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Utilitarisme et nihilisme européen

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DÉLIQUESCENCE

Le nihilisme européen

 La passion de la destruction Une esthétique nihiliste

 

Milan, mai 1961.

 

 Piero Manzoni confectionne 90 boîtes de merde d’artiste. En mai 1961, à Milan, Piero Manzoni, fils d’un fabricant de viandes en conserve nommées Manzotini, défèque dans une bassine et remplit 90 boîtes de conserve chacune de trente grammes de ses excréments. Il écrit sur chacune d’entre elles : Merde d’artiste. Contenu net gr. 30. Conservée au naturel. Produite et mise en boîte au mois de mai 1961. Le tout est dûment numéroté, étiqueté, signé. Le prix de l’œuvre est indexé par l’artiste sur celui de l’or : sa matière fécale se vend donc au prix de l’or. Le cours du jour faisant la loi. Des années plus tard, la matière fécale de Manzoni n’est pas vendue au prix de l’or, mais à celui de la mine d’or. L’une de ces boîtes s’est vendue en effet aux alentours de 130 000 euros. L’ensemble de l’œuvre, autrement dit les 90 boîtes, passe le million d’euros. Que s’est-il passé pour qu’en un demi-siècle cette œuvre atteigne ces sommets sur le marché de l’art et, pour ses ennemis autant que pour ses thuriféraires, qu’elle soit devenue emblématique de l’art dit contemporain ? La déjection d’un artiste coûte bien plus cher que l’or – était-ce la leçon que souhaitait donner Manzoni ? À moins qu’il ne faille souscrire à la lecture de l’événement en regard du simple ressentiment, son ami Ettore Sordini affirmant sans ambages lors d’un entretien avec Martina Cardelli le 27 décembre 2000 : « La vente des “merdes d’artiste” au prix de l’or était bien évidemment [sic] un acte polémique contre le marché de l’art qui ne lui achetait rien » (Piero Manzoni, Contre rien).

 

 Piero Manzoni est une comète dans le ciel de l’art européen : il naît en 1933 et meurt à vingt-neuf ans d’une cirrhose du foie et du froid de son atelier, dit Danielle Orhan, d’une attaque cardiaque, cardiaque, disent d’autres… Pendant ce bref temps, on lui doit un certain nombre de performances, dont celles-ci, toutes réalisées en 1960 : signer et tamponner de couleurs des corps d’impétrants et les nommer Sculptures vivantes après avoir certifié la transfiguration par un certificat ; remplir d’air des ballons nommés Souffles d’artiste et les présenter comme une production de Corps d’air ; marquer 70 œufs durs avec ses empreintes digitales encrées, les distribuer au public qui les mange, puis baptiser cette performance Consommation d’art dynamique par le public dévorateur d’art. Outre le corps humain dans sa totalité, et ses propres déjections en particulier, Manzoni a travaillé des matériaux comme le poil de lapin, les billes de polystyrène, le pain, le coton. On lui doit aussi des Achromes en 1957.

 

 Si Manzoni est possible en 1960, c’est parce que Duchamp a eu lieu en 1913, soit presque un demi-siècle en amont… Duchamp et son premier ready-made, Roue de bicyclette. Encore que cette œuvre nécessite une intervention manuelle, en l’occurrence la fixation de la roue de bicyclette sur le socle du tabouret et que, de ce fait, cet artefact reste lié à une démarche artisanale qui, en plus de l’intention du geste, suppose le faire et la main. Ce qui n’est pas le cas avec le Porte-Bouteilles de 1914 ou Fontaine de 1917 qui, tous deux, relèvent absolument du ready-made, du « tout fait » si l’on veut une traduction. Il s’agit en effet de deux objets manufacturés sur lesquels l’intervention de l’artiste n’est à aucun moment manuelle, sinon la signature sur l’urinoir, et qui doivent leur statut d’œuvre d’art au seul vouloir conceptuel de l’artiste. La Roue de bicyclette nécessite un geste manuel ; Porte-Bouteilles et Fontaine, un pur geste conceptuel, une intention esthétique.

 

 Constatons que cette mort de l’art classique coïncide avec la Première Guerre mondiale. Avant guerre, Duchamp lui-même peint des toiles de facture classique : en témoignent des œuvres de jeunesse, telle L’Église de Blainville (1902) parmi d’autres toiles du village, le Portrait de Marcel Lefrançois (1904), le Portrait d’Yvonne Duchamp (1909), la Femme nue aux bas noirs (1910), le Portrait du père de l’artiste (1910), le Portrait du docteur Dumouchel (1910), La Partie d’échecs (1910), Le Printemps, Portrait ou Dulcinée (1911) et une dizaine d’autres œuvres attestant que celui qui, dans cinq ou six ans, va ravager l’art classique ne trouve alors pas indigne de peindre le clocher de son village natal, ses amis, ses parents, sa sœur et son père, ses frères et ses belles-sœurs, ses proches.

 

 Marcel Duchamp, fils de notaire normand, peint alors en notaire de province des figures et des corps, des scènes et des situations, des allures et des vues dans l’esprit des impressionnistes, puis de Cézanne, puis des fauves, puis des cubistes. Quand il découvre le futurisme, dont le Manifeste paraît dans Le Figaro en 1909, il peint dans l’esprit cinétique et bergsonien de cette sensibilité nouvelle et signe un Nu descendant un escalier (1912). On y devine le corps fondu dans son mouvement, un dans sa totalité malgré sa multiplicité dans son déplacement, mais le réel s’y trouve encore. Un peu plus tard, il peint dans l’esprit cubiste.

 

On dit peu qu’à cette époque Duchamp hésite entre une carrière de peintre et une autre, celle… d’humoriste ! Ce qu’il est devenu dans l’histoire de l’art occidental montre qu’il a réussi sans trancher… En 1905, à Montmartre, il découvre l’esprit fumiste qui imprègne une bande ayant exposé au Salon des Incohérents. Émile Goudeau crée un club des Hydropathes en 1878 – avec un tel patronyme, il ne pouvait que fonder pareille communauté allergique à l’eau ! Avec ses amis, il organise chahuts et bazars, pétards et brouhahas, feux d’artifice et lectures de jeunes auteurs alors méconnus – Paul Bourget, Maupassant ou Charles Cros… Leur journal, L’Hydropathe, rapporte les événements. Jusqu’à 300 personnes assistent à ces chahuts parisiens. En 1881, les Hydropathes cessent leurs activités. Mais ils sont bien vite remplacés par d’autres extravagants : zutistes, hirsutes, je-m’en-foutistes.

 

 Cette bohème insolite comporte un petit groupe qui gravite autour de Jules Lévy : les Incohérents. Ce courtier qui travaille chez Flammarion organise un salon dont le principe se trouve clairement énoncé : « une exposition de dessins par des gens qui ne savent pas dessiner ». Pendant dix ans, entre 1882 et 1893, l’esprit potache, la franche rigolade, la plaisanterie déchaînée, l’ironie radicale remplissent les expositions sur tous types de supports : sculptures, journaux, affiches, assemblages, dessins, cartons d’invitation, bals costumés, bas-reliefs, revues, catalogues, rébus, jeux de mots, almanachs.

 

 Le 2 août 1882, Jules Lévy inaugure son exposition dans les décombres d’un immeuble ravagé par une explosion de gaz. Les bénéfices d’une tombola sont affectés aux victimes de ce sinistre. Quand Lévy préface le catalogue de 1884, il écrit : « Le sérieux, voilà l’ennemi de l’Incohérence. » On trouve dans la bande de Lévy absolument tout ce qui se retrouve chez Duchamp et les siens des années plus tard : jeux de mots, ready-made, monochromes, concerts de silence, peinture sur le cadre, révolution des supports et des subjectiles. Dans cette faune déchaînée, on trouve un autre Normand, Alphonse Allais, qui décline ainsi son identité : « Né à Honfleur de parents français mais honnêtes ; élève de l’École anormale inférieure. » En 1883, il expose une toile intitulée Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige – on s’en doute, un monochrome blanc. L’année suivante : Récolte de la tomate par des cardinaux apoplectiques au bord de la mer Rouge – faut-il le préciser, un monochrome rouge. Le procédé se trouve déjà chez Paul Bilhaud qui, en 1882, expose un Combat de nègres dans une cave pendant la nuit dont la planche est publiée par le même Alphonse Allais dans son Album primo-avrilesque en 1887. En 1884,

 

 Alphonse Allais forge une extravagante formule qui, de manière sidérante, devient vraie : en plein XIXe, il se dit en effet l’« élève des maîtres du XXe siècle » ! Comment ne pas lui donner tort ? Car, bien avant les moments emblématiques de l’art du XXe siècle, les Incohérents inventent déjà tout : Yves Klein en 1949 ? Le Monochrome de Bilhaud date de 1882. John Cage et son concert de 4’33 de silence en 1952 ? Le Concert de silence est déjà une œuvre d’Alphonse Allais datant de 1897 : Marche funèbre composée pour les funérailles d’un grand homme sourd et qui se présente comme une partition vierge de notes parce que « les grandes douleurs sont muettes ». L.H.O.O.Q. (lire, bien sûr : Elle a chaud au cul…) et autres plaisanteries de Marcel Duchamp en 1917 ? Les jeux de mots de La Grammaire incohérente de Béni-Etcoetera sont déjà convoqués en 1886, dont L’M.A.K.B. ou L’A.E.OU.U… Le Porte-Bouteilles, ce fameux premier ready-made du même Duchamp en 1914 ? Il est déjà annoncé par l’exposition de bretelles de la marque tour Eiffel telles qu’elles sont présentées dans leur boîte de mercerie à l’exposition de 1882. La révolution des supports initiée par Duchamp avec la faïence de sa Fontaine (1917), la sculpture d’une étoile filante dans son cuir chevelu et ses élevages de poussières ?

 

 On la trouve déjà dans des peintures sur pot de chambre, sur cervelas à l’ail, sur papier de verre, sur un cheval vivant, sinon dans les sculptures sur fromage ou avec des légumes exposées en 1889. Bien avant la Merde d’artiste (1961) de Manzoni, les Incohérents utilisent des sécrétions corporelles en réalisant des aquarelles avec leur salive.

 

 Les Incohérents dynamitent également le système de l’art avec ses salons et ses jurys, ses coulisses minables et ses prescriptions lucratives. Ils créent ainsi des jurys avec des membres tirés au sort. Sur le même principe, de façon aléatoire, ils distribuent des médailles en chocolat. Ils parodient les vernissages, foire aux vanités depuis toujours, toujours, à coups de grosses bouffonneries, de rires hénaurmes, de caricatures outrancières et d’ironie sauvage. Pour moquer les artistes désireux d’être subversifs tout en souhaitant que l’État distingue leur subversion, ils inventent une rosette multicolore de l’ordre des Incohérents, mais elle a pour caractéristique de ne devoir jamais être portée. Ils organisent enfin des dîners gargantuesques et des fêtes bachiques dans lesquelles les journées inaugurales disparaissent dans les vapeurs d’alcool.

 

 En 1905, Duchamp découvre cette partie de l’histoire de l’art, voire de contre-histoire de l’art, en prenant connaissance des catalogues, sinon en rencontrant tel ou tel des protagonistes de cette époque dans les cafés de la bohème ou chez des amis. Deux ans plus tard, en 1907, il expose au premier Salon des artistes humoristes au palais des Glaces. Il y présente deux œuvres : Femme-cocher – Tarif horo-kilométrique et Le Lapin, Flirt (« Elle : Voulez-vous que je joue Sur les flots bleus ; vous verrez comme ce piano rend bien l’impression qui se dégage du titre ? Lui [spirituel] : Ça n’a rien d’étonnant, mademoiselle, c’est un piano… aqueux »), puis Inquiétude du cocu, ainsi que Les Toiles de X (« Elles ne sont même pas bonnes à f… aux cabinets »). En 1911, selon ses confidences, il fait entrer l’humour dans ses tableaux en peignant ses deux sœurs dans Yvonne et Magdeleine déchiquetées : leurs profils se trouvent comme déchirés et disposés au hasard sur la toile, de sorte qu’ils semblent flotter. En octobre de la même année, il portraitise la même Magdeleine assise en train de lire et titre : À propos de jeune sœur pendant qu’au dos de la toile on peut lire : Une étude de femme / Merde. Où l’on voit que les cabinets et la merde entrent dans la danse esthétique.

 

 Marcel Duchamp ne dit rien des Incohérents et de Jules Lévy, rien d’Alphonse Allais et de ce que l’on pourrait nommer les performances que sont les extravagances et les folies des zutistes, les monômes et les chahuts des Hydropathes, les cocasseries et les bouffonneries des Fumistes et, justement, les farces et les délires des Incohérents, rien des monochromes de Paul Bilhaud et des jeux de mots pré-lacaniens de Béni-Etcoetera. En art, comme dans toute autre activité intellectuelle, on cite rarement ceux que l’on pille parce qu’ils éveillent. Mais on ne peut imaginer que, connaissant ce mouvement, il ne s’en soit pas inspiré.

 

 Parmi de nombreux autres artistes, Duchamp fréquente Apollinaire et Picabia, Léger et Boccioni, Gleizes et André Mare. Puis, en 1912, sur les conseils de lecture de Picabia, à Munich, il tombe sous le charme de L’Unique et sa propriété de Stirner et d’Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche. Il est plus facile de placer son magistère sous le signe de ces deux figures emblématiques de la radicalité individualiste et de la destruction des valeurs occidentales que de Jules Lévy. En 1844, Stirner, hégélien de gauche, publie ce livre de feu qui se résume en une seule phrase : il n’y a que moi, Je, et j’ai tous les droits. De sorte que ce qui n’est pas moi, je peux le détruire, le casser, le briser, l’écarter, le combattre, l’éviter, lui nuire – tout est possible, pourvu que je puisse exacerber ce Je qui est Tout.

 

 Stirner est le premier penseur du nihilisme postchrétien, bien avant Nietzsche qui naît l’année où paraît son livre. Il paraît probable que l’auteur de Par-delà le bien et le mal ait lu L’Unique et sa propriété, ce sont deux philosophes qui mettent le feu au judéo-christianisme. Stirner jette dans son immense brasier ontologique tout ce qui passe à sa portée. Sur le terrain politique : l’empereur, la patrie, l’État, le roi, la loi, l’ordre, la légalité, la loyauté, le droit, la liberté, l’égalité, la censure, le cachot, le libéralisme, la bourgeoisie, la police, le communisme, le travail, l’esclavage, le peuple, la justice, les constitutions, la propriété, les partis, la libre concurrence, la hiérarchie, les droits de l’homme. Sur le terrain religieux : Dieu, le Saint-Esprit, le christianisme, les catholiques, les protestants, les athées, les dogmes, les religions, le sacré, la chrétienté, l’Église, le péché, la foi, le Christ. Sur le terrain social : l’humanité, les parents, la famille, la chose publique, l’argent, les impôts, l’éducation, le système, l’autorité, l’espèce, le maître, l’héritage, les idées, l’idéologie, la communauté, la société. Sur le terrain de la morale bourgeoise : la prohibition de l’inceste, la monogamie, la piété, l’amour, la vérité, la véracité, la justice, l’amitié, le mariage, le renoncement, l’abnégation, les moralisateurs, les bourgeois, le respect, l’honneur, le devoir, la vie d’autrui, l’amour du prochain. Sur le terrain de l’éthique : le bien, le beau, le mal, les valeurs, les vertus, la vérité, la raison. Quelles sont ses valeurs ? Tout ce qui permet l’expansion et l’expression de son propre Moi : le mensonge, la rouerie, la ruse, le meurtre, le crime, l’inceste, la trahison, la révolte, la rébellion, la force, la violence. Stirner écrit : « Je le veux, donc c’est juste. » Je dois faire ce que je veux, rien ne doit entraver la puissance de mon unicité. Dès lors, on peut violer, tuer, coucher avec sa sœur ou sa mère, mentir et trahir – L’Unique et sa propriété s’avère être un bréviaire nihiliste qu’une erreur confirmée par la paresse intellectuelle présente habituellement comme un texte anarchiste. Outre qu’il fustige tout autant l’anarchisme en général, et Proudhon en particulier, Stirner est le philosophe emblématique du nihilisme Rien est pour lui Tout. On comprend que le fils de notaire normand boive cet alcool fort avec délectation : Stirner annonce la mort du Beau et de la beauté en même temps que du Bien et de Dieu. Duchamp qui fut impressionniste, puis cézannien, puis fauve, puis cubiste, puis futuriste estime à cette heure que l’art est mort. En 1912, il réalise un lavis sur papier intitulé Aéroplane. La même année, alors qu’il visite le Salon de la locomotion aérienne au Grand Palais avec Fernand Léger, Apollinaire et Brancusi, Duchamp dit au sculpteur roumain : « La peinture est morte. Qui pourra faire mieux que cette hélice ? Dis-moi, tu en serais capable, toi ? » S’il est impossible de faire mieux que cette hélice en art, alors cette hélice, ce sera de l’art : il suffira de le vouloir et de le dire. Nul besoin de la fabriquer, il suffit de la prendre comme elle est, telle qu’elle est, ready-made, sortie de l’atelier où un autre l’a faite, puis d’effectuer ce qui devient alors le seul geste esthétique possible : dire qu’il s’agit d’art. Stirner justifie qu’on puisse penser et agir ainsi. Il invite même à faire ainsi. N’écrit-il pas : « je le veux, donc c’est juste » ?

 

 Nietzsche est l’autre lecture qui le nourrit. On sait combien l’auteur de L’Antéchrist combat le judéo-christianisme et ses valeurs : le triomphe de l’idéal ascétique, la victoire de la force des faibles, la soumission des forts à la rancune des faibles, la production d’un homme du ressentiment, la dévalorisation de l’ici-bas au profit des arrière-mondes, la perversion de la sexualité, la soumission de Dionysos à Apollon, le goût pour la mort et le renoncement à la vie, la haine de tout plaisir, le mépris de la chair, la malédiction lancée sur les femmes.

 

 Le philosophe allemand annonce la mort de Dieu. En même temps, il annonce celle du Beau, car les deux notions sont liées. Pour qu’il y ait une idée de beauté à l’aune de laquelle on puisse mesurer les choses concrètes pour savoir si, en fonction de leur plus ou moins grande proximité avec l’Idée, elles sont belles ou non, il faut qu’il existe un monde des Idées qui est rien de moins que le milieu dans lequel Dieu évolue. Dieu mort, le Beau meurt aussi. Dès lors, la Vérité qui va avec, tout autant que le Bien, le Juste, et toutes les autres idoles à majuscules tombent en poussière. Le Beau est mort en même temps que Dieu qu’il servait. Restent la perspective, l’angle d’attaque, le biais par lequel on aborde les choses, le réel, le monde. Est donc dit beau ce qui est décrété tel par celui qui l’ose – le fort. La peinture peut donc bien être décrétée morte au Salon de l’aviation en même temps que belle l’hélice d’un Bréguet, d’un Daimler ou d’un Levassor.

 

Duchamp révolutionne l’art occidental en proposant une double révolution : celle des supports et celle du regard. Le support : pendant des siècles, il a été honorable, respectable, estimable, vénéré, prestigieux, noble ; la toile de lin portait les pigments précieux, l’or pour dire la sainteté, les auréoles et les irradiations célestes, les icônes et les habits de saints, le bleu outremer, parce qu’on allait le chercher au-delà des mers et que de ce fait il coûtait horriblement cher, pour colorer le long manteau de la Vierge ; les objets d’art religieux, reliquaires et ostensoirs, patènes et calices, encensoirs et tabernacles, étaient confectionnés en or, en argent, en vermeil et les sculptures en marbre, en ivoire, en nacre, en bois précieux. Rien n’était trop beau pour dire le Beau. Ce qui était précieux devait être dit, montré, raconté, peint avec des objets précieux.

 

 Or, en bon stirnérien qui n’a basé sa cause sur rien, sinon sur lui, son Je, son Moi, son caprice personnel, Duchamp élit toutes les matières : le fer galvanisé du porte-bouteilles, la porcelaine de son urinoir, la tôle de sa pelle, la toile cirée d’un ruban, le plastique d’une housse de machine à écrire, la laine d’un gilet, le bois d’un tabouret, l’acier d’un peigne, celui d’une roue de vélo, mais aussi le fil de plomb, le verre, la ficelle, des épingles de sûreté, un écrou et un goupillon, du caoutchouc, le verre d’une ampoule, un os de seiche, du velours, du plexiglas, du cuivre, du carton, du cuir, du papier d’aluminium, de la gaze, un clou, de l’iode, du plâtre, le matériau à empreinte des dentistes, du talc, du chocolat, des mouches, des insectes, du massepain, de la fourrure, une fermeture Éclair, de l’isorel, de la brique, de l’émail, des brindilles, un linoléum, du coton, des lumières électriques, un bec de gaz, et même de la « poussière de quatre mois, six mois qu’on enferme ensuite » entre deux verres, le tout photographié par Man Ray en 1920…

 

 Dans cet inventaire à la Prévert, on ne trouve aucune matière corporelle – sang, lymphe, sueur, cheveux, poils, larmes, sperme, urine, excréments, cérumen, salive, smegma, menstrues. Bientôt, elles ne manqueront pas de garantir la subversion de qui y recourra… Toutefois, en 1920, à New York, Man Ray photographie le crâne rasé de Marcel Duchamp : une étoile filante à cinq branches s’épanouit sur l’occiput pendant que le chemin des cheveux… de la comète traverse la tête du front jusqu’à l’arrière de son crâne. Cette œuvre confirme l’adoubement du corps comme support dans le projet esthétique duchampien.

 

 Par ailleurs, Duchamp souhaite s’inventer un personnage. Il écrit : « J’ai voulu changer d’identité et la première idée qui m’est venue c’est de prendre un nom juif. J’étais catholique et c’était déjà un changement que de passer d’une religion à une autre ! Je n’ai pas trouvé de nom juif qui me plaise ou qui me tente, et tout d’un coup j’ai eu une idée : pourquoi ne pas changer de sexe ! Alors de là est venu le nom de Rrose Sélavy » – dans lequel il faut entendre Éros c’est la vie. Man Ray photographie Duchamp habillé avec des vêtements féminins. Le corps peut donc être aussi un support, comme la ficelle et la poussière, la mouche et le chocolat.

 

 La seconde révolution opérée par Duchamp est celle du regard. Dans Duchamp du signe, elle se trouve résumée dans une phrase célèbre : « Ce sont les REGARDEURS qui font les tableaux. » Dans des entretiens avec Pierre Cabanne publiés sous le titre Ingénieur du temps perdu il précise. Concernant l’œuvre d’art, il dit en effet : « Je donne à celui qui la regarde autant d’importance qu’à celui qui la fait » – ce qui rend le propos plus subtil. Car le regardeur ne fait pas l’œuvre tout seul, comme dans la première acception, mais il y contribue autant que l’artiste qui l’a voulue. Autrement dit : n’importe qui ne peut pas faire l’œuvre d’art, il faut pour ce faire que l’artiste l’ait aussi voulue. La référence à Nietzsche ne va pas sans un certain aristocratisme.

 

 On sait depuis Léonard de Vinci que la peinture est « chose mentale » ; mais, dans l’esprit du génie italien, elle l’est pour celui qui peint. Duchamp ajoute qu’elle l’est aussi pour celui qui l’appréhende avec ses sens, certes, mais aussi et surtout avec son intelligence, sa culture, son savoir, ses références – ou son ignorance, ses préjugés, ses préventions… Avec Duchamp, l’œuvre d’art devient clairement et pleinement une affaire conceptuelle, une opération intellectuelle ; elle suppose un partenaire capable de la même démarche conceptuelle et intellectuelle. Autrement dit, l’art duchampien exige un regardeur artiste.

 

 L’incroyable aventure de la Fontaine marque une rupture radicale dans l’Occident judéo-chrétien : elle permet en effet de passer du christianisme théologiquement iconophile et iconographiquement christique illustré par le Marcel Duchamp impressionniste, fauve, cubiste, futuriste, au judaïsme intellectuellement iconoclaste et philosophiquement conceptuel du transsexuel ontologique qu’est devenu(e) Rrose Sélavy. La piste d’un devenir juif et postchrétien de l’art contemporain par l’option conceptuelle abolissant l’option figurative n’est pas négligeable. Que Marcel Duchamp ait souhaité un pseudonyme juif fait sens chez lui pour qui tout fait sens.

 

 Dans la perspective d’exposer au Salon des Indépendants de New York, en 1917, Marcel Duchamp achète un urinoir en porcelaine dans une boutique de plomberie et sanitaire. L’objet est signé « R. Mutt », puis envoyé de manière anonyme au comité de sélection accompagné de l’argent qui ouvre le droit à exposer. Stupeur du comité dans lequel certains crient au scandale pendant que d’autres invoquent la liberté d’expression. Les opposants triomphent, l’objet n’est pas exposé. Duchamp fait partie du comité ; il en démissionne. Stieglitz photographie l’objet et utilise l’ombre pour susciter un voile sur la pissotière. La pissotière est baptisée : La Madone de la salle de bain. Ce nom de baptême signifie que la référence au judéo-christianisme persiste, même dans la dérision. Des revues d’artistes comparent l’œuvre à un Bouddha, à une épiphanie du concept, on cite Montaigne et Nietzsche, Remy de Gourmont et Bergson pour la légitimer intellectuellement. Elle est exposée un temps dans une galerie, puis achetée par Walter Arensberg, un collectionneur mécène, puis perdue. L’œuvre disparaît de la circulation et réapparaît trente ans plus tard. En 1950, toujours à New York, la pissotière est exposée, vendue, achetée. Elle devient l’icône que l’on sait grâce au petit milieu new-yorkais fait d’acheteurs riches et de galeristes puissants, d’esthètes mondains et de journalistes influents, de mécènes oisifs et d’intellectuels français ayant fui l’Occupation, la guerre, le combat et la Résistance. De Juifs historiquement doués pour le concept également – galeristes, journalistes, marchands, collectionneurs, mécènes.

 

 En adoubant tous les supports, y compris le corps, Duchamp fait entrer l’art dans un autre monde. Pendant des siècles, l’activité artistique était au service du christianisme, comme un instrument de propagande. Il donnait corps et chair à la fiction judéo-chrétienne en conférant à ses personnages des formes transfigurées en vraisemblances, donc en vérité. Plus tard, le cinéma et la télévision contribueront à cette opération de transfiguration du virtuel en réel au point de faire de la vérité une fiction et de la fiction une vérité.

 

 Tant que le christianisme fut fort, l’art le raconta. L’Église, le pape, les princes chrétiens passent commande d’œuvres religieuses. L’émergence de la bourgeoisie dans l’histoire correspond à son apparition dans la peinture : lorsque Carpaccio peint sa Légende de sainte Ursule (1494-1495), il fait figurer dans les scènes d’histoire sainte des personnages contemporains auxquels il doit sa commande, les Lorédan. On trouve donc les armoiries de cette famille et des banderoles qui signalent sa libéralité dans une histoire dont la fiction la précède de plusieurs siècles. Eugénie, l’épouse du commanditaire, décédée au moment de la passation de la commande, se trouve intégrée au tableau et assiste aux funérailles de la sainte. Près du pape de l’époque de la légende, on reconnaît des actuels vivants : l’évêque de Venise, son ambassadeur et son cardinal. Carpaccio ne peut mieux dire à la fois sa soumission au pouvoir spirituel de la sainte et sa sujétion au pouvoir temporel de la Sérénissime.

 

 Plus le christianisme recule, plus la bourgeoisie avance, moins le christianisme tient le devant de la scène artistique picturale et plus il se retrouve en arrière-plan. À un moment donné, il n’est plus là, il est sorti du tableau. Ainsi, en 1434, quand Van Eyck peint Arnolfini et sa femme, il congédie la religion et le religieux : un homme chapeauté, une femme couverte de broderies, des tissus précieux pour elle et pour lui, de la fourrure et du velours, un intérieur cossu, un large chandelier et un miroir ouvragé, un lit à baldaquin pourpre, un petit chien au premier plan, des socques de bois abandonnées dans un coin, un tapis brodé, un pompon de décoration, des meubles, des bijoux, un plafond haut, la lumière qui entre par une vaste fenêtre, des oranges, un fruit alors coûteux, tout dit l’opulence, la richesse, l’aisance. L’homme tient la main de la femme, il s’agit d’afficher, sinon le mariage, du moins les fiançailles, à moins que le ventre de la femme, caché par le geste qui remonte le lourd tissu vert de la robe, témoigne en faveur d’un heureux événement que la peinture annoncerait discrètement, auquel cas l’œuvre serait une annonciation bourgeoise. La peinture passe alors au service des nouveaux puissants – les marchands, les commerçants, les riches bourgeois.

 

 La photographie arrache ce marché-là aux peintres qui, depuis des siècles, figurent les rois ou les cours royales. Ce que Hyacinthe Rigaud fait avec Louis XIV, roi de France, Gainsborough avec les princes et les rois, les ducs et les duchesses d’Angleterre, Rubens pour une grande famille italienne, Titien pour Charles Quint, Goya avec la famille espagnole de Charles IV, Ingres pour la bourgeoisie de son temps, et tant d’autres peintres en Europe, tout cela sera mieux fait par le photographe. En janvier 1839, Joseph Nicéphore Niepce réalise une image avec une chambre obscure. Déjà, en 1824, le même avait obtenu une image avec une pierre lithographique enduite de produits chimiques adéquats. D’aucuns remontent même jusqu’à 1822 pour une épreuve plus ancienne encore, et il se fait que c’est une photo… du pape Pie VII avec une plaque de verre enduite de bitume de Judée (!). La photographie, en tant qu’étymologiquement elle est un procédé d’écriture par la lumière, se trouve donc inventée en 1822.

 

 La photographie produisant mieux ce que le meilleur peintre obtient alors, reproduire fidèlement la réalité, le peintre doit envisager de peindre autre chose. La photographie qui est écriture avec la lumière tue la peinture et, en même temps, elle assure sa survie : les impressionnistes estompent le sujet, effacent le réel et mettent en avant la lumière et ses effets sur les choses – une meule de foin, la façade d’une cathédrale à différents moments de la journée, l’embouchure de la Seine, etc. Monet peint Impression, soleil levant en 1872 ; la toile donne son nom à l’impressionnisme. Ce que Monet fait, aucun photographe ne pourrait le faire.

 

 Que faire après l’impressionnisme qui, comme tout moment dans l’histoire, ne saurait devenir une peinture indépassable ? L’abolition du sujet a donné naissance à la peinture de la lumière ; l’abolition de la lumière va donner naissance à la peinture abstraite. En 1896, lors d’une exposition sur l’impressionnisme à Moscou, Kandinsky est bouleversé par une toile de Monet. Devant l’une de ses meules dont il ne reconnaît pas le sujet, il a l’intuition que la peinture peut exister sans le motif. Une peinture sans motif, c’est l’exacte définition de la peinture abstraite. Kandinsky fait paraître Du spirituel dans l’art en 1910, la même année que son premier travail abstrait. Pour qui voudra éviter une fois encore la cristallisation de la peinture abstraite, que faudra-t-il abolir désormais ? Abolir l’abstraction n’aurait pas de sens, car il faudrait revenir au motif. Il s’agira donc d’abolir la peinture. C’est ici qu’apparaît Duchamp qui révolutionne les supports et fait exploser le monde de l’art victime d’un mouvement centrifuge. Avec sa Fontaine, son coup d’État esthétique s’avère un mouvement centripète qui ouvre la porte à tous les possibles.

 

 Or, ces possibles sont ceux d’une société dans laquelle le judéo-christianisme ne fait plus la loi. Désormais, Marx et le marxisme donnent la formule du nihilisme : « Du passé faisons table rase », écrivait Eugène Pottier dès 1871 dans L’Internationale, cette phrase devient le programme révolutionnaire ; Freud et le freudisme contribuent au même abîme en faisant de la civilisation, judéo-chrétienne, le produit d’une névrose sexuelle. Le Manifeste du parti communiste de 1848 et l’Introduction à la psychanalyse de 1900, puis Malaise dans la civilisation en 1930 fonctionnent en nouveaux bréviaires – ceux du nihilisme.

 

 Détruire devient le mot d’ordre. Casser, en finir avec le passé, renverser la table, abolir ce qui a dominé pendant plus de mille ans – le pouvoir du capitalisme et de l’argent, de la bourgeoisie et de l’exploitation par le travail, tout autant que la sexualité judéo-chrétienne et le patriarcat castrateur, l’idéal ascétique libidinal et la morale bourgeoise. Marx aurait souscrit aux marxistes ; probablement pas Freud aux freudiens quand ceux-ci sont devenus freudo-marxistes, car le docteur viennois fut conservateur au point de déclarer son soutien à Mussolini et de souhaiter une collaboration avec le IIIe Reich pour que la psychanalyse ne disparaisse pas dans les bûchers nazis.

 

 Au XXe siècle, l’histoire de l’art épouse celle du judéo-christianisme : une dégringolade vers toujours plus de nihilisme. Le 20 février 1909, Marinetti fait paraître un Manifeste du futurisme dans Le Figaro : il y fait l’éloge du danger, de l’héroïsme, de l’énergie, de l’agressivité, de la vitesse, de la violence, de la lutte, de la guerre, « seule hygiène du monde », de la révolution, de la force, de la haine, de la jeunesse, des machines, des foules fanatisées, du militarisme, du patriotisme, du « geste destructeur des anarchistes », des « belles idées qui tuent », du « mépris de la femme », de la « violence culbutante et incendiaire ». Il écrit : « Nous voulons démolir les musées, les bibliothèques, combattre le moralisme » et, pour réaliser ce vandalisme futuriste, il invite à mettre le feu aux livres, à détourner les fleuves pour inonder les musées, à démolir les villes d’art à la pioche et au marteau, à transformer Venise en parking. Marinetti le dit clairement : « L’art ne peut être que violence, cruauté et injustice. » Le futurisme a concerné tous les domaines : littérature, poésie, musique, théâtre, cinéma, arts plastiques, architecture, science, cuisine. L’Italie fasciste de Mussolini a aimé, la jeune Russie soviétique de Lénine aussi.

 

 Dada publie sept manifestes entre 1916 et 1920. Dans le Manifeste dada 1918, Tristan Tzara écrit : « Que chaque homme crie : il y a un grand travail destructif, négatif, à accomplir. » Dans une syntaxe syntaxe violentée, à coups d’associations foutraques de mots et d’idées, entre logorrhée poétique et onomatopées, à l’aide d’une écriture automatique qui envoie valdinguer la ponctuation, Dada énonce quelques thèses : la haine des principes, le refus de la morale, le mépris de la raison, la détestation de la mémoire, le refus de la logique, la haine du bourgeois, la caducité de la peinture, la mort de l’art. On y trouve aussi quelques éloges : la méthode psychanalytique, la vérité de la force, la sagesse de la folie. Bien sûr, on y trouve aussi du pissat et de la diarrhée, du bassin urinaire et de l’intestin, du crachat et des pets, de la défécation et de la vidange, de l’urine et de la merde… Dans Monsieur Aa l’antiphilosophe nous envoie ce manifeste, on peut lire cette ligne énigmatique : « Extermination. Oui, naturellement. »

 

 On dit peu, en France, combien le Français André Breton ajoute à peine à dada et au dadaïsme. Car les deux Manifestes du surréalisme, celui de 1924 et celui de 1929, reprennent les mêmes critiques et souscrivent aux mêmes éloges. Breton définit le surréalisme comme un « automatisme psychique par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit par toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée ». Breton a lu Freud et souscrit à son analyse : la répression de l’inconscient est la source de toute pathologie ; or la civilisation procède de cette répression ; donc la civilisation est une pathologie. Dès lors, pour soigner la civilisation, Breton propose sa destruction par la libération de l’inconscient. Le surréalisme invite à libérer l’inconscient, d’abord comme un jeu intellectuel, ensuite comme une politique qui déborde le cerveau de l’artiste pour devenir effet dans l’histoire. Voilà pourquoi dans le Second manifeste surréaliste, Breton qui n’a jamais caché sa dilection pour Trotski et le trotskisme peut écrire sans sourciller : « L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule. »

 

 Concrètement ? Concrètement, ce fut le triomphe de l’esthétique de la disparition : en 1910, avec Kandinsky, la peinture devient abstraite et abolit le sujet ; en 1916, avec le ready-made, Duchamp en termine avec l’art classique ; en 1922, avec l’Ulysse de Joyce, le roman rompt avec la narration et adoube le discours autiste ; en 1923, Schönberg congédie l’harmonie et la tonalité en musique pour promouvoir l’atonalité et le dodécaphonisme ; en 1945, avec Isidore Isou et le lettrisme, la poésie économise les mots, les images, le sens et promeut le pur assemblage de lettres ; en 1952, John Cage crée 4’33, un concert de silence dans lequel la musique est faite par les bruits du public dans la salle ; en 1952, Guy Debord projette Hurlements en faveur de Sade, un film sans images qui sature l’écran du même noir que celui de la salle obscure ; en 1961, Manzoni vend ses matières fécales haussées au rang d’œuvre d’art. Que peut-il y avoir après la merde ? Sinon la logorrhée sur la merde pour expliquer qu’elle n’en est pas une parce qu’elle est critique du capital – alors qu’elle en est la quintessence ?

 

Onfray, Michel. Décadence

Onfray, Michel. Décadence Flammarion.

Chacun connaît les pyramides égyptiennes, les temples grecs, le forum romain et convient que ces traces de civilisations mortes prouvent… que les civilisations meurent – donc qu’elles sont mortelles ! Notre civilisation judéo-chrétienne vieille de deux mille ans n’échappe pas à cette loi.

Du concept de Jésus, annoncé dans l’Ancien Testament et progressivement nourri d’images par des siècles d’art chrétien, à Ben Laden qui déclare la guerre à mort à notre Occident épuisé, c’est la fresque épique de notre civilisation que je propose ici.


On y trouve : des moines fous du désert, des empereurs chrétiens sanguinaires, des musulmans construisant leur « paradis à l’ombre des épées », de grands inquisiteurs, des sorcières chevauchant des balais, des procès d’animaux, des Indiens à plumes avec Montaigne dans les rues de Bordeaux, la résurrection de Lucrèce, un curé athée qui annonce la mort de Dieu, une révolution jacobine qui tue deux rois, des dictatures de gauche puis de droite, des camps de la mort bruns et rouges, un artiste qui vend ses excréments, un écrivain condamné à mort pour avoir écrit un roman, deux jeunes garçons qui se réclament de l’islam et égorgent un prêtre en plein office – sans parler de mille autres choses…

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