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Abolissons les exemptions de taxes aux églsies, mosquées, synagogues et autres lieux de culte. LAÏCITÉ
La guerre juste : juste la guerre.

PUISSANCE
La violence de la religion
La guerre juste : juste la guerre L’« invention exquise » des croisades Abbaye de Clairvaux, 1130-1136.
Saint Bernard, à propos des païens : « La meilleure solution est de les tuer.»
À la louange de la milice nouvelle.
La guerre juste, c’est juste la guerre.
On a peine à imaginer que le Jésus qui invite à pardonner les péchés d’autrui, qui célèbre la douceur et l’amour du prochain, qui invite à la compassion et à la bienveillance, qui prêche l’humilité et la patience, qui condamne ceux qui veulent lapider la femme adultère, qui invite à aimer ses ennemis, qui demande qu’on prie pour ses persécuteurs, ait généré des générations d’hommes qui, se réclamant de lui, ont tué, massacré, pillé, saccagé, ravagé, dévasté, détruit, violé, torturé, décimé, exterminé, assassiné, anéanti, génocidé, ethnocidé.
On le sait, je l’ai dit en amont, il y a tout et le contraire de tout dans le Nouveau Testament – je ne parle pas de la Bible dans sa totalité, car c’est pire… Il y a même matière à justifier la mise à mort.
Je la rappelle, elle conclut la parabole des mines, c’est Jésus qui parle : « Amenez ici mes ennemis, qui n’ont pas voulu que je régnasse sur eux, et égorgez-les en ma présence » (Luc 19, 27).
J’ai également signalé plus tôt qu’Adolf Hitler rendait hommage au Jésus qui chasse les marchands du Temple dans Mon combat.
Sans parler de quelques autres citations extraites des Évangiles qui permettent aux assassins de revendiquer tout autant le Christ comme source d’inspiration que saint François d’Assise qui, lui, refusait d’écraser un moucheron, toujours au nom du Christ.
Hitler a raison, ce qu’il prélève se trouve bien dans les textes, hélas ; François d’Assise aussi, car ce dont il s’inspire pour pratiquer exactement à l’inverse est également dans les mêmes textes !
Avec d’habiles prélèvements, on peut tout faire dire au Christ.
Tout et le contraire de tout.
Mais l’Église lui fit souvent souvent dire une seule et même chose.
Aujourd’hui encore, elle défend la guerre.
Il y eut des hommes et des femmes qui, chrétiens, ont été de vivants exemples de sainteté en construisant toute leur vie sur l’amour du prochain, le pardon des offenses, et ce qui relève du Jésus de paix et d’amour.
Mais il y en eut également qui ont été de terribles chefs de guerre ayant passé au fil de l’épée des millions de gens, des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards.
D’un côté, Bernard de Clairvaux (XIe-XIIe) prêche en faveur de la croisade, la justifie quand il ne l’initie pas, écrit pour inviter aux massacres au nom de Dieu et donne sa pleine puissance à l’ordre cistercien ; de l’autre, François d’Assise (XIIe-XIIIe) parle aux oiseaux, rencontre le sultan d’Égypte Malik al-Kâmil en septembre 1219 dans le but de le convertir, il fonde les frères mineurs, l’ordre des Franciscains, il n’aime pas l’Église et son pouvoir qui le lui rend bien.
François d’Assise, chrétien, prêche la compassion pour tous les animaux sous prétexte qu’ils sont des créatures de Dieu.
En Ombrie, entre Cannara et Bevagna, il délivre un sermon aux oiseaux : « Mes frères les oiseaux, vous êtes tenus d’une grande reconnaissance envers Dieu, et toujours et partout vous avez le devoir de le louer : car il vous a donné la liberté de voler en tous lieux, et un double et triple vêtement, et un plumage aux couleurs délicates, et une nourriture que vous n’avez pas à gagner par votre travail ; le Créateur vous a appris à chanter ; la bénédiction divine vous a multipliés ; Dieu a, dans l’arche, conservé votre race, et c’est à vous qu’il a livré l’élément de l’air. Vous ne semez, ni ne moissonnez, et Dieu vous nourrit ; il vous a donné les fleuves et les sources pour vous désaltérer, les montagnes et les collines, les rochers pour vous réfugier, les arbres élevés pour faire votre nid. Et, bien que vous ne sachiez ni filer ni tisser, il vous fournit à vous et à vos petits le vêtement nécessaire. Il vous aime donc bien, le Créateur, puisqu’il vous a accordé tant de bienfaits. Aussi prenez garde, mes frères les oiseaux, de ne point vous montrer ingrats, mais appliquez-vous à toujours louer Dieu. »
Éloge du moineau chez le franciscain…
L’autre, Bernard de Clairvaux, chrétien lui aussi, écrit dans À la louange de la milice nouvelle (1130-1136) : « Ainsi le chevalier du Christ donne la mort en pleine sécurité et la reçoit dans une sécurité plus grande encore. Ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée ; il est le ministre de Dieu, et il l’a reçue pour exécuter ses vengeances, en punissant ceux qui font de mauvaises actions et en récompensant ceux qui en font de bonnes. Lors donc qu’il tue un malfaiteur, il n’est point homicide mais malicide, si je puis m’exprimer ainsi ; il exécute à la lettre les vengeances du Christ sur ceux qui font le mal, et s’acquiert le titre de défenseur des chrétiens. Vient-il à succomber lui-même, on ne peut dire qu’il a péri, au contraire, il s’est sauvé. La mort qu’il donne est le profit de Jésus-Christ, et celle qu’il reçoit, le sien propre. Le chrétien se fait gloire de la mort d’un païen, parce que le Christ lui-même en est glorifié » (III, 4).
Éloge du soudard chez le cistercien…
Tuer, venger, punir, donner la mort puis enseigner que cette débauche de haine ouvre les portes du paradis et réjouit le Christ, voilà ce qu’est devenu le christianisme issu de Paul, l’apôtre au glaive, et de Constantin, l’empereur aux licteurs.
Justifier la guerre, exalter les vertus du conquérant, célébrer le soldat, faire l’apologie du crime, défendre le meurtre, en appeler au maniement des armes, pourvu que toutes ces exactions s’effectuent au nom de Dieu, voilà une façon pas très catholique d’être chrétien !
À propos des croisades, il écrit : « [Dieu] daigne appeler à le servir, comme s’ils étaient pleins de justice, des homicides et des voleurs, des parjures et des adultères, des hommes chargés de toutes sortes de crimes.
N’est-ce pas là de sa part une invention exquise, et que lui seul pouvait trouver ? » (Lettre 363).
Le crime, une invention exquise ? Comment en est-on arrivé là ?
Tout commence avec le Dieu unique qui n’en supporte pas d’autres et règle le problème par l’extermination de ce qui n’est pas lui : faute de pouvoir tuer les autres dieux, voire l’autre façon de concevoir le même Dieu, on tue ceux qui croient à ces autres dieux ou qui croient autrement que comme il a été décidé qu’il faudrait croire.
L’Ancien Testament regorge d’invitations aux massacres ; les citations s’accumulent qui font de Dieu le Seigneur de la guerre qui donne la victoire à ceux qui combattent en son nom.
Quand les Juifs attaquèrent Jéricho, « ils vouèrent à l’interdit tout ce qui se trouvait dans la ville, aussi bien l’homme que la femme, le jeune homme que le vieillard, le taureau, le mouton, l’âne, les passant tous au tranchant de l’épée » peut-on lire dans Josué (6, 21).
Contre Babylone : « qu’il n’y ait pas de rescapés », dit Jérémie (50, 3).
Contre les habitants de Peqod : « Massacre-les, extermine-les jusqu’au dernier – oracle de Yahvé » (id., 50, 21).
Contre les Cananéens : « Hommes, femmes, enfants, nous n’avons pas laissé de survivants » (Deutéronome 2, 34).
Etc., etc., etc.
Tant que le christianisme a été une secte, autrement dit tant que Constantin n’en a pas fait une religion, les chrétiens, minoritaires et persécutés, sont pacifistes, plutôt antimilitaristes.
Au IIIe siècle, Tertullien explique dans De l’idolâtrie et dans De la couronne du soldat que le soldat effectue des actes illicites pour un chrétien et qu’il faut donc se refuser au métier des armes ; qu’il ne faut pas confondre ce qui revient à Dieu et ce qui revient à César et laisser au second la question de la guerre ; que celui qui doit construire la paix ne saurait se donner à la guerre ; que les actes afférents aux conflits armés, tuer, assassiner, massacrer, torturer, sont totalement prohibés ; qu’on ne saurait faire le métier des armes qui suppose la crémation sur les champs de bataille alors que les chrétiens se font enterrer ; qu’un soldat de l’armée romaine qui se convertit doit soit quitter le métier des armes, soit le pratiquer en respectant les préceptes de sa religion – il ne va pas tout de même jusqu’à préciser comment un légionnaire fraîchement baptisé pourrait aller au combat tout en refusant de tuer son prochain… Au même siècle, Origène argumente dans le même sens.
Il effectue une lecture allégorique de textes du Nouveau Testament dans lesquels les métaphores de la guerre et du combat sont utilisées : il s’agit d’une lutte contre le mal et pour le bien, rien à voir avec la guerre concrète.
Dans Contre Celse, il souhaite que les chrétiens n’aient pas à se soumettre au service militaire.
Mais, déjà, il n’exclut pas qu’il faille mener des guerres justes (IV, 82) tout en laissant aux païens le soin de les mener… Dans À Donat, saint Cyprien de Carthage abonde dans ce sens et soulève l’incohérence qu’il y a à souscrire au commandement « Tu ne tueras point » tout en défendant la guerre.
Au IVe siècle, Lactance enfin écrit dans les Institutions divines : « Il n’y a pas la moindre exception à faire au précepte divin : tuer un homme est toujours un acte criminel. » Ou bien, du même : « La guerre est exécrable » (VI, 20).
À cette époque, la force armée est du côté des légions impériales et les chrétiens, faibles, vivent en cachette, se réunissent en catimini, communient dans les catacombes.
En vertu de la logique du renard et des raisins, il est facile au faible de faire la critique de la force.
La chose paraît plus difficile pour le fort de faire l’éloge de la faiblesse, surtout quand il vient juste de cesser d’être faible et qu’il peut jouir de la force.
On n’est bien sûr de la critique de la force que quand elle est effectuée par quelqu’un qui dispose des moyens d’être fort.
Après que Constantin eut inversé les valeurs et donné la force aux faibles, les chrétiens ont été moins nombreux à persister dans les logiques de Tertullien et Cyprien, d’Origène et de Lactance.
L’agneau qui peut devenir loup y renonce rarement.
Seuls les saints en sont capables.
Et les saints sont aussi rares dans le christianisme que partout ailleurs.
En affirmant qu’il doit ses victoires au Christ, l’empereur Constantin enrôle Jésus dans son armée.
La christianisation de l’armée s’effectue à grande allure : inscription du monogramme du Christ sur les enseignes et les étendards, réactivation de l’ordalie qui fait du vainqueur celui que Dieu a désigné, excommunication des déserteurs au concile d’Arles, récupération de leur grade pour les anciens militaires déchus pour cause de christianisme, inscription de Dieu dans la procédure du serment militaire, interdiction de combattre pour les prêtres.
En 416, l’empereur Théodose II impose le christianisme à tous les soldats de l’Empire.
Arrivent alors saint Ambroise de Milan et saint Augustin d’Hippone, son élève, qui inversent définitivement les valeurs et installent durablement le christianisme sur le terrain de la guerre.
Dans son Traité des devoirs, Ambroise estime la guerre juste en fonction des fins qu’elle sert : elle n’est ni bonne ni mauvaise en soi, mais relativement aux fins qu’elle se propose.
Faite au nom du Christ, elle est bonne ; menée contre lui, elle est mauvaise.
Désormais, le fameux cinquième commandement (Matthieu 5, 21) s’écrit : Tu ne tueras point, sauf quand il le faudra – et l’Église dira quand ce sera le jour et l’heure… Augustin tue le Jésus d’amour et de paix, il crucifie le Jésus de charité et de miséricorde, il perce avec sa lance le flanc du Jésus du pardon des offenses et de la compassion pour porter au pinacle le Christ guerrier et combattant, pour célébrer le Christ soldat de Dieu et moine à l’épée, pour glorifier le Christ soudard et tueur.
De fait, il y avait matière à tous ces Jésus et à tous ces Christ dans les Évangiles : celui qui ne condamne pas la femme adultère n’est pas celui qui dit qu’il est venu pour mettre la discorde, c’est même le contraire, celui qui demande qu’on laisse venir à lui les petits enfants n’est pas celui qui promet l’égorgement à ceux qui ne croient pas en lui, c’est même l’inverse, celui qui demande qu’on laisse venir à lui les petits enfants n’est pas celui qui chasse les marchands du Temple avec un fouet, c’est son antipode.
Augustin tue l’un et fait naître l’autre.
L’Église se range derrière la bannière de l’auteur de La Cité de Dieu.
Vers 398, Augustin combat les manichéens pour lesquels le Nouveau Testament qui enseigne la paix a rendu caduc l’Ancien qui justifiait la guerre.
Théodose vient d’interdire le paganisme, la parousie met chacun dans l’attente de la venue du Christ ressuscité pour un règne de mille ans, les païens qui résistent à cette logique doivent être sauvés malgré eux, fût-ce au prix de la violence chrétienne.
Dans une lettre datée de 417 envoyée au comte Boniface, il écrit ces choses terribles : « Il y a une persécution injuste, celle que font les impies à l’Église du Christ ; et il y a une persécution juste, celle que font les Églises du Christ aux impies. » Ceci encore : « L’Église persécute par amour et les impies par cruauté. » Ceci enfin : « Quiconque refuse d’obéir aux lois des empereurs portées pour la vérité de Dieu s’expose à un grand supplice » (Lettre 185).
Il est loin le précepte christique qui invite à tendre l’autre joue quand on a été frappé !
Il est loin le temps où, dans l’opposition, pour utiliser un vocabulaire contemporain, les chrétiens présentaient le martyre comme la seule réponse faite à l’offense du pouvoir impérial !
Il est loin le temps où Jésus invitait à rendre à César ce qui appartenait à César et à Dieu ce qui appartenait à Dieu !
Désormais, ce qui appartient à l’un appartient aussi à l’autre, ce que l’un commande, c’est ce que l’autre veut.
La théorie de saint Paul triomphe : depuis que les chrétiens sont au pouvoir, tout pouvoir vient de Dieu et quiconque s’y oppose peut être légitimement passé par le fil de l’épée.
Augustin théorise même que le crime et le meurtre ne sont pas des péchés une fois commis pour le bien de Dieu.
Le passage du « Tu ne tueras point » au « Tu ne tueras point, sauf quand le pouvoir te le commandera » s’augmente d’un nouveau glissement : « Tu tueras, et quand ce sera au nom de Dieu, tu obtiendras ainsi ton salut pour l’éternité » !
Dans la lettre, le meurtre est interdit ; dans l’esprit, il est ce qui rend possible le règne de Dieu ; dans les faits, la porte se trouve ouverte aux guerres, aux massacres, aux croisades, à l’Inquisition, aux ethnocides, aux génocides.
Dieu veut désormais ce qu’un certain Jésus ne voulait pas – le Père déborde le Fils…
La guerre sainte étant devenue une guerre juste, il suffira de faire de toute guerre une guerre sainte pour qu’elle devienne illico une guerre juste.
Le processus s’avère extrêmement simple : il suffit de proclamer qu’on la fait pour Dieu, au nom de Dieu, appelé par Dieu, et le meurtre est béni, le crime oint, le massacre sacré, l’éviscération consacrée, le carnage sacralisé.
La guerre juste est toujours celle qu’on mène contre un ennemi qu’on aura décrété tel : juste est la guerre d’un païen contre un chrétien selon les païens, juste aussi la guerre d’un chrétien contre un païen selon lui.
Si Dieu est ce qui justifie la bonne guerre, il suffit de l’invoquer pour justifier, légitimer et, pire, moraliser son crime.
De Constantin à George Bush, le sang se verse au nom de Dieu.
L’intelligence d’Augustin est proprement… diabolique !
Augustin justifie également la guerre en affirmant qu’elle vise toujours la paix et qu’un pareil objectif sanctifie les moyens !
Paralogisme là encore.
Car qu’est-ce qu’une paix sur des ruines fumantes ? Une paix après des holocaustes de femmes et d’enfants, de vieillards et d’innocents ? Une paix après la destruction des villes et des vies, de l’intelligence et de la raison, de la culture et de l’esprit ? Une paix après le règne sans partage de la mort ? Qu’est-ce qu’une paix pour une veuve, un orphelin, un mutilé ? Qu’est-ce que la paix pour un mort ? On veut le règne de Dieu, mais on lâche Satan sur la planète ; on aspire à la loi de l’amour, mais on lâche les chiens de la haine ; on dit vouloir le règne de Dieu et le royaume des cieux, mais on instaure ici-bas le règne du diable et le royaume infernal ; on prétend vouloir le bien, on réalise concrètement le mal.
Quelle est cette étrange religion qui réalise le rachat de l’humanité par le meurtre des hommes, et ce au nom de l’amour du prochain, de la miséricorde et du pardon des offenses ?
Augustin ajoute que la guerre, c’est l’ordalie.
Car Dieu décide de l’issue des guerres, de leur longueur, de leur nature.
C’est donc Lui qui veut qu’elles soient, qu’elles durent, qu’elles traînent ou non, qu’elles s’avèrent plus ou moins meurtrières.
À quoi peut bien ressembler ce Dieu dont les chrétiens disent qu’il est d’amour du prochain ? Dieu veut la punition des pécheurs et la récompense des croyants : toute l’histoire montre que Dieu n’est pour rien dans cette affaire et que la guerre n’a d’issue qu’en fonction de la polémologie et non de la théocratie.
La victoire est accordée selon l’ordre de la guerre qui est art du génie mauvais des hommes.
L’homme a créé la guerre à son image.
Les croisades constituent les premiers travaux pratiques de cette doctrine.
Elles fournissent le modèle des guerres chrétiennes jusqu’à aujourd’hui.
De Constantin qui arbore le chrisme sur ses étendards contre le païen Maxence au début du IVe siècle, aux guerriers de l’État islamique du début du XXIe siècle qui arborent le drapeau noir de Mahomet avec l’inscription en écriture coufique de la chahada, la profession de foi musulmane, en passant par les croix sur les bannières des croisés du XIe au XIIIe siècle, c’est l’éternel retour du même qui fait de Dieu le compagnon des criminels et des meurtriers.
Les trois livres monothéistes pensent la même chose sur le même sujet, sauf que le Dieu d’Abraham, celui du Christ et celui de Mahomet se font la guerre depuis plus de mille ans.
De Washington à Jérusalem en passant par Tikrit, nous en sommes toujours là.
Le penseur des croisades est donc Bernard de Clairvaux, l’homme qui fait du crime, pourvu qu’il soit chrétien, une « invention exquise » ; son inspirateur est Pierre l’Ermite (1053-1115) ; son bras armé, le pape Urbain II.
Des textes médiévaux rapportent que Pierre a été empêché d’effectuer un pèlerinage à Jérusalem en 1094-1095.
Une autre version dit qu’il y est parvenu et que ce qu’il a vu l’a ravagé de colère : des infidèles vivent dans les Lieux saints, les églises servent d’écuries, les pèlerins sont attaqués, frappés, rançonnés et dépouillés de leurs biens.
Sur place, la dhimmitude, une règle de l’islam qui contraint le non-musulman se trouvant sur une terre d’islam à payer un impôt pour sa tranquillité, est vécue comme une humiliation en ces endroits symboliques.
La nuit, Pierre l’Ermite retourne prier au Saint-Sépulcre ; fatigué, il s’endort ; Jésus lui apparaît en majesté et l’invite à « venir purifier les Lieux saints de Jérusalem et à restaurer les Saints-Offices » ; il se réveille ; puis il se met en route pour raconter au pape ce qu’il a vu, ce qu’il a entendu et ce qu’il faut faire.
On sait qu’au IVe siècle Hélène, la mère de l’empereur Constantin, a inventé les Lieux sur lesquels s’effectue le tourisme religieux : la Nativité, le Golgotha, le Sépulcre.
Les Sarrasins occupent en effet les Lieux saints depuis 638, date à laquelle vainc Omar, le deuxième successeur de Mahomet.
Entre 1004 et 1014, le sultan Al-Hakim fait détruire détruire le tombeau du Christ (1009) et des milliers d’églises chrétiennes, il persécute les Juifs et les chrétiens ; mais son successeur en autorise la reconstruction par le trésor byzantin entre 1038 et 1048.
En 1071, les Turcs seldjoukides ravissent la ville aux Arabes abbassides – des musulmans sunnites.
Sept ans plus tard, en 1078, les Turcs ont repris une seconde fois Jérusalem, ils interdisent alors les pèlerinages aux chrétiens alors qu’en leur temps les Fatimides d’Égypte, des musulmans chiites, l’autorisaient.
Les Seldjoukides massacrent la population.
Que les musulmans dont le Coran fustige les chrétiens aient mis les Lieux saints sens dessus dessous n’étonne pas.
Si, selon les historiens, cette histoire est présentée parfois comme une franche légende, quelquefois comme une vérité arrangée, ou bien comme un puzzle mélangeant le vrai et le faux, je mets de côté le contenu épistémologique de la vision nocturne ; l’appel du pape Urbain II effectué à Clermont-Ferrand le 27 novembre 1095 est quant à lui avéré.
Ce qu’il a dit n’est connu que par ce que les chroniqueurs ont ensuite consigné plus tard.
Fort de ce qu’on lui a rapporté, dont Pierre l’Ermite, Urbain n’accepte pas que les chrétiens ne puissent effectuer leurs voyages en Terre sainte sans en être empêchés par les musulmans.
Les Sarrasins sont donc des infidèles, des mécréants, des barbares à soumettre – ce que les Sarrasins pensent exactement des chrétiens…
La chronique de Bernard le Moine rapporte ces propos du pape qui harangue la foule : « Prenez la route du Saint-Sépulcre, arrachez ce pays des mains de ce peuple abominable, et soumettez-le à votre puissance.
Dieu a donné à Israël en priorité cette terre dont l’Écriture dit qu’il y coule du lait et du miel ; Jérusalem en est le centre, son territoire fertile, par-dessus tous les autres, offre pour ainsi dire les délices d’un autre paradis : le Rédempteur du genre humain l’a illustré par sa venue, honoré de sa résidence, consacré par sa Passion, racheté par sa mort, signalé par sa sépulture. »
Urbain II décide que quiconque meurt au combat contre les musulmans verra ses péchés pardonnés – ce qui équivaut à promettre le paradis aux combattants morts les armes à la main.
Magnanime, il ajoute que les infortunés qui mourraient sur le trajet de retour bénéficieraient des mêmes avantages… Le pape professe donc la guerre sainte, il invite au martyre et il promet les douceurs paradisiaques aux martyrs de la religion.
Le schéma est vieux comme le monde…
Ajoutons à cela qu’une promesse de vie éternelle peut toujours moins ravir le chevalier qui doute qu’une licence concernant sa vie temporelle plus apte à rapporter des suffrages : tout au long de son tour de France pour rameuter les foules et les inviter à partir en croisade, le pape exhorte, professe, incite ; il préside des conciles ; il consacre moult basiliques, cathédrales, églises ; il lance des chantiers de construction ; il rend la justice ; il accorde des privilèges ; il restaure ainsi le pouvoir de l’Église dans le royaume de France.
Au cours de ce long périple, il ressasse ses arguments parmi lesquels l’un d’entre eux qui peut décider plus sûrement l’auditeur dubitatif.
Le gardien des choses spirituelles promet en effet d’intéressantes perspectives temporelles et dit dans un propos rapporté par Baudri de Bourgueil : « Les richesses de vos ennemis vous appartiendront également. Ainsi, victorieux, vous pillerez leurs trésors et retournerez chez vous ; ou bien, rougis par votre propre sang, vous obtiendrez le prix éternel de la course » (I, IV, 15).
Mort, c’est le paradis assuré après le pardon automatique des péchés ; vif, c’est la fortune.
Qui pourrait résister à pareille rhétorique ? À cette heure, le christianisme fait donc l’éloge du meurtre de son prochain, puis du pillage de ses biens ; à la suite de quoi il transforme le crime en voie d’accès au paradis céleste et la razzia en voie royale qui ouvre les portes d’une forme de paradis terrestre.
Une fois de plus, Jésus avait de quoi se retourner dans sa tombe.
Quand il a annoncé son projet, la foule a crié : « Dieu le veut !
Dieu le veut ! »
Robert le Moine rapporte que le pape aurait alors fait silence et rebondi, en orateur roué, sur cette incantation – peut-être préparée par une claque dûment dédommagée ou tout simplement habilement sollicitée par l’appât du gain : il en fait soudain un cri d’unanimité qui ne peut être qu’inspiré par l’Esprit saint !
Urbain II répondit alors à l’assemblée : « Que tel soit donc dans les combats votre cri de guerre, car cette parole a été proférée par Dieu » (I, 2).
On ne sait si ce fut là un effet théocratique semblable à celui de la Pentecôte transcendante ou un effet éthologique assurant l’unanimité devant la perspective du butin immanent, mais le slogan devint devise.
Boutefeu, va-t-en-guerre, Urbain II, formé chez les bénédictins, grand prieur de Cluny, bienheureux de l’Église catholique, a instauré la grande prière de l’Angélus pour la conversion des musulmans : c’est donc le pape qui prend l’initiative de ce qu’il est convenu de nommer aujourd’hui une guerre de civilisation.
Il codifie la croisade : il demande que la croix soit sur le casque et le vêtement des croisés afin de rallier à elle le plus grand nombre possible, que les vieillards n’y participent pas, les femmes non plus, sauf si elles sont accompagnées de leurs maris, de leurs frères ou de leurs tuteurs légitimes, que les riches emmènent avec eux des pauvres dont ils assureront la subsistance, que les prêtres et les clercs y aillent, mais avec l’autorisation de leurs évêques.
Via les jongleurs qui accompagnent les croisés, avec parfois l’aide de penseurs chrétiens, dont Jean Damascène, via aussi les auteurs de chansons de geste ou les chroniqueurs, l’idéologie chrétienne présente fautivement la religion musulmane : bien que traités de polythéistes et de païens, les croyants de l’islam vénéreraient une idole dans un temple ; cette idole serait couverte d’or ; ils s’adonneraient à la boisson, à la luxure, à l’homosexualité ; Mahomet aurait été épileptique ; il aurait enseigné le libertinage ; mort, son cadavre aurait été dévoré par les porcs ; l’islam serait un christianisme hérétique créé par un moine ; le Coran aurait été inventé et présenté porté entre les cornes d’une vache ; etc.
L’art de transformer l’adversaire en ennemi répugnant est un classique de la polémologie.
Pour bien tuer l’ennemi, il faut aux tueurs un ennemi qui en soit véritablement un.
Or l’islam a des défauts, mais pas ceux-là.
L’époque obéit aux lois de la pensée magique : le réel est moins vrai que les signes, le concret trivial laisse la place au mystère.
La croisade se trouve légitimée par autant de signes, de prodiges célestes ou météorologiques : éclipse de Lune ou de Soleil, étoiles qui tombent comme de la grêle, passages de comètes dont certaines en forme de glaive, boules de feu qui se rassemblent dans le ciel, étoiles qui effectuent des bonds dans le ciel en direction de l’orient, tremblements de terre, taches de feu qui apparaissent sur la Lune, Soleil incandescent et famines, aurores boréales, nuages de sang qui se rassemblent au centre du ciel, ou bien, phénomène plusieurs fois constaté, dont une fois dans sa ville par le chroniqueur Raoul de Caen, un signe qui apparaît au nord dans un ciel rouge et se déplace vers l’orient indiquant, évidemment, la direction à prendre… À cette époque, un événement dans le ciel physique est évidemment une information théologique, voire théocratique.
Dieu est météorologue.
Ajoutons à cela des visions dans le ciel : un combat de chevaliers qui s’affrontent dans une charge terrible, une immense ville vers laquelle convergent une foule de chevaux et de marcheurs, apparition et disparition d’un immense glaive, le tout dans un fracas terrible.
Ou bien encore : du sang dans un pain cuit sous la cendre, des pluies de chair, des rivières qui charrient de l’hémoglobine, une femme qui accouche d’un enfant qui parle, la naissance d’un enfant à deux têtes, des animaux nés avec leurs dents, des signes en forme de croix qui apparaissent sur la peau des humains vivants ou sur les omoplates de certains morts, Dieu utilise les grands moyens pour faire savoir que l’heure est grave et qu’il faut obéir à l’appel de Clermont.
Comment, sinon, comprendre ces phénomènes rapportés par les chroniqueurs informés aux meilleures sources ?
Pierre l’Ermite utilise probablement toutes ces ficelles (auxquelles il croit peut-être, c’est dans l’esprit du temps, une religion n’est jamais qu’une hallucination collective…) pour cristalliser autour de lui le désir de partir.
Il invoque par exemple des lettres tombées du ciel qu’il lui suffirait de lire en public – il dispose ainsi d’une ligne directe avec l’Éternel.
Il cite un verset de l’Évangile selon Luc (21, 24) pour justifier son projet de sauver Jérusalem de sa corruption par les Gentils.
In fine, selon son biographe Jean Flori, il se retrouve à la tête de 15 000 ou 20 000 personnes – lui et lui seul, autrement dit sans compter les autres sergents recruteurs de Dieu.
Avant le départ, des pogroms sont organisés partout en France : les Juifs ne sont-ils pas le peuple déicide ? Associés aux musulmans en tant qu’infidèles, mécréants, incroyants, païens, nombreux sont passés par le fil de l’épée dans les régions françaises chauffées à blanc par les prédicateurs, dont Pierre l’Ermite, mais, plus tard aussi, dans nombre de villes d’Europe où ils sont volés, dépouillés, torturés, massacrés, tués.
« Avant de partir, dans presque toute la Gaule, ils supprimèrent par un grand carnage les Juifs, à l’exception de ceux qui voulurent être baptisés », écrit Richard le Poitevin dans sa chronique.
Guibert de Nogent rapporte dans son Autobiographie les propos tenus par des croisés à Rouen, une ville dans laquelle Pierre l’Ermite a tenu son discours : « Notre intention est d’aller attaquer les ennemis de Dieu en Orient, non sans avoir à traverser de vastes territoires, alors que nous avons ici même, sous nos yeux, les Juifs.
Or il n’existe pas de race plus hostile à Dieu ; voilà qui n’a ni queue ni tête ! » Il ajoute : « À ces mots, ils saisissent leurs armes et, se mettant à rassembler les Juifs, ils les entassent en quelque église par violence ou par ruse – je ne saurais préciser – et les voilà qui, les faisant sortir de là, portent l’épée sur tous indistinctement, n’épargnant ni sexe ni âge. » Rassembler les Juifs, entasser les Juifs, tuer les Juifs, voilà qui permet de dater le passage de l’antisémitisme de papier des Pères de l’Église à l’antisémitisme de guerre des croisés chrétiens.
Le Nouveau Testament n’aime ni la Torah ni le Coran.
Bien sûr, ces pogroms ont évidemment lieu sur le trajet qui conduit vers Jérusalem en même temps que les inévitables exactions d’une troupe de guerriers qui, théoriquement mus par un tropisme spirituel, ne dédaignent pas non plus le vin qui n’est pas de messe.
Les réquisitions probablement appuyées des croisés permettent d’obtenir le gîte et le couvert, le fourrage et l’étable ; quand les autochtones n’obtempèrent pas, on les y contraint.
Pierre l’Ermite n’hésite pas à assiéger des villes fortifiées, à piller ou à incendier.
En terre chrétienne, entre Clermont et la Palestine, les synagogues sont brûlées, les Juifs rançonnés, leurs maisons ravagées.
Les chefs croisés se comportent tous ainsi.
Puisque c’est pour le bien, ça n’est donc pas un mal.
Une fois sur place, les croisés qui attaquent et les musulmans qui se font attaquer utilisent les mêmes moyens.
Il serait vain d’imaginer qu’il y eut de bons croisés lâchés contre les mauvais Sarrasins ou que les bons musulmans auraient été les victimes désarmées des mauvais soldats du Christ : ce djihad chrétien reçut une réponse militaire ad hoc.
Côté chrétien, Raoul de Caen écrit : « À Maarat les nôtres faisaient bouillir des païens adultes dans des marmites, ils fixaient les enfants sur des broches et les dévoraient grillés » ; lors du siège d’Antioche qui a duré huit mois, des têtes sont coupées et catapultées dans la ville ; côté turc, au camp de Civitot, on pille, on massacre des nourrissons, des vieillards, des moines, des religieux, on réduit à l’esclavage des jeunes filles, d’appétissantes moniales et de jeunes garçons, autour de Jérusalem ils ont empoisonné les points d’eau, sur les murailles de la ville, les musulmans singent les chrétiens, leurs habits et leurs cérémonies et décochent des flèches.
Le 8 juillet 1099, Pierre l’Ermite harangue les foules au mont des Oliviers.
La ville de Jérusalem est prise le 15 juillet.
Raymond d’Aguilers a raconté le carnage : « Dans le Temple et sous le portique de Salomon, on chevauchait le sang jusqu’aux genoux, jusqu’au mors des chevaux.
C’est par un juste jugement que fut versé en ce lieu le sang de ceux qui, pendant si longtemps, y avaient professé contre Dieu leurs blasphèmes. » Le Saint-Sépulcre redevient chrétien.
Les jours suivants, les croisés pourchassent partout les musulmans.
Le pape Urbain II meurt à Rome le 29 juillet.
On perd la trace de Pierre l’Ermite.
Les légendes prennent alors le pas, jusqu’à inventer une conversion à l’islam !
Les croisades se suivent pendant deux siècles.
L’Église les sollicite, les soutient, les finance.
Saint Bernard de Clairvaux, on l’a vu, met sa vie et sa pensée au service de cette guerre des chrétiens contre les musulmans.
Son disciple et ami, le pape Eugène III, publie le 1er décembre 1145 une bulle qui appelle à une deuxième croisade.
Dans ce texte, le souverain pontife propose de purger l’Orient de « l’ordure des païens » !
Le roi Louis VII s’adresse à Bernard de Clairvaux qui accepte de lancer l’opération.
Le pape, le roi, le saint constituent la nouvelle sainte trinité politique théocratique.
Ce triangle infernal s’avère une machine de guerre catholique efficace.
La puissance du Christ est moins celle de sa parole évangélique de paix que celle du bras armé qui se réclame de son discours belliqueux.
Le pouvoir spirituel sert le pouvoir temporel et vice versa.
La vertu spirituelle accouche du vice politique.
Loin, très loin, du commandement qui interdit de tuer, saint Bernard de Clairvaux invente un concept pour justifier d’abord qu’on le puisse, ensuite qu’en agissant ainsi on commette un acte bon : le « malicide ».
En 1130-1136, dans Éloge de la nouvelle chevalerie, il écrit en effet : « Celui qui tue un infidèle ne commet pas un homicide mais un malicide. » De la même manière qu’un parricide tue son père, un infanticide son enfant, un homicide un humain, un fratricide son frère, un matricide sa mère, un génocide et un ethnocide un peuple, un uxoricide sa femme, un tyrannicide le tyran, un suicide, lui-même, le malicide tue… le mal !
Comment s’opposer à pareille intention tout de suite garantie par la morale ? Qui pourrait ne pas vouloir supprimer le mal ? Qui en voudrait à celui qui, agissant ainsi, souhaite faire le bien ?
Pour justifier le massacre, le crime, le meurtre, l’assassinat, le chrétien n’a donc plus qu’à dire qu’il le commet au nom du bien pour que tout cela cesse d’être un mal, le mal.
L’invocation de Dieu suffit.
On ne s’étonne pas que pendant le massacre de l’hérésie cathare lors la croisade des albigeois, le 22 juillet 1209, Arnaud Amaury ait pu appeler à verser le sang sans modération et dire à ses soldats : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens »…
Aux antipodes de cette méthode qui justifie la guerre sainte dite juste, François d’Assise propose une autre méthode que le massacre des musulmans pour régler la relation entre les deux civilisations, les deux cultures, les deux religions mêmement monothéistes : le dialogue, l’échange, la diplomatie, l’exercice de la raison, la discussion, la négociation.
En septembre 1219, dans la configuration de la cinquième croisade (1217-1221), l’homme qui parle aux oiseaux veut aussi parler au sultan.
Pour ce faire, il se rend auprès de Malik al-Kâmil, sultan d’Égypte.
François a réussi à apprivoiser le loup de Gubbio, il a trente-sept ans et se propose de faire de même avec le sultan, le neveu de Saladin.
Les deux hommes se rencontrent dans une tente au bord du Nil.
Pieds nus, François est venu d’Italie, il a voyagé pendant des mois, ce qui veut dire prendre des risques ; il est entré dans une zone de guerre, les troupes des croisés ont lancé une attaque contre le camp musulman, ce qui signifie en prendre plus encore ; il s’est approché du sultan qu’il a souhaité rencontrer, ce qui pouvait suffire pour se faire trancher la tête.
Le sultan avait gagné contre l’attaque croisée ; il a fait une offre de paix : il envoie un prisonnier croisé porter un message diplomatique ; il rend Jérusalem aux croisés, leur donne de l’argent pour la reconstruire et ajouter des châteaux alentour pour défendre la cité, en conséquence de quoi les croisés quittent l’Égypte.
Le sultan vainqueur exerce la magnanimité ; il propose largesse et libéralité aux croisés – qui, après discussion, refusent.
C’est dans cette configuration que François visite le sultan.
Aucun texte n’a rapporté cette rencontre ; on ne sait donc pas ce qu’ils se sont dit.
On sait qu’al-Kâmil a reçu François avec respect et politesse.
On peut imaginer qu’il aura prêché la paix ; mais on peut aussi croire qu’il a évangélisé le sultan – ce qui fait partie de la mission franciscaine, mission pour laquelle quelque six mois plus tard cinq franciscains sont torturés et invités à se convertir moyennant avantages en nature et de toute nature avant d’être décapités par le calife almohade lui-même à Marrakech.
Il est vrai qu’habités par l’idée du martyre ils passaient leur temps à entrer dans les mosquées, à prêcher l’apostasie, à insulter Mahomet et revenaient prêcher après avoir été expulsés, puis bannis, puis emprisonnés.
Ils obtinrent ce qu’ils souhaitaient : mourir pour leur Dieu…
Saint François rend visite au sultan pour le convertir.
On peut imaginer qu’il souhaite obtenir par la raison ce que seule la foi permet – la foi ou la grâce… Car l’année suivante, en 1221, rentré sain et sauf en Italie, François promulgue la règle franciscaine dans laquelle est définie la mission aux infidèles : il invite les chrétiens à vivre en terre d’islam sans faire d’histoire ou bien, si c’est possible, de faire avancer leur cause et d’obtenir conversions et baptêmes.
S’ils doivent perdre la vie dans cette aventure, ils obtiendront la vie éternelle.
François cite Matthieu (10, 16) : « Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme des serpents et candides comme des colombes. » On peut en conclure qu’il fut serpent et colombe avec le sultan.
Bernard de Clairvaux ignorait la prudence et la simplicité avec les Sarrasins ; François, qui aimait les animaux, fut couleuvre et agneau.
Question de méthodes.
Le but est toujours d’imposer sa foi : ici par le fer et l’épée, là par la persuasion et la rhétorique.
Souvent, ce fut persuasion par le fer et rhétorique de l’épée.
Un mélange de Bernard et de François… La croisade fournit le schéma de ce qui justifie l’expansion planétaire du christianisme.
L’impérialisme est le nom moderne de cette chose ancienne.
Onfray, Michel. Décadence.
Chacun connaît les pyramides égyptiennes, les temples grecs, le forum romain et convient que ces traces de civilisations mortes prouvent… que les civilisations meurent – donc qu’elles sont mortelles ! Notre civilisation judéo-chrétienne vieille de deux mille ans n’échappe pas à cette loi.
Du concept de Jésus, annoncé dans l’Ancien Testament et progressivement nourri d’images par des siècles d’art chrétien, à Ben Laden qui déclare la guerre à mort à notre Occident épuisé, c’est la fresque épique de notre civilisation que je propose ici.
On y trouve : des moines fous du désert, des empereurs chrétiens sanguinaires, des musulmans construisant leur « paradis à l’ombre des épées », de grands inquisiteurs, des sorcières chevauchant des balais, des procès d’animaux, des Indiens à plumes avec Montaigne dans les rues de Bordeaux, la résurrection de Lucrèce, un curé athée qui annonce la mort de Dieu, une révolution jacobine qui tue deux rois, des dictatures de gauche puis de droite, des camps de la mort bruns et rouges, un artiste qui vend ses excréments, un écrivain condamné à mort pour avoir écrit un roman, deux jeunes garçons qui se réclament de l’islam et égorgent un prêtre en plein office – sans parler de mille autres choses…