top of page

Perception élargie du Big Bang

Rien dans l'univers, ne peut surgir sans la préexistence de sa potentialité.

S’il y avait eu un instant où rien n’existait, rien ne pourrait avoir été engendré par ce rien. Penser l’existence du néant c’est comme de croire qu’un l’on pourrait regarder un film à partir d’un DVD vierge. L’information nécessaire au surgissement de quoi que ce soit doit nécessairement exister au préalable de cet avènement. (Serge-Carmel Bourget)

D’où vient cette force qui fait l’histoire ? De l’écho et du tremblement vaste d’une étoile effondrée. Or la philosophie de l’histoire pèche de ne concevoir les choses que sur de petites distances. Certes, sous l’influence d’un article publié par Fernand Braudel en 1958, les historiens ont jadis travaillé sur ce qu’ils nommaient les longues durées. Mais qu’est-ce qu’une longue durée dans l’esprit braudélien ? Quelques siècles, pas même des millénaires… De toutes petites distances, d’infimes espaces, de ridicules segments au regard de la vastitude dans laquelle s’inscrit tout ce qui est, puis advient sur cette planète. Car l’anthropocentrisme qui se trouve habituellement et légitimement dénoncé par les historiens fait la loi en matière de philosophie de l’histoire.

 

Or, le mouvement qui anime les civilisations, toutes les civilisations, des premières, les plus frustes, aux dernières, les plus élaborées, a été initié bien avant les hommes, bien avant le vivant, bien avant la Terre, dans les temps hors temps dont l’astronomie nous donne aujourd’hui un sentiment plus qu’une mesure, une intuition plus qu’une raison. Nous vivons dans le jet d’un geste décrit par l’astronomie la plus récente. Mais nous ne le savons pas. Du moins : nous voulons ne pas le savoir. L’histoire, qui est écriture du passé dans le présent afin de le conserver pour l’avenir, suppose le temps. Vérité de La Palice.

 

Or le temps quant à lui suppose qu’on s’en soucie moins en philosophe qui voudrait une belle définition, genre forme immobile de l’éternité immobile platonicienne, le nombre du mouvement selon l’antérieur et le postérieur aristotélicien, ou bien la forme a priori de la sensibilité kantienne, qu’en penseur empirique qui sait que la durée advient, du moins dans la forme que nous lui connaissons, quand s’effondre sur elle-même l’étoile dont tout procède. Cette explosion en expansion depuis presque quatorze milliards d’années produit une onde dans laquelle s’inscrit tout ce qui vit : une étoile ou une fourmi, une rotation de planète ou le tropisme d’une anguille vers les Sargasses, la fixité de l’étoile Polaire dans notre Voie lactée ou le devenir homme d’un singe, une civilisation ou un humain. Vitalisme ? Si l’on veut. Car le vitalisme invalide le mécanisme qui est description pure a posteriori du réel et non compréhension de l’épiphanie de ce même réel.

 

La simple somme des actions humaines humaines ne saurait faire l’histoire, pas plus que l’addition de toutes les cellules d’un corps ne parvient à produire un être vivant. L’addition des faits ne suffit pas à l’obtention d’un ordre. Ni même leurs multiplications ou leurs soustractions. La civilisation obéit à la force qui la propulse, exactement de la même manière qu’un projectile qui se contente de subir la loi de qui en a généré le mouvement. Dieu lui-même est un projectile des hommes, il n’est pas le projecteur qui, lui, est le souffle de cette étoile effondrée.

 

Penser l’éternité avec les catégories du temps s’avérera toujours une tâche impossible. De même avec l’espace, surtout quand on le pense en termes d’années-lumière. Car, qu’est-ce que se trouver à dix mille années-lumière d’un lieu ? Et quelle différence l’esprit est-il capable de faire entre dix mille années-lumière et dix millions d’années-lumière ? Certes, dix millions, c’est plus loin, mais comment cette distance peut-elle être dite plus lointaine que l’autre ? Ajouter une dimension à l’infini n’augmente pas l’infini mais décuple notre malaise à ne pas parvenir à le saisir. L’infini ne se pensera jamais selon l’ordre de notre finitude. Nous sommes prisonniers de notre temps et de l’espace dans lequel nous nous mouvons. Mais notre intelligence, qui ne saurait percevoir le détail de l’infini du temps ou de l’espace, peut en éprouver le vortex, peut chanceler devant l’abîme, trembler devant le gouffre sans fond.

 

Les vérités de l’astrophysique donnent le vertige à une pensée qui, pourvu qu’elle entame ce voyage vers l’ineffable, connaît l’ivresse devant ce spectacle : la voracité des trous noirs et le champ infini des multivers, l’énigme de la matière noire qui nomme la quasi-totalité de ce qui est et l’écho du big-bang encore audible à cette heure, la contraction d’une étoile devenue naine blanche et les issues mystérieuses des trous de ver, l’explosion des supernovas et le rayonnement électromagnétique des pulsars, la vibration conceptuelle des cordes et le quasar qui est quasi-star, la dilatation exponentielle de l’Univers et la possibilité d’une vie sur d’autres galaxies. En dehors de nos petites catégories mentales ravagées par les leçons de l’astrophysique, que peut-on savoir et qu’est-il permis d’espérer ?

 

Seule une image permet de concevoir un peu ce qui fut jusqu’à nous et quelle place nous occupons dans l’Univers. L’allégorie est connue : si l’on recourt à la métaphore d’une année de trois cent soixante-cinq jours et que l’on fait commencer la naissance de notre Univers à minuit, qu’est-ce qui advient ensuite et quand ? Cet artifice conceptuel a été pensé avec un big-bang vieux de quinze milliards d’années alors que les estimations les plus récentes ont affiné à treize milliards huit cent millions d’années.

 

Dans cette configuration, un an égale donc quinze milliards d’années. Un jour, c’est quarante et un millions d’années ; vingt-quatre jours, un milliard d’années ; un million d’années, trente-six minutes ; une seconde, cinq cents ans. Donc :

 

1er janvier à 0 h 00, big-bang avant lequel… il y avait quelque chose.

 

Les récentes théories de la gravitation quantique posent l’hypothèse qu’avant cet Univers le même existait, mais inversé. Du vide et des champs d’énergie aléatoires dans une vaste étendue glacée, voilà ce qui existe avant que notre Univers soit. Ces forces s’agrègent après avoir gagné en intensité, des grumeaux se forment, puis des trous noirs au sein desquels la densité de matière s’élève. L’espace s’effondre sur lui-même. La densité, la température et la courbure connaissent des points d’acmé avant de décroître.

 

Le big-bang nomme le moment de ce renversement : d’une certaine manière, il est déjà une décadence. Poursuivons dans la métaphore :

 

fin janvier se forme notre galaxie que nous nommons la Voie lactée.

 

Elle signifie la trace blanche qui ceint le ciel étoilé. Les Grecs en faisaient des gouttes de lait tombées du sein de Héra quand elle allaitait Héraclès, un bambin alors remuant… Nous vivons dans une galaxie plate comme une galette constituée d’une concrétion d’étoiles. La Terre fait partie de cette galaxie que nous observons. Voilà pourquoi nous ne pouvons en observer que le bord. Diamètre : 100 000 années-lumière. Épaisseur : 2 000 années-lumière. Le centre est composé d’un amas compact d’étoiles qui entourent un trou noir massif. De février à août plusieurs cycles se constituent dans notre galaxie – nébuleuses, formations d’étoiles, naines blanches, géantes rouges, supernovas, explosions de quelques-unes d’entre elles non loin de notre nébuleuse. Dans cette conjonction de forces et d’événements,

 

le 31 août se forment la Terre et le système solaire dans lequel elle évolue. Selon l’ordre de notre métaphore, ce processus prend une journée – rappel de la durée véritable : quarante et un millions d’années… La vie astrophysique continue en même temps que la vie géologique :

 

le 6 septembre apparaissent les plus vieux minéraux connus – le zircon australien ;

 

le 12 septembre, les plus vieilles roches connues – lac des esclaves au Canada. Vie astrophysique, vie géologique, c’est au tour de la vie biologique d’apparaître

 

le 13 septembre avec les plus vieilles traces de vie connues – une matière organique retrouvée au Groenland ;

 

le 24 septembre, les premiers fossiles connus – bactéries et stromatolithes découverts en Australie ;

 

le 15 octobre : inauguration de la plus vieille glaciation connue, inutile de préciser que ces variations climatiques sont effets cosmiques et non anthropiques, il y en aura une quinzaine jusqu’à ce jour ;

 

25 octobre : plus vieilles traces chimiques connues – des cellules eucaryotes ;

 

31 octobre : création de la croûte continentale, tectonique des plaques, formation de la pangée, début de la vie constante des continents terrestres. Disparition du règne de l’Archéen, règne du temps géologique, et apparition du Protérozoïque, autre règne géologique.

 

Vers le 10 novembre, l’oxygène libre apparaît dans l’atmosphère. Un mois plus tard, c’est au tour des algues, des vers et des méduses de naître.

 

Les 15 et 16 décembre, glaciations généralisées, puis formation et dislocation de la dernière pangée. Apparition du règne primaire. Coquillages et crustacés

 

le 18 décembre ; premiers poissons le lendemain ; végétaux et animaux terrestres le jour suivant. Règne secondaire :

 

nuit du 25 au 26 décembre, mammifères et dinosaures – ces derniers disparaissent le 30 décembre à 10 heures du matin. Règne tertiaire. Dans la vie biologique surgit la vie humaine, même si l’on se trouve dans un temps généalogique de l’humain le 31 décembre

 

vers 21 heures apparaît Toumaï, un moment généalogique du primate qui va rendre l’homme possible – nous sommes sept millions d’années avant aujourd’hui. Son crâne est découvert au Tchad. Ce même jour, mais une heure et demie plus tard, apparaît Lucy, découverte en Éthiopie – nous sommes à trois millions deux cent mille années d’elle. Lucy marche de façon bipède. Règne quaternaire :

 

le 31 décembre à 23 heures 59 minutes et 26 secondes les hommes peignent dans la grotte de Lascaux. Quelques secondes plus tard, minuit sonne. Au sixième coup, les pharaons font construire les pyramides de Kheops. Huit secondes nous séparent d’eux.

 

Ce qui advient quand s’effondre l’étoile dont tout n’est que poussière d’icelle est puissance. Je nomme puissance cette force aveugle qui n’obéit qu’à ce plan ignoré et qui n’est pas divin mais cosmique, qui nous conduit de l’être au non-être. Car ce qui est vivant meurt : une étoile et une galaxie, un univers et une espèce. Tout obéit aveuglément et inéluctablement à ce schéma : naître, être, croître, culminer, décroître, disparaître. Les civilisations sont elles-mêmes soumises à ce processus qui affecte tout ce qui est vivant et se trouve dans un temps et dans un espace. Je nomme décadence ce qui advient après la pleine puissance et qui conduit vers la fin de cette même puissance.

 

L’allégorie se poursuit pour le futur. Nous nous trouvons donc quelques secondes après cette nouvelle année. Dans cette série nouvelle, début mai, la Terre se vaporisera et le Soleil deviendra une géante rouge. Tout ce qui aura eu lieu sur cette planète se trouvera aboli. L’homme aura disparu depuis bien longtemps. La Terre sera une boule de roches en fusion qui circulera dans l’atmosphère comme un terrible incendie.

 

Vers le 10 mai, le Soleil mourra. Il deviendra naine noire. Ce qui aura été ne sera même pas un souvenir. On ne peut donc proposer une philosophie de l’histoire sans relier l’homme au cosmos. Les philosophies de l’histoire n’ont fait que lier l’homme à l’homme en croyant qu’il décidait, qu’il voulait, alors qu’il était décidé, qu’il était voulu. Pas plus qu’une étoile n’a décidé un jour de s’effondrer sur elle-même ou que la pangée n’a désiré se modifier sous l’influence de la tectonique des plaques, pas plus non plus que les dinosaures n’ont décidé de disparaître un jour de la planète ou que les hommes auraient souhaité y apparaître, tout ce qui a été, tout ce qui est, et tout ce qui sera obéit à cette puissance. Le réel n’est jamais que le dépliage d’une fatalité, le pur effet du déterminisme. Les hommes s’illusionnent quand ils pensent vouloir ce qui les veut. On ne peut délier l’homme de ce qui l’a rendu possible pas plus qu’on ne peut le délier de ce qui le conduit vers son anéantissement.

Onfray, Michel. Décadence 

Onfray, Michel. Décadence Flammarion.

Chacun connaît les pyramides égyptiennes, les temples grecs, le forum romain et convient que ces traces de civilisations mortes prouvent… que les civilisations meurent – donc qu’elles sont mortelles ! Notre civilisation judéo-chrétienne vieille de deux mille ans n’échappe pas à cette loi.

Du concept de Jésus, annoncé dans l’Ancien Testament et progressivement nourri d’images par des siècles d’art chrétien, à Ben Laden qui déclare la guerre à mort à notre Occident épuisé, c’est la fresque épique de notre civilisation que je propose ici.


On y trouve : des moines fous du désert, des empereurs chrétiens sanguinaires, des musulmans construisant leur « paradis à l’ombre des épées », de grands inquisiteurs, des sorcières chevauchant des balais, des procès d’animaux, des Indiens à plumes avec Montaigne dans les rues de Bordeaux, la résurrection de Lucrèce, un curé athée qui annonce la mort de Dieu, une révolution jacobine qui tue deux rois, des dictatures de gauche puis de droite, des camps de la mort bruns et rouges, un artiste qui vend ses excréments, un écrivain condamné à mort pour avoir écrit un roman, deux jeunes garçons qui se réclament de l’islam et égorgent un prêtre en plein office – sans parler de mille autres choses…

© 2023 par La Couleur. Créé avec Wix.com

bottom of page