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Christianisme et Ève sorcière

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Charlatan

Phénoménologie du balai de sorcière

Critique de la raison misogyne

 

Paris, 19 août 1391, Jeanne de Brigue.

 

 L’Église brûle sa première sorcière.

 

Les procès d’animaux sont ceux que les chrétiens font au serpent de la Genèse ; les tribunaux qui condamnent les sorcières au bûcher, quant à eux, découlent en droite ligne du procès qu’ils veulent intenter à Ève qui a commis la faute des fautes en souscrivant à la volonté du serpent. L’animal et la sorcière sont l’avers et le revers d’une même pièce ontologique : celle qui figure la scène primitive du péché originel. La civilisation judéo-chrétienne s’impose avec violence : les enquêtes et les procès, les tribunaux et les incarcérations, la torture et les bûchers de l’Inquisition ; puis le même dispositif, torture comprise, à l’endroit de tous les animaux de la création, des sangsues aux cochons, des charançons aux chevaux ; enfin, et toujours avec l’aide d’une même juridiction disciplinaire, les crémations de sorcières sur des bûchers qui illuminent toutes les contrées de l’Europe chrétienne.

 

 La première femme qui a été condamnée et brûlée vive comme sorcière s’appelait Jeanne de Brigue, elle était dite la Cordelière. Le 29 octobre 1390, un procès a lieu à Paris, au Châtelet. C’est une paysanne pauvre vivant en Brie à qui l’on reproche des dons – retrouver des objets perdus, désigner les voleurs aux volés, guérir des malades, magie blanche, ou rendre malade, magie noire. Une fois, elle désigne une chambrière comme voleuse au patron d’une auberge qui croyait que sa femme avait volé une tasse en argent pour l’offrir à l’un de ses amants – elle indique le lieu où a été caché l’objet ; une autre, elle renvoie un curé vers un notaire qui avait reçu de l’argent pour couvrir l’auteur des larcins afin de retrouver l’argent qu’on lui a volé, ainsi qu’un crucifix dérobé dans son église – la croix revient comme par miracle à son lieu d’origine. L’Église voit d’un mauvais œil les succès de cette femme. L’évêque de Meaux la fait arrêter et la retient pendant une année dans sa prison. Le dignitaire épiscopal la fait venir devant lui pour l’entendre et la libère après lui avoir interdit de continuer sa pratique divinatoire.

 

 De son côté, Macette épouse Hennequin de Rully à l’église Saint-Pierre-aux-Bœufs à Paris. La femme est infidèle ; le mari la frappe. Quatre ou cinq ans après leur mariage, il tombe malade. La mère du mari frappeur va chercher Jeanne de Brigue pour lui demander, magie blanche, de rendre la santé à son fils. La première ayant raconté ses misères à la seconde, Macette et Jeanne sympathisent. L’épouse battue demande à Jeanne qu’elle dise que sa maladie procède de l’envoûtement d’une femme avec laquelle Hennequin avait déjà eu deux enfants, Gilette La Verrière.

 

 Macette raconte à Jeanne, magie noire, comment elle a rendu son mari malade : en cuisant de la cire vierge et de la poix dans une poêle ronde, en appelant le secours du diable et en prenant soin de mettre Dieu de son côté en récitant trois fois des extraits de l’Évangile selon Jean, trois Pater et trois Ave. Pour obtenir la douleur du mari, il suffit de mélanger le tout sur le feu – il arrive alors immanquablement dans le corps un mal pareil à un déchaînement d’aiguilles. Ensuite, fabriquer avec cette pâte un visage humain, puis tracer à sa surface trois croix avec un couteau, et, en même temps, réciter des prières – le mal se porte sur la tête.

 

 La recette, dit-on, n’a pas marché et Hennequin a battu Macette comme plâtre malgré sa cuisine. Elle a donc mis en place un second dispositif ontologique. Elle a disposé un pot de terre au pied de son lit. Deux crapauds y ont été enfermés après qu’elle les eut prélevés avec un gant dans le jardin. Une brique empêche qu’ils prennent la poudre d’escampette. Elle les nourrit avec du lait de femme, du lait de vache et de la mie de pain. Infliger des douleurs aux bestioles, c’est de facto les infliger à son mari qui les ressent immédiatement.

 

 Subjuguée par la science de sa nouvelle amie, Jeanne la sollicite pour obtenir que l’homme qui lui a fait plusieurs enfants cesse de refuser de l’épouser. Macette conseille la fameuse cire et prescrit d’enduire le dos du célibataire militant pendant son sommeil afin d’obtenir le mariage. Opération à répéter quotidiennement pendant neuf jours. Si la prescription s’avère inefficace et que le rustaud refuse toujours les épousailles, Macette propose le venin de crapaud ajouté à la cuisine déjà connue. Deux jours après le début du traitement, Hennequin, le mari de Macette, va mieux.

 

 On impute cette amélioration aux sortilèges de Jeanne qui est arrêtée. Elle subit un premier interrogatoire le 29 octobre 1390. Elle avoue agir avec un diable qu’elle nomme Haussibut et qui, dit-elle, se met à son service. Elle est torturée. Sous la douleur, elle avoue le nom de Macette qui est arrêtée, interrogée, emprisonnée. Elle nie d’abord avant, elle aussi, de succomber à la torture – elle avoue tout. Jeanne est condamnée à mort le 9 février 1391, Macette, le 5 août. Le 19 août 1391, elles sont toutes deux conduites sur la place publique. Elles portent une mitre sur la tête et sont exposées au pilori sur la place qui accueille le marché aux pourceaux. Elles sont alors brûlées sur un bûcher.

 

 Ce premier procès inaugure des centaines de milliers d’autres. Retenons que celui-ci met en scène des femmes, qu’il y est question de sexe, qu’on y trouve des manifestations de savoir populaire et que rien de tout cela ne s’effectue contre le christianisme. On parle moins volontiers de sorciers que de sorcières ; or la magie, la sorcellerie, la superstition concernent les humains depuis qu’il y a des hommes. Les Grecs, les Romains, les Celtes, les Germains, les Francs, les Scandinaves, les Slaves les connaissent et vivent avec. L’Ancien Testament, le Nouveau, mais aussi la Torah ou le Coran, sans oublier les Pères de l’Église, valident l’existence de personnes à même de convoquer les forces du cosmos pour lui demander une aide à des fins de bonnes ou de mauvaises actions. Qu’est-ce donc d’autre que fait le prêtre quand, magie blanche, il prie pour la guérison d’un malade ou que, magie noire, il invoque Dieu pour que, dans un combat, sa divinité massacre les ennemis qu’il aura désignés ?

 

 Mais les femmes sont en ligne de mire dans ce combat du judéo-christianisme qui s’appuie sur ce verset de l’Exode : « Tu ne laisseras pas vivre la sorcière » (22, 17), pour justifier que, pendant plusieurs siècles, des centaines de milliers de sorcières soient condamnées à mourir dans les flammes du bûcher. Pour quelles raisons ? Parce que, redisons-le, la première d’entre elles a voulu savoir quand Dieu lui demandait d’obéir. Ce que le christianisme persécute dans la sorcière, c’est la femme qui sait et qui procède d’Ève, celle qui a voulu savoir et, de ce fait, a précipité la sortie du paradis originel.

 

 Sans cette femme, les hommes, dit la Genèse, n’auraient connu ni la mort, ni la souffrance, ni le travail, ni la pudeur. Dès lors, les femmes connaîtront la guerre des sexes, l’enfantement dans la douleur, la domination des hommes sur elles. Dieu a chassé Adam et Ève du jardin des délices pour éviter qu’après avoir goûté du fruit de l’arbre de la connaissance, qui les rend pareils à Dieu pour le savoir, ils n’aient envie de goûter celui de vie, qui les rendrait semblables à Dieu pour la vie éternelle. Ève se trouve donc nommée telle par Adam ; étymologiquement, son nom procède de l’hébreu qui signifie vivre. C’est la vie que condamne l’Église quand elle attaque une sorcière, la vie et ce qui, dans la vie, veut la vie.

 

 Que la Bible soit misogyne et phallocrate, pour employer des mots contemporains, cela ne fait aucun doute. De l’Ancien Testament, qui fait d’Ève la cause de la négativité par son choix qui génère le mal, au Nouveau Testament, qui célèbre une femme, Marie, mais pourvu qu’elle soit vierge et mère en même temps (une prouesse anatomique tant qu’ontologique…), sans oublier les textes pauliniens qui accablent les femmes et ne les sauvent que si elles sont mariées, mères de famille, abstinentes sexuellement et soumises à leurs maris, les citations ne manquent pas.

 

 Jésus n’a rien dit contre aucune d’entre elles, et quand il a parlé, c’était plutôt en leur faveur, de la femme adultère à celle qui lui oint les pieds avec un parfum au prix dispendieux, en passant par le fait qu’il demande à boire à une Samaritaine de mauvaise vie. Mais le judéo-christianisme paulinien s’est construit en haine et mépris des femmes. La sorcière pourchassée par l’Église, c’est la femme parce qu’elle est femme et qu’en tant que femme, elle est le péché. La patristique, comme un seul homme, accable les femmes pendant des siècles – d’Augustin d’Hippone à Thomas d’Aquin, la femme est réduite à son sexe qui est le sexe faible, parce que pécheur.

 

 Ce sexe est aussi le sexe. Autrement dit l’incarnation d’une inextinguible libido. La physiologie des hommes est ainsi faite que le plaisir leur est simple et facile; il s’avère donc d’autant plus fruste et rudimentaire, sommaire et primitif, brutal et grossier. La contraception est réservée aux femmes qui disposent d’une pharmacopée ; les pauvres bougresses des campagnes enchaînent les maternités, souvent mortelles, et les assauts d’hommes pour lesquels l’acte sexuel est plus parent du viol que de l’art érotique que les Orientaux enseignent. L’absence d’érotique chrétienne doublée d’un mépris des femmes fait un mystère de la sexualité des femmes.

 

 Il leur faut en effet moins de corps et de chair que les hommes et plus d’âme qu’eux. Dès lors, elles ont besoin d’un temps que le mâle ne donne pas, tout à son plaisir égotiste. Le plaisir simple et simpliste des hommes fait face au plaisir complexe et élaboré des femmes. La jouissance leur est moins mécaniquement facile parce qu’elle s’avère plus spirituelle, plus cérébrale. Un acte sexuel satisfait sans grands frais tout mammifère masculin alors qu’il exige des hommes plus que la plupart ne peuvent ou ne savent donner. Dès lors, elles semblent un puits sans fond, un tonneau des Danaïdes, un monstre assoiffé de l’énergie des hommes qui ne suffit jamais. La sorcière porte cette libido.

 

 Jeanne de Brigue et Macette deviennent amies et complices en sorcellerie parce que, comme la plupart des femmes, elles subissent la testostérone de leurs partenaires. Engrossées, frappées, maltraitées, négligées, négligées, méprisées, utilisées comme des objets sexuels, les deux alliées ont recours à des remèdes de bonne femme – cire vierge et poix mêlées et chauffées, venin de crapauds nourris au lait de femme, onguents administrés de nuit… Elles veulent sortir de leur condition et ne veulent pas le mal gratuitement mais le mal contre ceux qui leur en infligent.

 

 Ces femmes manifestent un savoir. Certes, on peut sourire de ces médecines populaires, mais il faudrait les comparer à ce qui passe à l’époque pour de la médecine savante ! Les médecins qui paraissent les plus au point effectuent des saignées pour soigner des gens qui arrivent avec une plaie déjà sanguinolente, on soigne les maux de gorge en faisant ingurgiter les excréments d’un jeune homme en bonne santé avec du miel et l’on délaie l’urine d’un homme roux dans de l’eau pour cicatriser les plaies et les ulcères, on grille des poux que l’on mélange à du jaune d’œuf et que l’on avale pour arrêter la toux, on cuit des vers de terre dans de l’eau pour appliquer sur les lésions, etc. Que l’hôpital lecteur d’Hippocrate et de Galien avec ses poux et ses vers de terre, son urine de roux et ses excréments de jeune garçon, se moque de la charité qui se transmet des recettes avec de la cire, de la poix et des crapauds de génération en génération ne manque pas de piquant. Mais l’Église se veut du côté des modernes (chrétiens) des villes contre les anciens (païens) des champs.

 

 Or, l’opposition n’est pas si nette entre urbains qui savent et ruraux qui ignorent. Jeanne de Brigue et Macette, on l’a vu, citent des versets de l’Évangile selon Jean, elles font leurs prières, elles disent à plusieurs reprises le Notre Père et le Je vous salue Marie. Bien sûr, elles convoquent le diable, mais l’Église y croit. Très sérieusement, Tertullien, Tatien, Jérôme, Irénée de Lyon, Cyprien, Jean Chrysostome, Grégoire de Nysse, Ambroise de Milan, Basile de Césarée, Justin, Origène, Augustin, Thomas d’Aquin et tant d’autres dissertent sur sa nature, ses fonctions, sa puissance, son être, les modalités de son action. Haussibut de Jeanne de Brigue n’est pas moins déraisonnable que Belzébuth, Satan ou Lucifer adoubés par les théologiens.

 

 Femme, rurale vivant dans la campagne briarde, rebelle à la domination masculine, activant la pharmacopée populaire, poétique, mythique, mais parfois, aussi, pour des raisons empiriques, une pharmacopée efficace, du moins, pas moins efficace que la pharmacopée dite universitaire, Jeanne de Brigue et sa copine Macette ont beau citer saint Jean et invoquer leur Père qui est aux cieux ou Marie pleine de grâce, cela ne suffit pas pour que l’Église tolère ce que nous appellerions aujourd’hui une pareille sororité féministe. Le bûcher vous dis-je…

 

 La philosophie médiévale constitue la sorcellerie. Elle n’est pas une arme de guerre contre la déraison, mais une arme de destruction massive des sorcières : Le Marteau des sorcières de Henry Institoris et de Jacques Sprenger date de 1486. Il paraît avec l’approbation de l’université de Cologne. C’est un gros ouvrage qui puise abondamment dans la philosophie scolastique : Thomas d’Aquin, massivement, mais aussi chez les Pères de l’Église, saint Augustin, Isidore de Séville, Grégoire le Grand, saint Jérôme, Denys l’Aréopagite ou bien encore chez les philosophes du moment Duns Scot, Nicolas de Lyre, Paul de Burgos, Antonin de Florence. La philosophie et la raison contribuent au bûcher ; l’une et l’autre envoient au tribunal, en prison, au feu purificateur.

 

 Pourquoi Le Marteau des sorcières ? Le titre latin est Malleus maleficarum, ce qui peut se traduire indistinctement par : Maillet des maléfiques, Maillet des sorcières ou Marteau des maléfiques, Marteau des sorcières. Le marteau est l’instrument de prédilection de Nietzsche pour philosopher – c’est avec lui qu’on brise et broie, pulvérise et aplatit, éparpille et dissémine. Dans ce cas, il est l’outil avec lequel se trouve brisée l’orthodoxie catholique. Celui qui tient ce marteau (en fer) ou ce maillet (en bois) et en use est donc un hérétique.

 

 Jacques Sprenger est un dominicain formé à la faculté de théologie de Cologne ; il y obtient un doctorat ; il devient professeur titulaire de la faculté de théologie ; il y est élu doyen par ses pairs ; il est également nommé prieur par les siens ; disciple d’Alain de la Roche, un dominicain breton qui fonde les confréries du Rosaire et développe la dévotion du chapelet, il est un dévot de la piété mariale – on dit même que la Vierge lui fit l’honneur d’une apparition dans le cloître de son couvent où il a rapporté les reliques d’un doigt de sainte Anne. En février 1479, cet intellectuel formé à la théologie haut de gamme est initié à la pratique inquisitoriale. Il meurt âgé de soixante ans en visite chez des sœurs dominicaines à Strasbourg.

 

 Son compagnon d’écriture, Henry Institoris, est lui aussi dominicain, lecteur, puis docteur en théologie, enfin prieur. Impérieux, ombrageux, coléreux, il collecte des fonds pour la croisade contre les Turcs ; il fait brûler des livres ; il assiste à de nombreux procès suivis de mises à mort sur les bûchers ; il écrit contre les hérésies et organise des disputes contre les hérétiques ; il défend mordicus le droit du pape à diriger les affaires temporelles. Rappelons que l’année où paraît le Marteau, 1486, le pape Innocent VIII remercie Laurent le Magnifique en mariant son fils (le propre fils du pape, donc…) avec la fille du mécène ; il ajoute à cela un cadeau au fils du Magnifique, prénommé Laurent lui aussi, qu’il élève à la dignité de cardinal – le petit garçon, qui a alors treize ans, sera pape et connu sous le nom de Léon X… C’est au même Innocent VIII qu’on doit la bulle Désireux d’ardeur suprême qui, le 5 décembre 1484, permet à l’Inquisition d’agir en matière de sorcellerie. Institoris meurt à soixante-quinze ans, vers 1505.

 

 Sprenger et Institoris sont à la théologie de l’Inquisition ce que Deleuze et Guattari furent à la philosophie des seventies – un must. Le livre est écrit par Institoris, certes, avec Sprenger, son compagnon d’Inquisition en Europe, toutefois le premier est à l’origine de presque tout l’ouvrage. Mais, pour des raisons éditoriales, Sprenger se mouvait de son vivant et post mortem dans une odeur de sainteté très efficace pour faire du livre un best-seller. Ce qu’il fut, puisqu’il y eut 34 éditions dans toute l’Europe entre 1486 et 1669 – Italie, France, Suisse, Empire germanique, Pays-Bas, Espagne… Environ 30 000 exemplaires de ce livre qui servit de manuel des inquisiteurs contre les sorcières furent alors écoulés dans tous ces pays.

 

 En fait, ce qui oppose l’inquisiteur à la sorcière est simple : le premier est du côté de l’institution, il a l’université avec lui, il se réclame des lectures autorisées et des auteurs canoniques, il est soutenu par l’Église catholique et le pouvoir du Vatican ; il prétend disposer du fil d’Ariane pour se déplacer dans les labyrinthes contradictoires de la Bible et il manie à la perfection les circonlocutions de la Somme théologique de Thomas d’Aquin, il jongle avec la raison patristique et joue avec la rhétorique scolastique. C’est une figure d’autorité et d’ordre qui est la loi, qui fait la loi, qui dit la loi. Le Livre est avec l’inquisiteur, mais il ne sait pas lire la nature. Il est un homme, comme saint Paul.

 

 La seconde, en revanche, se trouve du côté de la liberté et de la nature : la sorcière connaît les champs et les forêts, les ruisseaux et les mares, les étangs et les rivières ; elle maîtrise les herbes et les plantes avec lesquelles elle confectionne des potions et des onguents qui soignent et guérissent ou bien qui empoisonnent et intoxiquent ; elle n’ignore rien des mouvements de la Lune montante et descendante, croissante et décroissante, elle sait son effet sur tout ce qui est vivant ; elle vit avec les crapauds des marais et les chauves-souris des grottes, les serpents des fourrés et les anguilles des rivières ; elle dispose d’un savoir empirique transmis de manière orale depuis la nuit des temps. La sorcière ne sait pas lire, mais la nature est avec elle. Elle est une femme, comme Ève.

 

 Les deux dominicains l’avouent. Parlant de la façon d’enlever les maléfices, ils disent : « Ce genre de superstition ne s’apprend pas dans les livres et n’est pas pratiqué par des gens instruits. Il est l’œuvre de gens qui sont totalement des non-experts. Aussi à qui n’a que cette base sans expérience et démonstration pratique, il est impossible de s’adonner aux maléfices comme un sorcier. » Pas de savoir livresque, donc, mais une connaissance empirique, dite et racontée, donnée et transmise de bouche à oreille. Il faut de l’expérience et de la démonstration pratique : autrement dit, une sapience populaire venue… d’Ève !

 

 Le Marteau des sorcières entame son réquisitoire contre les femmes en allant chercher toute la littérature misogyne susceptible d’être mobilisée en pareil cas. Il n’est pas bien difficile de citer les textes de la Bible, les philosophes païens, les penseurs chrétiens, les Pères de l’Église, les grands noms de la scolastique. Il suffit de se baisser pour ramasser les lieux communs les plus éculés : incapables de penser, gouvernées par leur ventre, inaptes à la philosophie, dépourvues d’intelligence, jalouses, colériques, envieuses, ressentimenteuses, méchantes, elles manquent de mémoire, elles sont infidèles, adultères, libidinales, menteuses et séductrices, elles aiment le luxe, elles sont ambitieuses, fornicatrices, etc.

 

 Les citations sont accumulées ; les démonstrations aussi. Ainsi celle qui s’appuie sur l’étymologie. Puisant dans les Origines d’Isidore de Séville, cette preuve : « Femina vient de Fe et Minus, car toujours elle a et elle garde moins de foi. Ceci par nature quant à la fidélité ; mais par nature et par grâce dans la bienheureuse Vierge Marie la foi jamais ne défaille, alors que pourtant chez tous les hommes elle faiblit au temps de la passion du Christ. Donc une mauvaise femme, qui par nature doute plus vite dans la foi, plus vite aussi abjure la foi, ce qui est fondamental chez les sorcières » (XI, 2). Pour information : Littré précise que le mot procède du « radical foe, qui se trouve dans fœtus, fecundus, et de mina, suffixe participial, de sorte que foemina, participe du moyen, signifie celle qui nourrit, allaite »… On remarque qu’il y a d’un côté les hommes, dont la foi faiblit ; de l’autre les femmes, dont la foi faiblit encore plus et plus fort et plus vite ; et ailleurs, la Vierge Marie dont la foi ne faiblit et ne faut jamais. La femme n’a donc de salut possible qu’en se faisant semblable à la Vierge.

 

 Ou bien encore, cette preuve de l’infériorité des femmes qui s’appuie sur l’anatomie : « On pourrait noter d’ailleurs qu’il y a comme un défaut dans la formation de la première femme, puisqu’elle a été faite d’une côte courbe, c’est-à-dire d’une côte de la poitrine, tordue et comme opposée à l’homme. Il découle [sic] aussi de ce défaut que comme un vivant imparfait, elle déçoit toujours. » Où l’on voit que le texte sacré, la Genèse, est interprété avec toute la symbolique nécessaire. La provenance de la côte d’Adam est une vérité révélée dans un verset de la Bible ; or, la côte est anatomiquement courbe, chacun peut s’en apercevoir ; donc, la femme créée dans une côte ne pourra être que courbe. Syllogistiquement imparable, donc théologiquement vrai.

 

 Ou bien cette autre preuve par la zoologie accouplée à la théologie catholique : Sprenger et Institoris citent cette fois-ci deux saints martyrs en Afrique du IIIe siècle, Valère qui écrit à Rufin dans Lettre d’un certain Valère à un certain Rufin « pour qu’il ne prenne pas femme » : « Tu ne sais pas que la femme est une chimère, mais tu dois le savoir. Ce monstre prend une triple forme : il se pare de la noble face d’un lion rayonnant ; il se souille d’un ventre de chèvre ; il est armé de la queue venimeuse d’un scorpion. Ce qui veut dire : son aspect est beau ; son contact fétide ; sa compagnie mortelle. » Le performatif catholique est d’une redoutable efficacité : point n’est besoin de démontrer ce qu’il suffit d’affirmer. Et quand la chose a été dite par des saints, à qui viendrait l’idée d’en douter ?

 

 Cette accumulation de citations misogynes procède d’une seule et même raison : la haine de la femme célibataire qui dispose de toute sa liberté pour être et faire ce qu’elle veut. « C’est un défaut naturel chez elles de ne pas vouloir être gouvernées mais de suivre leurs mouvements sans aucune retenue. » La femme sans mari, la femme sans homme, la femme sans époux, la femme sans compagnon, la femme qui ne prend pas ses ordres chez un mâle : voilà l’ennemie ! Car elle est animée par une libido sans objet fixe, donc elle incarne, au sens étymologique, la plus dangereuse des calamités pour un homme. Le désir sans fin d’une femme met l’homme devant son incapacité à satisfaire cet appétit vorace comme une bouche diabolique.

 

 Voilà pourquoi, libidinales à souhait, elles disposent de « sept méthodes pour infecter magiquement l’acte vénérien et le fœtus conçus » : entraîner les hommes dans un amour désordonné ; bloquer leur puissance génésique ; faire disparaître leur pénis ; transformer les hommes en bêtes ; ruiner la fécondité des femmes ; provoquer des fausses couches ; offrir des enfants aux démons. Dans le vocabulaire contemporain : l’amour passion, l’impuissance, la castration, la métamorphose, la stérilité, l’avortement, l’infanticide. À coups de citations de Thomas et d’Augustin, d’Ancien et de Nouveau Testament, de décrétales et de Code justinien, Sprenger et Institoris expliquent avec force dialectique scolastique que toutes ces choses-là ont bien lieu. La vraie cause de cette furie chez la femme ? « Parce qu’elle est plus charnelle que l’homme. » C’est donc la féminité de la femme que traque l’inquisiteur dans la sorcière.

 

 Frottés de théologie et de patristique, de rhétorique et de sophistique, de philosophie et de droit canonique, nos deux dominicains précisent ceci au milieu d’un fort volume de plus de 500 pages : « Puisque nous travaillons ici en matière de morale, il n’est pas nécessaire d’entasser des arguments et des explications multiples : ce qui viendra dans les chapitres suivants a déjà été suffisamment discuté dans les précédentes questions. D’où devant Dieu nous prions le lecteur de ne pas chercher partout une démonstration quand suffit une juste probabilité, concluant à la vérité de ce qui ressort soit de l’expérience personnelle par vision et audition, soit des relations de témoins dignes de foi. » Autrement dit : nonobstant la quantité d’arguments et de démonstrations, de citations et de gloses, de raisonnements et de déductions, choses qui, toutefois, ne nous sont pas épargnées par les deux compères, ils concluent que, foin de la théorie, on se contentera de ce qu’on a vu ou entendu ou de ce qu’on nous aura dit. Où l’on retrouve la logique du Manuel des inquisiteurs de Nicolas Eymerich : nul besoin de débats et de discours, de preuves et de conclusions, une « juste probabilité », autrement dit juste une probabilité, suffit !

 

 Certes, les théologiens démontrent, mais pas besoin de démonstrations ; certes ils dissertent, mais pas besoin de dissertations ; certes ils argumentent, mais pas besoin d’argumentations : un voisin qui dénonce un comportement suspect, un mot de travers surpris dans une conversation, et voilà qui suffit pour conclure à l’existence d’une sorcière. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir franchement un aveu. Ainsi, celui de l’une d’entre elles qui, au cours de la messe, alors que le prêtre salue les fidèles avec un habituel « Le Seigneur est avec vous » s’entend répondre en douce « Retourne-moi la langue dans le cul » – on peut alors, en effet, croire ce qu’on a entendu sans avoir besoin de convoquer la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin…

 

 Que font-elles ? Que leur doit-on ? Tout ce qui constitue une variation sur le thème du mal : les épidémies, les tempêtes, le tonnerre, la foudre, les éclairs, la grêle, les inondations, la folie, l’impuissance sexuelle, la stérilité, la mort des enfants en couches, le trépas des petits et des gros animaux, leurs maladies, la pourriture des récoltes, des fruits et des légumes, les ravages dans les vergers et les pâturages, les tourments internes et externes, autrement dit la corruption des corps et celle des âmes, la métamorphose des humains en bêtes, l’invisibilité de tout ce qu’elles veulent rendre invisible, le pénis en priorité, les infirmités, les nombreux enfants que la consanguinité fait naître monstrueux, les maladies, toutes les maladies, la disparition des enfants (souvent volés au Moyen Âge) – et tout ce à quoi on n’aurait pas pensé. Le Mal, c’est la Sorcière ; la Sorcière, c’est la Femme ; la Femme, c’est le Mal. Dieu l’a dit, saint Paul aussi, les Pères de l’Église également, les philosophes et les théologiens aussi. Ainsi soit-il.

 

 Comment peuvent-elles agir ? Grâce à des onguents fabriqués après avoir passé un pacte avec le diable : aviser des enfants, non baptisés de préférence ; les étouffer pendant leur sommeil et celui des parents qui enterrent alors leur progéniture croyant à une mort naturelle pendant leur sommeil ; se rendre au cimetière et creuser la tombe pour s’emparer du petit cadavre. Puis… Laissons parler l’une d’entre elles qui aurait dit ceci à un inquisiteur : « Nous les mettons à cuire dans un chaudron jusqu’à ce que toute la chair se détache des os et devienne bien liquide. De l’élément le plus solide nous faisons un onguent qui nous sert pour nos artifices, nos plaisirs et nos transports. Avec l’élément le plus liquide, nous remplissons un récipient comme une outre : celui qui en boira en s’accompagnant de quelques cérémonies acquiert immédiatement toute connaissance et devient maître de notre secte. » La maîtrise de la pensée thomiste ne rend pas intelligent ; la preuve est faite. Car Sprenger et Institoris souscrivent à ces propos délirants dont on n’est pas même certain qu’ils aient été tenus – à moins que les dispositifs de l’Inquisition utilisés pour le procès, dont la torture, justifient un pareil procès-verbal.

 

 Donc, l’onguent fait avec la charcuterie infantile sert aux transports des sorcières… Les deux dominicains consacrent un plein chapitre à cette question : « Comment les sorcières se transportent d’un endroit à un autre ». On dit qu’elles chevauchent des bêtes dans la nuit avec une déesse païenne ; ridicule, disent les deux compères. En revanche, ils ne trouvent pas sot ou niais de souscrire à ce propos : « Les sorcières, sur l’instruction du diable, font un onguent avec le corps des enfants, surtout de ceux tués par elles avant le baptême ; elles enduisent de cet onguent une chaise ou un morceau de bois. Aussitôt elles s’élèvent dans les airs, soit de jour soit de nuit ; soit visiblement soit (à volonté) invisiblement. » L’iconographie n’a pas retenu de sorcières à califourchon sur une chaise ; en revanche, elle a éternisé sa figure chevauchant un balai – le morceau de bois du marteau…

 

 Depuis le Moyen Âge en effet, dans le ciel de la nuit de pleine lune, les sorcières chevauchent un balai pour rejoindre le sabbat au cours duquel, réunies, elles fomentent leurs maléfices. Pourquoi un balai ? Le freudisme qui a peu fait pour la science mais beaucoup pour l’humour y voit, bien sûr, un symbole phallique. Poussant le ridicule de l’analyse, les psychanalystes expliquent même que le bois du balai correspond au pénis et son faisceau de brindilles à la toison pubienne… Nous ne sommes guère plus avancés dans l’intelligence qu’avec Artémidore d’Éphèse qui, au IIe siècle de l’ère commune, racontait dans La Clé des songes qu’un athlète qui devait participer à une course ayant rêvé qu’il balayait un conduit d’eau plein d’ordures et de boue pour le nettoyer « se fit donner un lavement et, après avoir fait évacuer de son ventre les excréments, devenu pied agile et léger, il remporta la course »… D’aucuns font encore fortune à Paris, et ailleurs, avec ce genre de pensée magique.

 

 Mais, pourquoi diable recourir à un symbole quand la tradition antique planétaire ne voit aucun inconvénient à figurer des humains à califourchon sur de grands et gros phallus ailés ? Si la sorcière devait chevaucher un phallus, pourquoi devrait-elle se contenter d’un balai aux performances aléatoires en la matière ? Pour Freud, le réel n’a jamais lieu, car il y substitue toujours du symbolique ; or son symbolique est systématiquement sexuel, et toujours phallocentrique.

 

 Il n’est pas question de nier le rôle de la pensée symbolique avant l’avènement de la pensée rationnelle – ou, chez d’autres, de la pensée symbolique en même temps que la pensée rationnelle… Dès lors, les traditions historiques renseignent plus sur le sujet que le pansexualisme freudien. Le balai peut être autre chose qu’un balai, certes, mais il n’a pas forcément vocation à devenir phallique parce que Freud assimilait tout objet pointu au phallus et tout objet creux au vagin ! Une clé dans une serrure n’est pas tenue de symboliser toujours un rapport sexuel fantasmatique…

 

 Le balai est un instrument utilisé depuis la plus haute antiquité dans les rites religieux. Il sert à nettoyer l’espace sacré des temples et des sanctuaires pour éviter que le culte ne se déroule dans un lieu sale, malpropre, pollué, maculé. On balaie un sol comme on se lave les mains ou les pieds dans certaines religions. Platon qui a longuement disserté dans le Théétète sur le statut ontologique des ongles, des cheveux et de la crasse sait qu’il en va de ces substances comme d’une dégradation de la matière qui est déjà elle-même dégradation de l’idée. Le balai sert donc à évacuer la dégradation de ce qui est dégradé pour permettre la pureté de l’office. Il est l’instrument d’une ablution sèche.

 

 Dès lors, si la sorcière chevauche le balai quand elle sort des cheminées, où elle se salit, pour rejoindre le sabbat, où elle projette de salir, c’est parce qu’elle agit à l’inverse de ceux qui balaient pour le bien : pour le mal, elle inverse les valeurs et montre qu’elle chevauche l’objet comme pour montrer qu’elle le domine, le possède, le guide, le conduit, le contraint à sa volonté, à sa loi. L’officiant écarte l’impureté ; la sorcière revendique cette même impureté comme son moteur, son carburant, sa loi, ce qui la meut. Ce que le balai vainc, elle le vainc elle-même : parce que femme, elle est la créature humide qui abolit l’ablution sèche en glissant le balai dans son entrejambe. Nul phallus dans cette aventure ; juste une figure de la transvaluation des valeurs. Vaginale, s’il fallait recourir aux mots d’une tribu freudienne.

 

 Le Marteau des sorcières est également un manuel de l’inquisiteur pour les sorcières. Il ne dit pas autre chose que les manuels qui traversent l’histoire de l’Inquisition. Des pages entières de Nicolas Eymerich se retrouvent copiées telles quelles. D’interminables chapitres précisent la validité de la dénonciation, la façon de procéder à l’arrestation, la mise en incarcération, les modalités du procès, le nombre et la qualité des témoins, l’action du juge, le déroulé de l’interrogatoire, la nature du flagrant délit, les limites à l’information de l’accusé, les conditions de la récusation du juge. On y trouve également des chapitres concernant l’usage de la torture, du fer rouge. Ou bien de l’aveu, de la repentance, de l’abjuration, de l’abjuration de l’abjuration qui définit le relaps, de la condamnation par contumace, du cas d’appel à Rome. Or ce dispositif est lui aussi démoniaque.

 

 Sprenger et Institoris montrent qu’au Moyen Âge ceux qui croient en Dieu et ceux qui croient au diable sont les mêmes. La confusion entre le réel et l’imaginaire rendue possible par le récit mythologique judéo-chrétien qui regorge d’allégories, de fables, de légendes, de paraboles, de fictions, de mythes, fait que la pensée rationnelle est tout autant magique que la pensée magique est rationnelle. L’Ancien et le Nouveau Testament, saint Augustin et saint Thomas d’Aquin, les pères de la patristique et les théologiens de la scolastique croient aux démons, à Satan, à Lucifer, au diable – comme les sorcières… Le réel est, pour les uns et pour les autres, l’évêque et la sorcière, rempli d’esprits, les vivants peuvent être morts, tout autant que les morts vivants, les squelettes s’étourdissent dans des danses macabres, les cadavres en putréfaction sortent du tombeau pour emporter avec eux tel vivant qui aura mal vécu, un homme frappe trois chats jusqu’au sang avant que le lendemain on lui prouve qu’il avait molesté trois femmes, un autre montre à un tiers qu’une sorcière lui a volé son sexe et ils sont deux à ne pas croire ce qu’ils voient mais à voir ce qu’ils croient, une femme jalouse d’avoir été écartée au profit d’une autre rend impuissant son ancien amant avec une marmite remplie d’amulettes au fond d’un puits – la sorcière croit à son maléfice mais le prêtre aussi, puisqu’il le lui reproche.

 

 Dans Le Marteau des sorcières, les dominicains thomistes avouent partager la même pensée magique que leurs ennemies jurées. Ainsi, lors du procès d’une sorcière, ils invitent le juge et les assesseurs à faire attention et observer une précaution : « C’est de ne jamais permettre que les sorcières les touchent directement, surtout pas à la jointure de la main et du bras ; et que toujours ils portent sur eux du sel exorcisé au jour des Rameaux et des herbes bénites. Ces choses-là en effet, roulées dans la cire bénite et portées autour du cou […], ont une efficacité merveilleuse de préservation. Et ceci on le sait non seulement par le témoignage des sorcières, mais par l’usage et la coutume de l’Église, qui à cette fin les exorcise et les bénit. » Les sorcières croient à la bave de crapaud, les curés au sel bénit, les unes, païennes, aux figures de cire, les autres, chrétiens, aux rouleaux de cire.

 

 La philosophie médiévale n’est pas un remède à la pensée magique, mais son auxiliaire, voire son accélérateur. Elle n’est pas le moment dans lequel la Raison donne à Dieu de bonnes raisons d’être et d’exister, mais le temps dans lequel elle fournit au mythe chrétien toute l’eau bénite qui permet d’arroser son arbre scolastique. Elle n’est pas l’instant dialectique qui prépare la raison renaissante ou la raison moderne, mais le moteur rhétorique qui augmente le caractère fabuleux du monde judéo-chrétien. Elle n’est pas l’antidote rationnel à la déraison sorcière, mais la version masculine d’une déraison pure et livresque qui demande au latin de prouver encore et encore que les femmes sont démoniaques. L’inquisiteur piétine les femmes, il croit que sa boucherie lui ouvrira les portes du ciel – elle ne fait que réaliser l’enfer chrétien sur terre.

 

Onfray, Michel. Décadence

Onfray, Michel. Décadence Flammarion.

Chacun connaît les pyramides égyptiennes, les temples grecs, le forum romain et convient que ces traces de civilisations mortes prouvent… que les civilisations meurent – donc qu’elles sont mortelles ! Notre civilisation judéo-chrétienne vieille de deux mille ans n’échappe pas à cette loi.

Du concept de Jésus, annoncé dans l’Ancien Testament et progressivement nourri d’images par des siècles d’art chrétien, à Ben Laden qui déclare la guerre à mort à notre Occident épuisé, c’est la fresque épique de notre civilisation que je propose ici.


On y trouve : des moines fous du désert, des empereurs chrétiens sanguinaires, des musulmans construisant leur « paradis à l’ombre des épées », de grands inquisiteurs, des sorcières chevauchant des balais, des procès d’animaux, des Indiens à plumes avec Montaigne dans les rues de Bordeaux, la résurrection de Lucrèce, un curé athée qui annonce la mort de Dieu, une révolution jacobine qui tue deux rois, des dictatures de gauche puis de droite, des camps de la mort bruns et rouges, un artiste qui vend ses excréments, un écrivain condamné à mort pour avoir écrit un roman, deux jeunes garçons qui se réclament de l’islam et égorgent un prêtre en plein office – sans parler de mille autres choses…

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