la transgression. Cependant elle sera sauvée par la maternité » (2, 14-15).

 

Cette misogynie d’un homme devient misogynie de l’Église : Ève a péché, pas Adam ; si elle veut se racheter, qu’elle fasse des enfants – avec son mari bien entendu. Paul passe d’une femme, Ève, à toutes les femmes : si l’une est pécheresse, alors toutes sont et seront coupables, et ce pour l’éternité. Il veut que les femmes aient des tenues décentes, qu’elles ne portent pas de tresses, pas de bijoux, pas de perles, pas de vêtements de prix, qu’elles soient soumises et silencieuses (2, 11), elles ne doivent ni enseigner, ni faire la loi à l’homme (2, 12). La Première Épître aux Corinthiens dit les choses clairement : « Le chef de tout homme, c’est le Christ ; le chef de la femme, c’est l’homme » (11, 3). Paul renvoie donc explicitement au péché originel d’Adam et Ève.

 

Et le texte de la Genèse rapporte que le serpent, qui est le diable, Satan, le mal, invite Ève à goûter du fruit de l’arbre défendu qui est « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (2, 17). Ce que Dieu interdit, c’est le savoir, la connaissance, l’intelligence. Le péché que commet Ève est donc de vouloir savoir quand Dieu invite à ne pas savoir pour se contenter de Lui obéir. Ève invente donc l’usage de la raison, le libre examen, l’exercice de la volonté indépendante. Mais nulle part il n’est question dans le texte d’un péché de chair ! Ce que dit la Genèse, c’est qu’Ève a péché en préférant savoir à obéir – elle invente donc la philosophie.

 

Comment donc ce péché, qui est péché de connaissance, devient-il péché de chair ?

 

C’est le concile de Carthage qui décide de la déchéance d’Adam en 418 ; il ajoute que ce péché se transmet de façon héréditaire par la génération ! Le concile d’Orange reprend cette thèse en juillet 529, puis le concile de Trente en 1546 ! Certes, les Pères de l’Église enseignent la transmissibilité du péché originel d’Adam, le premier homme, jusqu’au dernier homme : Irénée de Lyon dans Contre les hérésies (V, 16, 3), Tertullien dans Témoignage de l’âme (3), saint Ambroise dans Apologie du prophète David (II, 12), saint Athanase Memorandum dans Sur la déposition d’Arien (I, 51), saint Basile dans ses Homélies (VIII, 7), Didyme l’Aveugle dans Contre les manichéens (8).

 

Mais aucun ne sexualise le péché originel avant saint Augustin. Dans La Cité de Dieu, Augustin disserte longuement sur le péché originel et le lie, sans qu’il en soit question dans la Genèse, à la concupiscence !

 

Alors qu’il n’était question que de goûter du fruit de l’arbre de la connaissance, Augustin parle d’Adam et Ève en soulignant « la rébellion de leur chair » (14, 18) ! Comment Augustin parvient-il à cette conception ? Nullement par explication, démonstration ou preuve, mais par un glissement subjectif, il assimile tout simplement le serpent au sexe : « J’ai estimé que c’était […] le serpent qui représente le sens corporel », écrit-il dans La Trinité (XII, 20).

 

Puisque saint Augustin a estimé, l’affaire est réglée… Le problème n’est donc plus la connaissance, mais la nudité qui suit le péché originel. Quelles sont donc les modalités de la transmission de ce péché ? Des modalités non pas spirituelles, qui concerneraient l’âme, mais des modalités corporelles qui intéressent l’acte sexuel et tout particulièrement le sperme ! Cette théorie a un avantage théologique certain : puisque Jésus a été conçu sans sperme, il est indemne du péché originel ! Et comme nous avons tous été conçus par du sperme, nous sommes tous pécheurs. La sexualité ne saurait donc être un jeu entre deux corps, mais l’inoculation d’un virus ontologiquement mortel…

 

Cette question est devenue un article de foi. Or, Augustin défend cette thèse parce qu’elle s’oppose à la doctrine de Pélage, un moine britannique qui affirme que le péché commis par Adam ne valait que pour Adam. Cette affirmation simple et de bon sens suppose en effet que chacun soit responsable pour lui-même du bien et du mal qu’il a commis. Pourquoi rendre les descendants d’Adam, jusqu’au dernier des hommes, responsables et coupables d’un forfait qu’ils n’ont pas commis ?

 

Il en va là d’une singulière injustice qui s’apparente à la punition collective pour l’éternité d’un forfait commis par un seul dans un temps donné. Pélage affirmait qu’Adam avait mal agi, certes, mais que chacun disposait d’une liberté lui permettant de ne pas suivre ce mauvais exemple. Augustin estime que Pélage donne trop d’importance à la liberté, pas assez à la grâce. Ce débat sera celui de l’augustinisme pendant des siècles, notamment avec le jansénisme et le protestantisme.

 

La doctrine de Pélage se répand en Afrique où Augustin commence à la combattre : il s’agit pour lui d’assurer son leadership – l’auteur des Confessions fut en effet un personnage autoritaire et opportuniste, violent et carriériste, un « boursier aux dents longues » pour utiliser l’expression de Lucien Jerphagnon, un ambitieux qui abandonne sa concubine pour épouser une riche héritière, un homme qui sait ce qu’il faut faire pour grimper dans la hiérarchie ecclésiastique. Combattre ce qui se met en travers de sa route fait partie du trajet politique de l’évêque d’Hippone. Sur ses terres nord-africaines, la pensée de Pélage lui fait de l’ombre ; il la combat. Et ce combat exige qu’il s’oppose à la doctrine pélagienne concernant le péché originel. Il publie contre les pélagiens ; il les attaque dans des sermons ; il prêche à Carthage en ironiste mordant, en rhéteur habile, en sophiste avéré.

 

La pensée de Pélage fait des disciples jusqu’en Palestine : les pélagiens croient que la perfection peut être une affaire humaine, les augustiniens, non. Des conciles sont diligentés contre les pélagiens. Augustin rédige les canons du concile de Carthage le 1er mai 418 ; le pape lui demande de mettre les évêques d’Afrique du Nord en ordre de marche contre Pélage, ce qu’il fait. Quand il meurt, Augustin réfute toujours le pélagianisme dans un Contre Julien d’Éclane qui reste inachevé. Sa doctrine qui associe péché originel et sexualité, donc qui fait du sexe un péché, impose sa loi jusqu’à ce jour.

 

Paul avait un corps mutilé, il a voulu que ce corps fût un modèle pour tous afin de se sentir moins seul dans sa pathologie ; il y est parvenu grâce en partie à saint Augustin ; l’Église a toujours fait du corps, de la chair, des désirs, des passions, des pulsions, autrement dit de la vie, sa grande ennemie.

 

Notre civilisation s’est construite sur le refoulement paulinien de la chair. Comment faire concrètement pour vivre selon l’ordre chrétien ? Pas de corps, pas de sexe, le désir est coupable, le plaisir aussi. Faut-il renoncer à la sexualité, à toute la sexualité ? Certains répondent oui, ceux qu’on appelle les encratites. Le fondateur de cette secte est Justin de Naplouse. Ses adeptes rejettent le mariage, s’abstiennent de toute relation sexuelle, ne mangent pas de viande, ne boivent pas de vin et, abstèmes, célèbrent l’Eucharistie avec de l’eau. Voilà pourquoi, en grec, on les nomme hydroparastates et en latin aquariens… L’empereur Théodose en fait des hérétiques. Le monachisme n’est pas sans relation avec ce courant qui va de Justin, donc, à la fin du IIe siècle, à sa condamnation impériale à la fin du IVe – ce qui ne suffit pas, semble-t-il, car l’empereur Théodose II dut réitérer la condamnation en 428. Le christianisme pouvait donc être vécu par des laïcs qui avaient une profession dans l’Empire chrétien ; il concernait également de petits groupes qui constituaient des communautés en écho à celle que Jésus faisait avec ses disciples.

 

Les déserts de l’Orient accueillent saint Antoine en Égypte, saint Épiphane en Palestine, saint Éphrem et Aphraate en Syrie orientale, Diodore, Théodore et saint Jean Chrysostome dans la région d’Antioche, saint Basile en Asie Mineure. C’est en Égypte que naît donc le monachisme avec ceux qu’on nomme les Pères du désert. La vie de ces saints a constitué une littérature apologétique abondante.

 

Le monachisme concernait des individus solitaires, les anachorètes, ou des personnes réunies en communauté, les cénobites. Le premier anachorète est saint Antoine qui naît en Égypte vers 250. Il s’est retiré dans les montagnes de Pispir, vers la mer Rouge, avant de s’enfoncer dans le désert où il a vécu jusqu’à sa mort en 356. Cette façon ascétique de vivre le christianisme a donné lieu à de singulières biographies de personnages qui ne savaient que faire pour s’humilier, se mépriser, se déprécier, se faire du mal, mourir de leur vivant, tendre vers le cadavre. On le sait, Origène prend le texte des Évangiles au pied de la lettre et se sectionne les génitoires vers 215 à Alexandrie.

 

Nombre de Pères du désert effectuent des variations sur ce thème, sans aller jusqu’à cette castration physique volontaire, mais en raffinant au-delà de toute saine raison en matière de castration mentale. Certes, il faut se priver de nourritures agréables, de boissons fraîches, de mets sophistiqués, mais il faut surtout salir, souiller, maculer, polluer, contaminer. Le corps doit être martyrisé par ses soins comme celui du Christ le fut par les soldats romains. Ainsi au IVe siècle, en Égypte, avec saint Antoine qui se fait enfermer à l’âge de vingt ans dans un sépulcre pendant plusieurs mois afin de faire ses classes d’anachorète : quand il se sait capable de mener une vie de renonçant, il quitte son tombeau et marche vers le désert en direction d’une ruine romaine infestée de serpents dans laquelle il élit domicile.

 

La vie est frugale : un repas de pain par jour, voire tous les deux jours, un peu d’eau quotidiennement, du sel, rien d’autre ; très peu de sommeil, deux à trois heures par nuit ; l’oraison en lieu et place du sommeil ; quand il s’allonge pour dormir, c’est soit sur une simple natte de joncs tressés, soit à même le sol ; pas de visites. Évidemment, rester dans l’obscurité, ne pas voir le jour, jeûner si rudement, boire si peu, se priver de sommeil, n’être plus en contact avec âme qui vive, déclenche des hallucinations. De là à y voir des manifestations du diable, il n’y a qu’un pas. Antoine entend crier des animaux sauvages qui l’assaillent, ours et léopards, lions et taureaux, des serpents et des scorpions l’attaquent, il semble roué de coups, laminé par le mal et gît au sol pendant de très longs moments. Les fameuses tentations de saint Antoine sont là, nées d’un corps volontairement épuisé. À l’époque, on croit aux démons et aux dieux, au diable et à Dieu, aux esprits mauvais et aux anges : le désert est leur lieu, là où la solitude s’avère la plus grande, tous se déchaînent. Des visiteurs viennent le voir pour un exorcisme, des prières ou des guérisons ; il refuse de les voir ; puis finit par y consentir ; il forme quelques disciples vers 305 – il s’agit de la première communauté monastique chrétienne au monde. C’est en Égypte.

 

Mais la compagnie des hommes lui pèse, il fuit cet afflux de gens dont certains veulent être ses disciples. En 312, il quitte ses ruines et s’enfonce plus encore dans le désert. Il élit une caverne en haut d’une montagne avec une vue sublime sur la mer Rouge. Il a soixante ans. Les bêtes sauvages viennent pour lui nuire ; elles deviennent ses amies. Le ciel est alors plein de visions angéliques, toutes plus délirantes les unes que les autres. Il meurt à cent cinq ans, dit-on, vers 356. Ses disciples l’enterrent dans un lieu secret afin d’éviter le culte qui n’aurait pas manqué d’avoir lieu. La Vie d’Antoine rédigée par Athanase est évidemment un mélange de vérités et de fictions, d’allégories et d’histoires vraies, de symboles et de détails biographiques. Ce genre littéraire se veut édifiant ; il édifie. Des dizaines, puis des centaines, puis des milliers de gens choisissent cette présence au monde qui est renoncement au monde : donner juste à boire et à manger au corps pour qu’il ne meure pas, concéder juste assez de sommeil pour ne pas trépasser de son défaut, quitter le monde mondain des hommes au profit du monde céleste de Dieu, demander puis obtenir de son corps qu’il meure juste assez de son vivant pour mériter, gagner et obtenir un salut éternel auprès d’un Dieu par l’extinction du désir, de la libido, des passions, de la chair. Vouloir être un ectoplasme afin de coïncider le plus possible avec ce concept exsangue nommé Jésus.

 

De la même manière qu’Athanase a rédigé une vie d’Antoine, Jérôme a écrit une Vie de Paul de Thèbes, premier ermite, un autre anachorète d’Égypte. Le seul problème, c’est que cette vie écrite vers 374-379 concerne un homme qui n’a jamais existé dit la critique autorisée. Il n’y a aucune preuve de l’existence de Paul, mais sa vie mythique vaut comme une réalité pour qui veut l’édification. Quel était l’état d’esprit de Jérôme en forgeant cette fable ? Si on lui prête de mauvaises intentions, et il en fut capable quand il s’est agi de salir la mémoire du philosophe Lucrèce, il a pu ainsi contester le fait qu’Antoine ait été le premier ermite, car Paul est censé le précéder exactement selon les mêmes logiques : Antoine part au désert à vingt ans, Paul fait mieux et le rejoint à quinze. Il vit frugalement pendant cent ans dans une ruine jadis occupée par d’anciens faux-monnayeurs où sont restés leurs outils. Il vit près d’un figuier et d’une source, il peut ainsi manger des figues, se confectionner des vêtements et boire juste pour ne pas mourir. Non loin de là vit un reclus dans une caverne ; depuis trente ans il mange un pain d’orge et boit de l’eau boueuse ; un autre vit enfermé dans une citerne et mange cinq figues par jour. Antoine a quatre-vingts ans quand il apprend l’existence de Paul : il n’est donc plus celui qui crée l’anachorétisme mais le disciple d’un plus ancien que lui. Il traverse le désert syrien pour le visiter.

 

Il rencontre un démon à midi, bien sûr, il a la forme d’un hippocentaure. Paul arbore de longs cheveux blancs, il est crasseux et n’a plus que trois jours à vivre. Il meurt alors qu’Antoine était parti lui chercher une tunique pour l’ensevelir. Il le retrouve en position d’oraison. Le sol, trop dur, est impossible à creuser pour faire une tombe. Les animaux sont avec lui : de la même manière qu’un corbeau lui apportait chaque jour un pain, deux lions surgissent de nulle part et creusent une fosse pour qu’Antoine allonge la dépouille de Paul.

 

Si Jérôme n’a pas voulu nuire à Antoine, disons qu’il a créé un mythe, comme avec Jésus, pour édifier et inviter les chrétiens d’Égypte à renoncer au monde en venant vivre une vie d’anachorète dans le désert. De la même manière qu’Antoine invente l’anachorétisme, l’ascèse individuelle et solitaire, Pacôme (286-348) crée le cénobitisme, l’ascèse collective et communautaire. Il apprend auprès d’un maître pendant sept années et lui obéit :  il porte des pierres dans le désert la nuit pour éviter de s’endormir ; le peu de sommeil auquel il consent, il dort debout ; il mange du pain, du sel et des herbes bouillies, mais il y mêle de la cendre pour leur donner mauvais goût ; il prie les bras en croix, sans bouger, pendant des heures ; parfois il se charge les épaules avec des pierres lors de l’oraison ; il s’expose en plein soleil pour prier et s’habille d’un gros manteau de poil pendant les canicules ; il se fait dévorer par une légion de moustiques sans bouger et laisse ses pieds et ses mains enfler, suppurer et pourrir… Version postmortem hagiographique et édifiante du Ve siècle, un ange lui donne la table        des lois du monastère et le décide à concevoir les premières communautés de moines chrétiens. Il crée son premier monastère vers 318. Devant l’afflux, il en ouvre un deuxième. Il va finalement en ouvrir neuf. Quand il meurt à l’âge de soixante-deux ans, lors d’une épidémie de peste, après plus de trente années d’ascèse, entre six et huit mille moines vivent selon l’ordre détaillé dans sa Règle : le jeûne et les mortifications pratiqués en communauté deviennent des occasions de surenchère, il s’agit donc d’inviter à cesser ces rivalités d’orgueil au profit d’une véritable humilité qui suppose des repas dans la frugalité, du travail raisonné, un sommeil assis mais réparateur, du silence pendant les repas, des prières quotidiennes à heures fixes, des vêtements identiques pour tous, l’obéissance à la loi édictée par un moine qui fait office de chef, la répartition des tâches, le respect d’un emploi du temps, la séparation entre moines et moniales, les règles de la clôture, la nature des punitions, les devoirs d’hospitalité à l’endroit des visiteurs, les modalités de l’acceptation d’un moine – humiliations, crachats, refus, épreuves – on lui annonce que sa mère est mourante pour tester l’impassibilité qui prouve la nécessaire mort au monde…

 

À sa mort, le cénobitisme déborde l’Égypte et passe par la Syrie, la Palestine, la Cappadoce, la Grèce et parvient en Occident. Saint Benoît rédige sa Règle pour le monastère du Mont-Cassin, en Italie, à la fin de sa vie, vers 547. Les moines sont dans ce qui va devenir l’Europe au VIe siècle. Il n’y eut pas de limites à cette haine du corps de ceux qui crurent qu’en mourant au monde ils obtiendraient la vie éternelle : refusé trois jours et trois nuits par saint Antoine qui finit par l’accueillir, saint Paul le Simple lui obéit en tressant des nattes toute la journée sous un soleil de plomb avant de les défaire, il s’évertue à ramasser avec un coquillage le miel répandu sciemment par son maître sans qu’il subsiste une trace de poussière ;

 

saint Simoès, lui aussi disciple d’Antoine, baisse ses bras quand il prie afin que ceux qui le verraient ne l’estiment davantage ;

 

saint Isidore vit en haillons et mange les rinçures d’eau de vaisselle et simule la folie par humilité ;

 

saint Éphrem ne mange que des herbes et des racines qu’il broute comme un animal ;

 

saint Jean d’Égypte n’ingère que des graines, comme un oiseau ;

 

David et Adolas vivent à l’intérieur des arbres ;

 

 

saint Maron raffine en choisissant des troncs dans lesquels on trouve de très grosses épines ;

 

David de Thessalonique, lui, vit immobile au sommet de l’un d’entre eux ;

 

saint Jacques habite dans des tombeaux, en compagnie de morts desséchés ou qui tombent en poussière ;

 

saint Thalèle croupit dans une cage où il s’est entravé ;

 

saint Acepsime se couvre de chaînes qui le contraignent à marcher à quatre pattes ;

 

saint Macaire cuit dans un désert de nitre où le soleil a desséché les humains, les bateaux, les animaux, le sol coupe les pieds, il déambule nu dans le désert brûlé le jour transi la nuit, il écrase un jour un moustique qui l’a piqué, pour pénitence, il reste six mois entièrement nu dans un marais où les moustiques transforment son corps en plaie purulente, il met son pain dans une bouteille et ne mange que ce qu’il peut saisir avec les doigts, il aide des voleurs qu’il surprend à le voler, il laisse une jeune fille l’accuser de l’avoir engrossée, il dort dans un tombeau et se fait un oreiller du cadavre ;

 

saint Amoun traverse un demi-siècle en marchant en mangeant cinq olives par jour ;

 

saint Pallade se réfugie dans des terriers où il ne peut être que recroquevillé ;

 

saint Poimen refuse de répondre quand on l’appelle pour éviter le péché d’orgueil ;

 

saint Jean le Petit arrose pendant deux ans un bâton sec dans le désert et va chercher de l’eau à trois kilomètres ;

 

saint Arsène le Romain, qui fut précepteur des enfants de l’empereur Théodose, mange à quatre pattes le pain qu’on lui jette à terre, il boit de l’eau croupie et trouble l’eau fraîche et claire qu’on lui donne avec sa boisson puante, il mange deux prunes et une figue chaque jour, pourvu qu’elles soient pourries ;

 

saint Bessarion Bessarion pleure sans cesse le péché originel ;

 

saint Chenouti grimpe sur une brique et prie jusqu’à ce que les larmes et la sueur l’aient fait fondre ;

 

après avoir vécu au fond d’un puits, saint Siméon le Stylite s’installe pour des années au sommet d’une colonne haute de vingt-cinq mètres ;

 

sainte Marie d’Égypte se prostitue au premier venu ; etc.

 

Où l’on voit que ces hommes et ces femmes ont été faits saints par l’Église catholique qui n’a donc rien vu à redire à tous ces comportements névrotiques.

 

Où l’on constate également que saint Paul a réussi au-delà de ses espérances à universaliser sa névrose.

 

Où l’on saisit enfin que le corps chrétien manifeste sur le mode masochiste le retour du refoulé de l’anticorps de Jésus.

 

Où l’on comprend que l’incarnation est problématique dans le judéo-christianisme.

 

Où l’on conclut que ces corps des Pères du désert ont été les prototypes des corps que le christianisme officiel nous a invités à prendre pour modèles depuis un millénaire et demi – il en reste des traces, évidemment, dans le corps postchrétien de la femme et de l’homme du XXIe siècle occidental.

 

Pas sûr que le Jésus des Évangiles ait trouvé tout cela vraiment très catholique. Quand on n’a pas voué sa vie à Dieu de façon, disons professionnelle, il reste le mariage et la famille dans laquelle il est légitime d’avoir des relations sexuelles afin de faire des enfants.

 

Ceux qui s’appuyaient sur des passages des Écritures qui justifient la virginité et le célibat, l’ascèse et le renoncement, laissent place aux penseurs qui renvoient au « Croissez et multipliez » (Genèse, 1, 22) qui invite à avoir une grande descendance.

 

Si l’on en croit saint Paul, il faut vouloir abolir son corps et le faire souffrir pour en jouir ; si l’on écoute Dieu lui-même, on peut mettre son corps au service de la création – en se reproduisant. Reste que le cadre du mariage reste extrêmement contraignant. Il ressemble également à une machine à faire des anges, non pas en éteignant la flamme du désir, mais en la réduisant au maximum.

 

Plus besoin de s’installer en haut d’une colonne de vingt mètres de haut comme les stylites, on peut arrêter de brouter de l’herbe comme les paissants ou bien cesser de tourner en rond comme les gyrovagues, on peut désormais vivre sous le même toit avec une épouse et une seule avec qui la sexualité est possible et pensable mais seulement dans la configuration d’une famille avec des enfants.

 

Il existe un nombre considérable de réflexions sur le mariage chez les Pères de l’Église. Bien sûr, elles sont diverses et multiples, parfois contradictoires et il faudra, comme toujours, des conciles pour régler définitivement le canon.

 

Dans ses Préceptes, Hermas estime au Ier siècle qu’en cas d’adultère de sa femme le mari ne peut cohabiter avec elle mais qu’il ne peut pas plus divorcer ou se remarier, car le remariage ferait de lui un adultère (IV, I, 4-10), il faut que la coupable se repente et revienne vers son mari.

 

Au siècle suivant, Tertullien publie pas moins de trois textes sur le sujet : dans À ma femme (200-206), il invite son épouse à ne pas se remarier s’il devait lui arriver malheur ; dans l’esprit de Paul, il estime la chasteté supérieure, mais croit que le mariage est désirable, ses liens sont indissolubles et, en cas d’adultère, seule la séparation de corps demeure envisageable ;

 

dans l’Exhortation à la chasteté (208-211), il désapprouve les secondes noces ; dans De la monogamie (217), il réitère ses démonstrations.

 

Dans son Apologie, saint Athénagore défend la chasteté dans le mariage et condamne les secondes noces qu’il définit comme un « adultère décent ».

 

Saint Basile déclare dans Moralia qu’en cas d’adultère ni le coupable ni la victime de ce péché dans le couple ne peuvent se remarier ;

 

dans les Épîtres canoniques, il affine son analyse et permet au mari d’épouser une autre femme s’il a été trompé.

 

Saint Grégoire de Nazianze s’insurge contre pareille tolérance et condamne les deux époux à égalité à ne pas pouvoir envisager un nouveau contrat.

 

Saint Jean Chrysostome publie De la virginité vers 381 pour défendre les thèses de Paul, puis, dans À une jeune veuve, il invite son interlocutrice à ne trouver de consolation que dans la vie spirituelle. Il persiste dans De la persévérance dans le veuvage, écrit vers 380-381, pour déconseiller les noces aux veuves.

 

Cette thèse n’est pas celle de saint Épiphane qui les permet, à saint Grégoire qui les tolère et à saint Basile qui, lui, les punit d’une année de pénitence !

 

Saint Ambroise quant à lui méritera le titre de Docteur de la virginité pour avoir célébré cette vertu dans cinq écrits !

 

Pendant plusieurs siècles, tout est possible : l’anachorète saint Antoine qui s’épuise de faim et de soif après avoir renoncé à toute sexualité, l’évêque marié et père de famille, comme Synésios de Cyrène en Cyrénaïque, le moine de la communauté cénobitique ayant lui aussi éteint toute sa libido, ou bien quelques cas croquignolets : Hormisdas (514-522) marié puis veuf devenu prêtre, puis pape avant que son propre fils Silvère le devienne également ;

 

Adrien (867-872) marié à Stéphanie et père d’une petite fille ;

 

Jean XVII (1003) marié avant d’être élu, père de trois enfants avant d’accéder au trône pontifical, trois fils qui deviendront prêtres ;

 

Clément IV (1265-1268) qui avait deux filles qui sont entrées au couvent ; sans parler des nombreux papes homosexuels…

 

Le concile d’Herfort en 673 décide qu’un chrétien qui quitte sa femme pour adultère ne pourra se remarier sous peine d’adultère puisque le mariage est indissoluble. Mais c’est le concile de Trente au XVIe siècle qui, pressé par le protestantisme, met de l’ordre en la matière : quiconque refuse de dire que le mariage est l’un des sept sacrements de l’Église institué par Jésus-Christ et affirme que c’est une invention des hommes de l’Église est déclaré anathème – par les hommes de l’Église qui ont décidé que leur décision était un sacrement édicté par Jésus-Christ qui n’en a jamais rien dit.

 

Ce même concile interdit la polygamie, déclare le mariage indissoluble, anathématise  quiconque affirme que le mariage est supérieur à la virginité et au célibat, oblige à la publication de bans pour annoncer la cérémonie, interdit rire et bouffonnerie pendant celle-ci et oblige qu’elle ait lieu entre le lever et le coucher du soleil, à jeun.

 

C’est également au cours de ces réunions que l’Église interdit aux futurs mariés d’habiter sous le même toit, une autorisation qui n’est donnée que par la célébration du mariage par un prêtre. On y précise également que toute personne qui veut être mariée selon le rite chrétien doit connaître le christianisme avant que la cérémonie ait lieu.

 

Cette batterie d’interdits et d’obligations n’a jamais été remise en cause. L’Église catholique y souscrit toujours selon les mêmes termes.

 

Le corps mutilé inventé par l’Église ne concerne pas que la sexualité. Il regorge également de prescriptions en matière de nourriture, de boisson, d’alimentation : le péché de gourmandise accompagne le péché de luxure.

 

On l’a vu, Jésus qui est un concept ne mange que du symbole, sa nourriture de prédilection. Un Jésus historique aurait mis sur sa table ce qu’on y trouvait dans la Palestine d’alors : un bourghol aux lentilles avec du poivre et du cumin, des oignons et de l’huile d’olive, une soupe aux lentilles au citron avec des blettes, de la coriandre et des gousses d’ail, des feuilles de mauve revenues à la poêle avec des oignons frits, une épaule d’agneau avec un plat de riz aux aubergines parsemé de pignons et d’amandes mondées, assaisonné avec de la noix de muscade et de la cannelle, un tajine de poisson à la crème de sésame, des falafels (pois chiches, fèves sèches, oignons, ail, persil, coriandre, piment…), un knafa avec semoule et fleur d’oranger, un vin de palmier, une bière locale.

 

Au lieu de cela, les symboles que l’on sait… Pas plus qu’en matière de sexualité Jésus n’a dit ce qu’il fallait ou non manger, comment il fallait l’ingérer et en quelle quantité ! Mais il faut compter compter sur les Pères de l’Église pour ne pas oublier cette formidable occasion de rappeler à tout un chacun au moins trois fois par jour la présence et l’existence de Dieu qui, donc, se trouve dans l’assiette et le verre chrétiens.

 

Le judaïsme interdit un nombre incalculable de choses à manger – pour les mammifères terrestres, oui à ceux qui ruminent et ont les sabots fendus, non aux autres, dont le porc et le lapin ; pour les oiseaux, oui aux oiseaux domestiques, non aux autres ; pour les animaux aquatiques, oui à ceux qui ont nageoires et écailles, non pour les autres, dont crustacés, coquillages, fruits de mer…

 

Mais le christianisme n’interdit rien de particulier. La boisson juive doit être casher, non fabriquée par des non-Juifs ; celle des chrétiens n’obéit à aucune loi. Le christianisme n’interdit donc rien en soi mais réglemente l’usage et interdit que l’absorption de nourriture et de boisson soit l’occasion d’un plaisir.

 

Car, in fine, c’est le plaisir d’être au monde qui pose problème. En regard de la Passion du Christ, toute jubilation est illégitime : pas question de se réjouir dans un funérarium et l’invitation à imiter la Passion qui est identification par la souffrance, voire par la mort, met chacun dans la situation de se trouver dans une morgue étendue aux dimensions de la zone spirituelle concernée.

 

C’est à Évagre le Pontique qu’on doit cette condamnation des plaisirs de la chère. Évagre passe pour le maître de la vie ascétique.

 

Basile le fit lecteur et Grégoire de Nazianze diacre. Il prêche avec succès à Constantinople, mais quitte cette vie pour devenir Père du désert, il a été le disciple de Macaire et a passé dix-sept ans dans le désert. Il vivait comme copiste. Il a beaucoup écrit, mais aucune œuvre de lui n’a subsisté. On lui doit un Contre les suggestions des huit vices principaux dans lequel se trouve sa condamnation de la gourmandise – les autres péchés étant : la luxure, l’avarice, la tristesse, la colère, l’ennui, la vanité et l’orgueil.

 

Il a écrit sur les conditions de la vie monastique et théorisé l’ascèse radicale. Il a mis au point des exercices spirituels destinés à obtenir la purification personnelle faite de lutte contre les tentations.

 

Il prétend bien connaître les démons et leurs techniques ; ainsi le démon de midi qui infuse l’acédie dans le corps du moine. On a fait de lui un précurseur de Pélage au VIe siècle et quatre conciles œcuméniques l’ont condamné. Il est mort à cinquante-quatre ans en 399.

 

Vers 420, Jean Cassien reprend cette liste des péchés capitaux d’Évagre. On lui doit les Institutions cénobitiques, un ouvrage qui codifie la règle monastique. La totalité des monastères d’Occident souscrivent à la liste qui s’inscrit dès lors dans le marbre chrétien. On retrouve dans La Règle de saint Benoît, à la fin du VIe siècle, deux chapitres consacrés à la mesure du manger et du boire : il s’agit d’éviter la satiété pour les solides et l’ivresse pour les liquides, donc, avoir faim en sortant de table et n’avoir bu que le nécessaire, saint Benoît préférant l’eau au vin mais consentant à l’alcool faute de pouvoir convertir les moines à l’eau plate (40,6).

 

Au VIe siècle, le pape Grégoire Ier décrit les cinq manières de commettre le péché de gourmandise : pécher selon le moment, autrement dit manger avant l’heure prévue pour restaurer des forces perdues ; pécher selon la qualité, à savoir rechercher des délices et une meilleure qualité de la nourriture pour le plaisir ;

 

pécher selon les stimulants, en l’occurrence rechercher des sauces et assaisonnements pour le plaisir ;

 

pécher selon la quantité, ce qui veut dire manger plus que ce qui s’avère nécessaire ;

 

pécher selon le désir qui est manger avec trop de désir même si la quantité s’avère raisonnable.

 

Le pape estime que cette façon de pécher est la pire. Chacun aura reconnu des rites et des interdits de table propres à la civilisation judéo-chrétienne : ne pas manger en dehors des repas ; ne pas aspirer à des nourritures raffinées ; ne pas trop manger ; ne pas aimer trop manger ; ne pas vouloir avoir du plaisir en mangeant.

 

À table, on restaure donc des forces perdues, mais il n’est pas question de donner au corps autre chose que de quoi persévérer dans son être. Le dicton qui enseigne qu’il faut « manger pour vivre et non vivre pour manger » procède de cette frugalité exigée par le Vatican.

 

Pas question que le corps ait du plaisir, sous quelque forme que ce soit. Les vices ont été décrétés par l’Église au cours du temps et nullement par Jésus en son temps.

 

Les péchés sont dits capitaux quand ils génèrent d’autres péchés, d’autres vices. Ils sont finalement réduits à sept : l’orgueil, l’avarice, l’envie, la colère, l’impureté, la gourmandise, la paresse ou acédie.

 

Le catéchisme contemporain les reconnaît toujours et n’en a aboli aucun depuis presque un millénaire et demi.

 

La gourmandise relève donc aujourd’hui, au XXIe siècle, de l’interdit signifié dans l’article 1866 de son Catéchisme de l’Église catholique. Nous sommes donc censés vivre comme des contemporains d’Évagre le Pontique, de Jean Cassien, de saint Benoît et de Grégoire Ier…   

 

Onfray, Michel Décadence

Onfray, Michel. Décadence Flammarion.

Chacun connaît les pyramides égyptiennes, les temples grecs, le forum romain et convient que ces traces de civilisations mortes prouvent… que les civilisations meurent – donc qu’elles sont mortelles ! Notre civilisation judéo-chrétienne vieille de deux mille ans n’échappe pas à cette loi.

Du concept de Jésus, annoncé dans l’Ancien Testament et progressivement nourri d’images par des siècles d’art chrétien, à Ben Laden qui déclare la guerre à mort à notre Occident épuisé, c’est la fresque épique de notre civilisation que je propose ici.


On y trouve : des moines fous du désert, des empereurs chrétiens sanguinaires, des musulmans construisant leur « paradis à l’ombre des épées », de grands inquisiteurs, des sorcières chevauchant des balais, des procès d’animaux, des Indiens à plumes avec Montaigne dans les rues de Bordeaux, la résurrection de Lucrèce, un curé athée qui annonce la mort de Dieu, une révolution jacobine qui tue deux rois, des dictatures de gauche puis de droite, des camps de la mort bruns et rouges, un artiste qui vend ses excréments, un écrivain condamné à mort pour avoir écrit un roman, deux jeunes garçons qui se réclament de l’islam et égorgent un prêtre en plein office – sans parler de mille autres choses…

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