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Abolissons les exemptions de taxes aux églsies, mosquées, synagogues et autres lieux de culte. LAÏCITÉ
La fiction chrétienne devient réalité

Au 4e siècle inspiré par les élucubrations mystico-politiques de Saint-Paul. À partir d'inventions de miracles et de fausses reliques, auxquels seuls des enfants dont cerveau n'est pas encore formé peuvent croire, se réalise la construction du christianisme par Constantin et sa mère Hélène.
Le devenir religion d’une secte Quand la Louve est mangée par l’Agneau
Milan, 13 juin 313, signature de l’édit du même nom par Constantin.
Du magistère de Jésus au début du Ier siècle à la conversion de l’empereur Constantin qui induit celle de l’Empire au début du IVe siècle, le christianisme est moléculaire, impressionniste, éclaté.
C’est d’abord un, Jésus, puis douze, les apôtres, ensuite une poignée constituée par les premières communautés fondées par Paul dans le bassin méditerranéen, par Pierre dans l’espace romain, par Étienne dans la diaspora juive qui parle grec et par Jacques, qu’on dit frère de Jésus, dans le milieu judéen de Jérusalem.
Les apôtres cherchent à convertir en professant dans les synagogues.
Les premiers chrétiens se rassemblent discrètement dans des maisons privées, fidèles à cette idée que l’Église est là où deux ou trois fidèles se rassemblent en mémoire de Jésus.
Sur une carte du bassin méditerranéen, le développement du paléochristianisme constitue un archipel d’une multiplicité d’îles dans une immense mer païenne.
À cette époque la doctrine n’est pas arrêtée et le christianisme ressemble au chrétien qui s’en réclame.
Ainsi, au Ier siècle, les jacobiens derrière Jacques souhaitent que les judéo-chrétiens restent fidèles aux rites du judaïsme ; les pétriniens, avec Pierre, affirment que Jésus est le dernier prophète judéen et qu’il réalise la prédiction des prophètes ; millénaristes, les johanniens en compagnie de Jean attendent le retour de Jésus sur terre ; les pauliniens, fidèles à Paul, veulent abolir la loi mosaïque ; les hellénistes d’Étienne et de Barnabé aspirent quant à eux à une spiritualisation du culte.
Les disciples de ces courants constituent des Églises où les problèmes de doctrine génèrent des guerres picrocholines entre les communautés.
Au IIe siècle, cette étoile explosée qu’est le premier premier christianisme éclate encore en sectes nouvelles : les nazoréens, les ébionites, les elkasaïtes, les marcionites, les gnostiques, les montaniens… Nazoréens, ébionites, elkasaïtes appartiennent au groupe judéo-chrétien : les nazoréens, ou nazaréens, sont les premiers disciples de Jésus, ils croient à la divinité et à l’humanité de Jésus, mais aussi à la résurrection des morts – ce sont les premiers chrétiens ; ébionites et elkasaïtes procèdent des nazoréens, mais s’en distinguent, pour les premiers, parce qu’ils croient que Jésus est né de la semence concrète de Joseph, ils refusent donc le caractère divin de son messianisme, Jésus est un homme qui a accompli la loi mosaïque à la perfection, il n’est pas Fils de Dieu, mais Fils de l’Homme, réincarnation d’Adam destiné à mettre fin aux sacrifices, ils croient également que Jésus est l’antidote du diable qui règne dans la vie courante ; pour les seconds, les elkasaïtes, Jésus est un ange révélateur d’une stature gigantesque doublé d’une formule féminine, le Saint-Esprit, le corps de Jésus a transmigré de corps en corps, de celui d’Adam jusqu’à celui que l’on connaît.
Marcion opère une rupture avec les judéo-chrétiens : cet armateur enrichi et mécène fonde sa propre Église à Rome pour pouvoir enseigner la différence radicale entre le Dieu de l’Ancien Testament, le Dieu des Juifs, vindicatif et violent, jaloux et vengeur, dur et coléreux, et celui du Nouveau Testament, le Dieu père de Jésus, d’amour et de miséricorde.
Le premier fait dévorer des enfants par des ours parce qu’ils se moquent d’un prophète (2 Rois 2.23-24), le deuxième, on le sait, laisse venir à lui les petits enfants (Évangile selon Luc 18, 15-17).
Le Dieu vétérotestamentaire fonctionne au talion ; le Dieu néotestamentaire, au pardon.
Jésus n’a rien à voir avec le Prophète annoncé par les Juifs.
Dans la contre-Église qu’il crée, Marcion rejette le monde physique et la société concrète ; il refuse qu’on augmente la puissance de ce monde matériel mauvais et invite au végétarisme, au refus de l’alcool, à la continence sexuelle ; il n’accorde le baptême qu’aux veufs, aux célibataires, aux eunuques, aux veuves, aux mariés qui quittent leurs conjoints ; bien évidemment, il invite au martyre…
Le gnosticisme fut également un courant chrétien important : dans un langage extravagant qui convoque un Pro-Père, des Éons, des Plérômes, des Ogdoades, des Syzygies, il propose une cosmogonie singulière avec des Archontes et des Puissances, et des rites étonnants qui vont de l’onction d’huile du corps entier à la communion effectuée avec des fœtus extirpés du ventre de femmes enceintes pour en confectionner des pâtés aromatisés aromatisés aux herbes en passant par des partouzes dans l’obscurité.
Il s’agissait pour certains d’aller jusqu’au bout de la négativité du monde créé par un mauvais démiurge en se roulant dans le mal afin de faire surgir le bien.
Dans leur partie libertine, les gnostiques Basilide, Carpocrate, Simon le Magicien, Épiphane, Cérinthe, Marc, inventent la dialectique hégélienne… Vers 156-157 ou 172-173, Montan commence à professer la fin des temps en extase.
Il annonce la chose dans deux villages de Phrygie à une date particulière et invite ses fidèles à s’y préparer par le jeûne, l’abstinence et la macération.
Montan se dit l’instrument d’une troisième et dernière révélation, celle du Paraclet, dont il se dit l’organe.
Il annonce l’arrivée imminente du Christ qui va régner pour mille ans sur son peuple.
Flanqué de deux prophétesses, Priscilla et Maximilla, Montan affirme qu’il est l’Église, puisque l’Esprit-Saint parle par sa bouche.
Il interdit les secondes noces, il ne pardonne pas les péchés commis après le baptême.
L’Église montaniste eut de nombreux sectateurs qui, parfois, créaient eux aussi leurs Églises – Proclus, Aeschine, etc.
Où l’on voit que le christianisme est d’abord une mosaïque idéologique et spirituelle, un patchwork conceptuel et doctrinal, une marqueterie complexe de noms et de figures.
Aucune unité, aucune ligne claire, aucune force qui va, dirigée dans une même direction, mais un bouillon de culture.
Aucun nom qui fédère, chacun créant au contraire une communauté de laquelle parfois des sectateurs créent une autre secte qui peut elle aussi se diviser en une nouvelle secte.
Cette prolifération est le signe du vivant qui se vit.
Il manque une forme à ces forces pour devenir une force.
Dans ce vivier où pullule le divers, le IIe siècle est aussi celui de la constitution de l’essentiel du Nouveau Testament qui propose, dans la grande littérature de chacune de ces communautés, de retenir ce qui permet une synthèse : Épître de Jacques pour les jacobiens, Évangile selon Matthieu et Épîtres de Pierre pour les pétriniens ; Évangile selon Jean pour les hellénistes d’Étienne ; Épître aux Hébreux pour les hellénistes de Barnabé ; Épîtres de Paul, Évangile selon Luc, Actes des Apôtres pour les pauliniens.
Ce geste constitue l’ébauche d’une synthèse, donc d’une concentration des forces dans une forme qui donne force.
La fragmentation chrétienne va de pair avec la fragmentation de l’Empire.
À l’heure où Dioclétien devient empereur, en 284, l’Empire est en capilotade : l’Empire gaulois a été créé, l’Espagne et la Bretagne s’y rallient, l’anarchie militaire est totale, les empereurs se proclament n’importe quand et n’importe où, ils règnent peu, parfois quelques jours, et se font assassiner, l’État se disloque, les crises économiques se succèdent, s’y ajoutent les crises démographiques, les crises de la production, les crises des échanges, les crises financières, la monnaie se détériore, l’inflation atteint des sommets, la paupérisation est galopante, la délinquance suit, la piraterie également, les barbares massent leurs troupes sur les rives du Rhin et du Danube, dès lors les Alamans, les Saxons, les Carpes, les Sarmates, les Iazyges, les Vandales, les Goths représentent de grandes menaces, des soulèvements de Blemmyes travaillent la Haute-Égypte, des tribus bédouines agissent de même en Syrie, idem avec les Maures au Maghreb, la Perse reste menaçante : l’Empire menace effondrement.
Pour sauver ce qui peut encore l’être, Dioclétien met en place le système de la Tétrarchie : quatre augustes sont nommés auxquels sont associés quatre césars adjoints.
Constance Chlore, ainsi nommé à cause de son teint olive, est l’un des quatre césars.
Il s’agit du futur père de Constantin.
Dioclétien reste le premier auguste, il concentre tous les pouvoirs, mais les autres empereurs, qu’on dira adjoints, doivent veiller à la mise en place de sa politique.
L’Empire est quadrillé en cent quatre provinces elles-mêmes découpées en douze… diocèses ! Secondé par Galère, Dioclétien s’occupe de l’Orient ; Maximien, secondé par Constance, de l’Occident.
Rome a perdu sa prééminence localisable pour devenir une idée déterritorialisée.
Tous les vingt ans, l’auguste laisse sa place au césar qui se choisit un nouvel adjoint.
Dioclétien sacralise cette institution en la plaçant sous le signe de Jupiter et d’Hercule.
Dioclétien règne en majesté, parfois représenté sous les traits de Zeus.
Cette sacralisation du pouvoir va avec sa théâtralisation : rareté des apparitions de l’empereur, majesté de ses interventions, usage de la pourpre et d’un diadème recouvert de pierres précieuses.
On se prosterne en sa présence ; on baise le bas de son manteau d’étoffe rare.
On montre ainsi sa fidélité aux dieux et à l’Empire.
Ne point consentir à ces marques de soumission désigne immédiatement le suspect.
Tout à leur Christ, les chrétiens se refusent à ces manifestations d’allégeance au pouvoir temporel impérial.
Dioclétien crée la monarchie de droit divin ; Constantin n’aura plus qu’à se baisser pour la ramasser.
Le latin devient la langue officielle de l’Empire.
La bureaucratie devient tentaculaire.
Le christianisme se répand.
Et l’on comprend qu’il fasse tache d’huile.
Mais pourquoi ? Dans son Discours véritable contre les chrétiens, Celse attaque cette religion qui refuse les lois et les pratiques, les coutumes et les rites de l’Empire.
Il refuse que la foi irraisonnée fasse la loi là où la raison doit primer et triompher.
Il dénonce leurs allégories insoutenables, leur cosmogonie puérile, leur imposture monothéiste, leur circoncision héritée de Moïse continué par des gardiens de chèvres, leur rusticité de Juifs ignares, leur public de gens simples et grossiers, vulgaires et incultes, leurs charlatans et leurs imposteurs.
Pour Celse, Jésus est le fruit d’un adultère de Marie avec un soldat romain répondant au nom de Panthère ; sa mère ne fut pas vierge, elle a été mise à la porte par Joseph.
Jésus est allé en Égypte où il a travaillé et appris la magie qu’il a recyclée en rentrant en Palestine et en se proclamant Dieu.
Dans le Jourdain, il a prétendu, fariboles selon Celse, qu’un « fantôme ailé » (8) était descendu sur lui et qu’une voix s’est fait entendre.
Pourquoi un ange viendrait-il annoncer la colère d’Hérode alors que Dieu aurait pu se contenter, s’il s’était agi de son Fils, de le préserver de cette menace en le faisant régner au plus vite ? Ses miracles ? Les tours d’adresse d’un magicien ambulant.
Son corps ? Une fiction n’ayant rien à voir avec un corps réel et concret.
Celse écrit clairement : « La vérité est que tous ces prétendus faits ne sont que des mythes que vos maîtres et vous-mêmes avez fabriqués, sans parvenir seulement à donner à vos mensonges une teinte de vraisemblance » (20).
Il ajoute que ces histoires ont été consignées par écrit et trois ou quatre fois remaniées afin de supprimer ce qui laissait place aux plus grosses et aux plus faciles réfutations.
Comment peut-on croire à pareilles fariboles ? Ce sont des enseignements ésotériques cimentés avec de vieux contes et de vieilles légendes.
Un homme qui se dit Dieu et ne peut lui-même assurer son salut ; un « hâbleur et maître en goétie » (22), autrement dit un maître en sorcellerie, qui prétend convertir le monde entier et n’a pas même pu éviter la discorde entre ses apôtres ; un individu aux pouvoirs fabuleux, mais qui ne peut pas ouvrir seul la porte de son tombeau et a besoin pour ce faire de deux anges ; un ressuscité qui n’apparaît qu’à ses amis déjà convaincus, une femme ensorcelée, des témoins à l’esprit troublé, « une femmelette et des comparses » (28), mais jamais à ses ennemis, ou bien à Ponce Pilate, ce qui aurait eu un effet de persuasion considérable ; un prophète qui aurait pu s’envoler vers les cieux une fois crucifié, ce qui aurait également généré un effet de propagande indéniable ; un apôtre qui s’avère incapable de persuader avec son intelligence et qui a besoin d’invoquer la malédiction pour ceux qui ne croient et ne croiront pas en lui.
Celse estime également ridicules les combats incessants entre Juifs et chrétiens ; « leur controverse rappelle proprement ce proverbe : “Se quereller pour l’ombre d’un âne” » (33).
Bien avant Freud, Celse fait des Juifs des Égyptiens ayant fait sécession avec leur pays d’origine ; il estime que les Juifs sont aux Égyptiens ce que sont les chrétiens aux Juifs : des schismatiques mus par l’esprit de faction.
Il écrit : « À l’origine, quand ils n’atteignent qu’un petit nombre, ils étaient tous animés des mêmes sentiments ; depuis qu’ils sont devenus multitude, ils se sont divisés en sectes dont chacun prétend faire bande à part, comme ils le firent primitivement.
Ils s’isolent de nouveau du grand nombre, s’anathématisent les uns les autres, n’ayant plus de commun, pour ainsi dire, que le nom, si tant est qu’ils l’aient encore.
C’est la seule chose qu’ils aient eu honte d’abandonner ; car pour le reste, les uns professent une chose, les autres une autre » (33).
Philosophe, probablement néoplatonicien, Celse ne comprend pas que les chrétiens puissent se faire une gloire de refuser la culture, les lettres, la raison, l’intelligence et célébrer l’ignorance, l’inculture, les vertus du simple d’esprit.
Pourquoi viser les femmes, les enfants, les esclaves, les portefaix, les cardeurs, les cordonniers, les foulons, « les gens de la dernière ignorance et dénués de toute éducation » (37) ? Pour quelles raisons en appeler au pécheur, c’est-à-dire, à l’homme injuste, au brigand, au cambrioleur, à l’empoisonneur, au sacrilège, à celui qui viole les tombeaux ? Veulent-ils améliorer les méchants ? Si oui, quelle illusion, quelle naïveté !
Qu’est-ce que ce Dieu qui préfère le voleur au volé, le brigand à l’honnête homme, le méchant au bon ? Un Dieu injuste… Celse démonte la mythologie chrétienne : Dieu descendant sur terre ? Un suicide évident par compromission avec la matière.
Dieu créant l’homme et la femme avec de la terre et son souffle ? Un serpent qui parle ? Une fable pour les vieilles femmes.
Le Déluge et l’Arche de Noé ? Des histoires pour les enfants.
L’homme centre de la Création ? La prééminence des humains sur les animaux ? Bêtises, Dieu n’a pas fait le monde pour les hommes, pas plus pour les bêtes, mais pour sa perfection en soi.
Leur remplissage du ciel avec des anges et autres créatures extravagantes ? Sottises… Il n’y a dans le ciel que des astres et des étoiles, ce dont ils se moquent puisqu’ils n’ont que mépris pour la science.
La création du monde en six jours alors que les jours n’avaient pas encore été créés ? La damnation par le feu des Enfers ? La résurrection de la chair ? Billevesées.
Le Discours véritable contre les chrétiens critique enfin le refus des chrétiens de sacrifier aux divinités de l’Empire, donc, de faire sécession d’avec la société civile.
Ils refusent en effet les devoirs civils, la participation aux affaires publiques, le port des armes, le service militaire, la participation aux logiques policières et militaires de l’Empire.
Si les chrétiens ont été persécutés, ça n’est nullement sur la question de leur dieu, mais surtout sur leur refus de faire partie de la communauté civile, civique, de se dérober à ce qui fait ce qu’on appellera plus tard la Nation.
Dioclétien les persécutera.
Que faire en effet de cette armée d’objecteurs de conscience avec laquelle l’Empire va mourir s’ils refusent de l’honorer, de le servir et de le défendre ? Celse se demande comment le christianisme peut ainsi prospérer alors qu’il enseigne tant de choses contraires à la raison.
Mais la question posée dans le Discours véritable contre les chrétiens trouve sa réponse dans le corps même de son analyse : les gens écrasés par l’Empire sont nombreux.
Qui se soucie en effet des pauvres, des petits, des sans-grade, des humiliés, des artisans, des travailleurs, des chômeurs ?
Qui pense et parle pour l’esclave, la femme, l’enfant, le vieillard ?
Qui s’adresse aux foulons, aux cordonniers, aux cardeurs, aux portefaix, aux repris de justice dans cet Empire dont la cour croule sous l’or, l’apparat, les bijoux, les pierres précieuses, le tout dans des palais fastueux ? Le prolétariat de l’Empire trouve dans ce discours simple, voire simpliste, allégorique jusqu’à l’infantile, matière à engouement.
Comment en effet ne pas être séduit par le Sermon sur la montagne qui est pour Jésus l’occasion des Béatitudes ? Que dit Jésus ? : « Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux.
Heureux les doux, car ils posséderont la terre.
Heureux les affligés, car ils seront consolés.
Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés.
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des des Cieux est à eux.
Heureux êtes-vous quand on vous insultera, qu’on vous persécutera, et qu’on dira faussement contre vous toute sorte d’infamie à cause de moi.
Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux : c’est bien ainsi qu’on a persécuté les prophètes, vos devanciers » (Évangile selon Matthieu 5, 3-11).
Ce texte est en effet une double bénédiction : pour les pauvres, car il légitime et justifie leur pauvreté.
Plus ils seront pauvres ici-bas, plus ils seront riches dans l’au-delà.
Comment ne pas souscrire à cette promesse qui finit même par justifier qu’on se veuille encore plus pauvre sous César pour se retrouver d’autant plus riche chez Dieu ?
Les pauvres en esprit privés de savoir et de culture, de lettres et d’éducation parce que pauvres, les affligés subissant le joug des maîtres dont ils sont les domestiques ou les esclaves, les doux qui n’ont pas le choix d’être durs parce que sociologiquement faibles, les assoiffés de justice qui subissent l’injustice de ceux qui disposent du pouvoir sur eux, les miséricordieux qui n’ont pas les moyens du talion, les artisans de la paix incapables de guerre car ils sont désarmés, les persécutés, les insultés, les diffamés sont nombreux dans le Bas-Empire qui s’effondre.
Et le christianisme parle à ces victimes en leur promettant avant tout d’être récompensées après leur mort.
Voilà pourquoi c’est aussi une bénédiction pour les puissants : ceux-là ont en effet compris la charge contre-révolutionnaire d’une pareille déclaration.
Les Béatitudes avalisent la misère et la domination ici-bas : pourquoi voudrait-on sortir de sa condition misérable puisque, plus on le sera ici-bas, plus grande sera la récompense dans l’au-delà ?
Quels intérêts auraient l’humilié et l’offensé, le simple d’esprit et l’affligé, à vouloir quitter leur condition pitoyable puisqu’elle était la raison même de leur salut ?
Présenter la pauvreté du pauvre comme sa seule et vraie richesse permet au riche de pouvoir s’enrichir plus encore sur le dos des pauvres.
Le Jésus des Béatitudes est un contre-révolutionnaire parfait ; le Jésus de saint Paul, un auxiliaire du pouvoir extraordinaire avec sa doctrine selon laquelle tout pouvoir vient de Dieu.
La pauvreté du pauvre est voulue par Dieu, elle est une grâce – dès lors que les voies du Seigneur sont impénétrables.
Tant qu’il vit selon l’ordre des sectes, le christianisme est bien une religion d’esclaves qui justifie leur état aux yeux des opprimés.
Quand cette secte devient religion par la décision d’un seul homme, l’empereur Constantin, elle jouera magnifiquement de cette ambiguïté : que les pauvres le restent, ils iront d’autant plus vite au paradis après leur mort.
Puis : que les puissants le soient et le demeurent, puisqu’ils tiennent leur pouvoir du même Dieu qui veut la pauvreté des pauvres.
Avec une pareille doctrine qui, dans un même mouvement, assomme les pauvres et couronne les princes, la victoire était inévitable.
Pour réaliser tout cela dans les faits, il manquait un homme aux vertus de gangster.
Constantin fut cette bénédiction pour les chrétiens.
La mère de Constantin était serveuse dans une gargote de Bithynie – un genre de « routier », écrivait mon vieux maître Lucien Jerphagnon dans son Julien, dit l’Apostat.
Dans l’oraison funèbre de Théodose qu’il prononce en 395, bien après la mort des personnes concernées donc, courageux mais pas téméraire, saint Ambroise en fait une fille d’auberge qui assurait également le service sexuel…
Comme il n’existe aucune biographie d’Hélène qui ne soit hagiographique, cette information est la plupart du temps passée sous silence, jusqu’à en faire une gentille hôtesse dans une station thermale où le géniteur de Constantin, Constance Chlore, le patibulaire légionnaire romain, serait venu, en tout bien tout honneur, faire masser sa carcasse couturée après les rigueurs des campagnes miliaires.
Constantin serait donc né à la faveur d’une cure thermale, en somme.
Quand vers 326, Constantin est alors au pouvoir, saint Eustache, ou Eustathe, évêque d’Antioche, rapporte en public que les origines d’Hélène ne sont pas bien brillantes, il se fait immédiatement destituer et envoyer en exil.
Comme il critiquait les thèses d’Arien, les ariens se sont fait fort d’ajouter au motif de l’affront fait à l’impératrice mère pour justifier la punition.
Une prostituée vint même l’accuser d’avoir une liaison avec elle.
Le pouvoir avait les moyens de faire écrire l’histoire selon sa volonté.
Constantin fut un homme de sac et de corde tout le long de sa vie.
Si Eusèbe, qui invente la figure de l’intellectuel au service du pouvoir, n’a rien dit de tout cela, c’est justement parce que ces deux informations, fils d’une prostituée et criminel en série, contrarient sa perspective hagiographique.
Eusèbe ira jusqu’à affirmer que Constantin est mort le dimanche de Pentecôte 22 mai 337, vers midi, heure du soleil à son zénith, ce qui, convenons-en, pour un chrétien, témoigne d’un grand sens de l’opportunité sans pour autant froisser les païens !
L’hagiographie se trouve également fort dépourvue quand il s’agit d’aborder l’éducation du jeune Constantin, collé à sa mère alors que son père court les champs de bataille.
Comme on ne sait rien, pourquoi faudrait-il se contenter du bon sens et de l’évidence ? L’affabulation suffit.
Dès lors, on fait de la future impératrice, pour l’heure dans le ruisseau, une femme déjà chrétienne – alors que rien, absolument rien ne le prouve.
La serveuse qui vend aussi ses services sexuels lui donne donc une éducation chrétienne ! Tant qu’à faire, elle lui fait aussi lire Commentaires de la guerre des Gaules de César.
On imagine aisément les Thénardier offrant Britannicus à Cosette ! Certains le disent médiocrement cultivé, comme l’auteur anonyme de L’Origine de Constantin, et l’on peut comprendre pourquoi cette source non hagiographique nous demeurera toujours inconnue, alors que d’autres, comme Eutrope, qu’il était capable de dicter le Discours à l’assemblée des saints que d’aucuns lui prêtent alors.
Mais la preuve a été faite depuis qu’il s’agit d’un faux, l’ensemble sentant son Eusèbe de Césarée à plein nez… S’il avait été lettré et cultivé, il en aurait fait la preuve et elles seraient restées.
On saurait donc lesquelles.
À défaut, on peut imaginer que, fils de la soldatesque impériale, le jeune homme a plus été formé sur les champs de bataille où, très jeune, il combat en Mésopotamie, probablement avec Galère en Perse, contre les Sarmates, que dans les bibliothèques avec les rhéteurs et les philosophes.
Au physique, laissons parler Lucien Jerphagnon qui, dans Vivre et philosopher sous l’Empire chrétien, écrit qu’au vu des monnaies, des médailles et des statues, cet Illyrien massif, habituellement présenté par l’hagiographie comme beau dehors parce que beau dedans, « ferait plutôt penser à un adjudant-chef, à quelque feldwebel monté dans la transcendance ».
De taille moyenne, râblé, fort, puissant, au cou de taureau, il affronte un ours, un lion, une panthère dans les arènes.
D’aimables chroniqueurs firent savoir qu’on avait arraché les dents et les griffes de ces fauves… Puissance du virtuel, déjà !
Cet homme, qui n’hésite pas à tuer et à faire tuer, à décimer sa famille et son entourage, qui élimine sa propre femme et son fils sous prétexte qu’ils auraient entretenu une liaison louche, n’est ni un intellectuel ni un philosophe, ni un poète ni un penseur : c’est un seigneur de guerre cynique et brutal, une machine à tuer et à détruire tout ce qui se met en travers de sa route.
C’est lui qui va imposer le christianisme à l’Empire et faire de cette petite secte choisie par ses soins pour assurer son pouvoir de monarque unique sur l’Empire une religion planétaire.
Dioclétien engage ce qu’il est désormais convenu d’appeler « la Grande Persécution ».
Le premier édit est promulgué à Nicomédie le 24 février 303 : des édifices et des écrits chrétiens sont détruits ; les croyants sont privés de charges, de dignités et de droits ; les maisons privées sont perquisitionnées, leurs biens sont confisqués ; on interdit les croyants de réunion ; les nobles sont dégradés ; ceux qui n’abjurent pas, emprisonnés.
Deuxième édit, printemps 303 : le clergé est arrêté.
Troisième édit, automne 303 : obligation pour les clercs de sacrifier aux rites impériaux, ceux qui refusent, et ils sont nombreux, subissent la torture.
Quatrième édit, début 304 : réitération de l’édit précédent.
La répression a lieu dans tout l’Empire.
Le 23 février 303, à Nicomédie, Constantin y participe, les portes d’une église sont fracturées, les Écritures brûlées, le bâtiment est immédiatement détruit par une horde de prétoriens.
Un édit placardé exclut les chrétiens de toute charge officielle et de toute dignité.
L’un d’entre eux l’arrache : il est charcuté et cuit vivant.
On torture, on étrangle, on décapite, on brûle des chrétiens.
On ne sait pas que celui dont ses hagiographes disent qu’il a été formé dans le christianisme par son légionnaire de père et son hôtesse de mère a refusé de participer à cette terrible répression.
Plus tard, devenu chrétien, Constantin dira pis que pendre de ces opérations dont il rappellera la cruauté.
Eusèbe de Césarée écrit, croix de bois, croix de fer, s’il ment, qu’il aille en enfer, que Constantin n’a pas participé à ces événements.
On imagine mal au nom de quelles obscures raisons un soldat « tendre et jeune adolescent encore, et beau comme on l’est à l’âge où commence à poisser la barbe », écrit-il (Constantin a alors vingt-huit ans…), aurait été privé d’exercer son métier sur un pareil théâtre d’opérations.
Plus tard, dans un document rédigé avec Eusèbe, Constantin fera savoir qu’à cette époque, presque trentenaire donc, il était encore « un enfant » (Vie de Constantin, II, 51, 1)… Cette façon d’antidater pour échapper à l’histoire et prétendre n’avoir pas pu être un acteur de cette persécution vaut aveu qu’il avait des choses à se reprocher.
On peut donc affirmer qu’en 303, sous l’empereur Galère, Constantin accompagnait sans état d’âme la troupe romaine qui massacrait les chrétiens.
Le 1er mai 305, l’empereur Dioclétien abdique et se retire à Split.
Même chose pour Maximien qui part en Lucanie.
Galère devient auguste d’Orient et Constance, le père de Constantin, auguste d’Occident.
Maximin Daïa est le César de Galère, Sévère, celui de Constance.
Constantin, qui était à la cour de Dioclétien depuis 293-294, quitte Nicomédie pour retrouver son père en Bretagne.
Son père meurt à York, Constantin est proclamé auguste par l’armée de Bretagne.
Sa mère Hélène le rejoint.
Il a trente et un ans.
Galère ne lui reconnaît pas le titre de césar, et Sévère devient auguste d’Orient.
Trois mois plus tard, Maxence, fils de Maximien, se fait proclamer à Rome par les prétoriens.
Son père quitte sa retraite et reprend son titre d’auguste.
Les luttes entre tous ces protagonistes ne cessent pas pendant des années : trahisons, mariages utiles, conspirations, expulsions, capitulations, emprisonnements, suicides, usurpations, mort de tel ou tel.
Shakespeare n’a rien inventé.
En 309, à Grand dans les Vosges, Constantin a une vision d’Apollon dans un temple gaulois.
Deux ans plus tard, en 311, païen avéré, il sacrifie à la religion solaire.
À Autun, on le voit en public invoquer Sol Invictus, le « Soleil invaincu ».
Le 28 octobre 312, Constantin affronte Maxence : il joue là une partie majeure de son destin politique.
Vaincu, il perd tout ; vainqueur, il gagne tout.
Il vainc.
Maxence est dans Rome dont il ne veut pas sortir ; un oracle lui aurait prédit la mort s’il franchissait les portes, affirme l’hagiographie chrétienne qui ne recule pas non plus devant le portrait à charge : il faut que le païen Constantin ait été chrétien et que le païen Maxence ait été une caricature de païen.
Eusèbe, toujours lui, prétend que Maxence aurait fait tuer et éventrer des femmes enceintes pour examiner les entrailles des embryons ou des nouveau-nés et qu’il aurait fait égorger des lions en invoquant des démons… Dès lors, avec la victoire de Constantin, on démontre que le paganisme perd et le christianisme gagne.
Or, dans les faits, c’est Constantin qui consulte les haruspices pour savoir s’il peut attaquer ! Maxence est supérieur en nombre ; il a fait construire un dispositif singulier, une machine de guerre ingénieuse : un pont qui s’ouvre en deux parties réunies par des chevilles et qui peut être ouvert afin de précipiter ceux qui s’y trouvent.
Mais Constantin a une vision, une autre, il voit dans le ciel l’image d’une croix immense entourée d’un cercle d’astres qui sont agencés de façon à produire un texte qui dit : « Par ce signe tu vaincras.»
Pour certains historiens, il est midi ; pour d’autres, la fin de la nuit… Constantin fait une génuflexion et s’en va rassuré ; il fait faire une reproduction en or et pierres précieuses de ce signe dit tropéophore, le porteur de victoire, qui devient un talisman – au passage, il marque ainsi avec cet objet d’orfèvrerie la date de naissance de l’art chrétien.
La nuit suivante, pour confirmer la chose, un miracle ne suffisant pas, le Christ lui apparaît en songe et l’invite à transformer ce signe en enseigne militaire par laquelle il sera vainqueur.
Le Jésus qui tendait l’autre joue quand on le frappait est déjà mort, frappé par l’épée de saint Paul qui enseigne que tout pouvoir vient de Dieu : saint Paul empêcha que le christianisme fût la religion de Jésus, il ne fut que l’incarnation de la théologie politique de Paul.
On imagine mal le Christ des Béatitudes, celui qui enseigne l’amour du prochain et le pardon des offenses, parler à l’oreille du futur empereur pour lui dire qu’avec un brimborion militaire de parade il obtiendrait la victoire ! Il eût fallu que Jésus fût un peu mesquin, un vice que dans la fable il n’eut pas.
L’étendard sanglant est levé ; le chrisme est sur le casque ; tant qu’à faire, il l’est aussi sur les boucliers ; ses armées attaquent ; la stratégie militaire militaire de Constantin fait des merveilles.
Le pont qui devait s’ouvrir sur le passage de Constantin cède – accidentellement ? Maxence tombe à l’eau, il est emporté, ses troupes aussi.
Le Tibre vomit plus tard le corps de Maxence : le signe avait effectivement montré sa redoutable efficacité… La tête de Maxence fut coupée et portée au bout d’une pique ; la populace se venge sur lui.
Elle sera promenée jusqu’en Afrique… Eusèbe se taira sur ça aussi… Constantin entre dans Rome ; la foule est en délire.
La fête dure plusieurs jours.
On ne sache pas que, dans les cérémonies de victoire de cette bataille, ce prétendu empereur chrétien qui aurait vaincu grâce au chrisme dans le ciel, grâce au songe dans lequel le Christ lui parle et lui assure qu’il vaincra, grâce aux enseignes et aux étendards, au casque et aux boucliers, frappés avec le signe que l’on sait, ait profité de cette liesse pour remercier publiquement le Christ de ce qu’il lui aurait dû !
Il se contente de haranguer la foule des Rostres sur le forum, ce qui est explicitement une façon de ne pas inscrire cette victoire dans une geste chrétienne, mais dans la tradition romaine d’un lieu rappelant les cérémonies des augustes et des césars.
Même si Eusèbe dit que Constantin eut « tout à fait conscience du secours venu de Dieu » (IX, 9, 10), on n’a pas vu qu’il l’ait concrètement prouvé lors des cérémonies publiques.
Cette belle histoire d’un signe chrétien avant le combat qui assure la victoire produit ses meilleurs effets quand elle est racontée après que la victoire a eu lieu – on est ainsi sûr et certain que l’histoire a bien obéi à la prédiction.
Or, cette version romancée est créée par Lactance entre dix et quinze ans après la fameuse bataille ! De même, il est facile de présenter son père Constance et sa mère Hélène comme des chrétiens cachés, de raconter que Constantin eut une éducation chrétienne, bien qu’on ne dispose d’aucune trace qui puisse faire preuve.
J’émets l’hypothèse que l’hagiographie réécrit le passé de la famille de Constantin et le sien sous le signe du christianisme alors que rien n’en apporte la preuve et que tout, au contraire, témoigne en faveur de l’inverse : en 303, il participe à la persécution des chrétiens, en 311, quelques mois avant le pont Milvius, il sacrifie encore publiquement au culte païen du Soleil invaincu, en 312, juste avant la bataille, il consulte les auspices païens pour savoir s’ils sont favorables, après la victoire sur Maxence, prétendument au nom du christianisme, il entre en triomphateur dans Rome et ne manifeste à aucun moment sa gratitude au Christ auquel il aurait dû sa victoire.
Constantin fut païen jusqu’à ce qu’il comprît qu’il avait un intérêt politique à devenir chrétien.
Et encore : hypothétiquement devenu chrétien, disons après l’édit de Milan, le 13 juin 313, il a passé sa vie à tuer, à faire tuer.
Il a répudié sa femme Minervina, comme son père le fit avec Hélène au profit de Théodora, qu’il envoie en exil avec ses trois enfants, il a épousé une autre femme, Fausta, comme son père également.
Est-ce là le comportement d’un chrétien convaincu ? D’un homme de Dieu converti aux paroles du Christ ? En vertu d’arrangements avec le ciel dont il a le secret, un chrétien qui l’est vraiment peut vivre dans le luxe, l’or et l’argent, la pourpre et le brocart, les pierres précieuses et les bijoux, encore que, Jésus doit se retourner dans sa tombe… Mais il évite de laisser derrière lui les cadavres de sa parentèle.
L’édit de Milan est l’occasion d’inverser la vapeur de l’Empire : finies les persécutions, auxquelles Constantin avait contribué.
Cet édit permet aux chrétiens de sortir de la clandestinité.
La secte est morte.
La religion s’annonce.
Les chrétiens sortent des catacombes et peuvent désormais pratiquer leur religion à l’air libre.
À partir de cette date, le pouvoir impérial restitue à l’Église, et non aux particuliers, les biens confisqués pendant les persécutions ; elle devient donc une personne juridique qui peut posséder et hériter de legs ; dans ce cas de figure, l’héritage échappe au fisc ; un impôt est prélevé sur les propriétés foncières et reversé à l’Église qui peut dès lors assurer des fonctions comme l’école, la santé, la charité ; les clercs chrétiens sont exemptés des charges municipales – l’entretien de l’espace public, la réparation des routes, la collecte des impôts ; ils sont également exemptés du versement des impôts fonciers – une mesure à même de précipiter les conversions en masse ; les esclaves peuvent être affranchis, seulement s’ils sont des adeptes de l’ancienne secte ; le palais du Latran qui appartenait à sa femme est donné à l’évêque de Rome, les papes en font leur résidence ; de nombreuses églises saturées d’or et de pierres précieuses, d’œuvres d’art en marbre et en porphyre, de mosaïques dispendieuses et d’objets liturgiques en or sont construites sur des terrains impériaux offerts avec les finances impériales – trois cents kilos d’argent et plus de trente d’or pour les statues du Christ, de Jean-Baptiste et d’un agneau crachant l’eau à Latran ; le polythéisme et le paganisme deviennent superstition ; le mot religion ne convient plus qu’au christianisme.
Hélène, la mère de l’empereur, elle-même devenue impératrice, met la main chrétienne à la pâte : à l’automne 326, âgée de quatre-vingts ans, elle part en pèlerinage en Terre sainte.
Pour expier les fautes de son fils, proclame l’hagiographie ; pour parfaire l’entreprise de christianisation dans l’Empire, dirais-je.
Il s’agit d’amener à son fils des populations qu’elle achète partout où elle passe avec force distribution de pièces d’or – l’hagiographie parle de charité, on imagine que les largesses furent destinées aux disciples de la secte.
Elle fait libérer des prisonniers, écrit cette même hagiographie – mais elle oublie de préciser : pourvu qu’ils fussent chrétiens.
Sur place, en Palestine, la grâce qui fit beaucoup pour son fils lui donne un coup de main : des fouilles archéologiques avaient été diligentées sur les lieux de la fiction christique.
L’évêque Macaire n’a rien obtenu ; Hélène touche le gros lot : sur le Golgotha, elle fait détruire le capitole construit sur l’ancien Temple biblique au sommet duquel trône une statue de Vénus, il s’avère que c’est le tombeau du Christ.
Non loin, dans une citerne, elle découvre trois croix et le titulus, ce morceau de bois sur lequel avait été écrit « Jésus Roi des Juifs ».
Près de quatre siècles plus tard, tout est intact.
Miracle.
Mais dilemme : sur trois croix, une est la bonne, et deux sont celles des larrons.
Comment faire ? On apporte une mourante.
Elle reste insensible à deux des trois ; mais elle se lève et marche, guérie, au contact de la troisième.
D’autres historiens chrétiens rapportent l’histoire non plus avec une mourante, mais avec une morte qui ressuscite.
Chance : elle trouve aussi les quatre clous.
Mais au retour, pour apaiser la mer en furie qui menace d’engloutir tout le monde sur le bateau, elle en jette un dans l’eau : chrétienne, la mer se calme.
On s’étonne parce qu’elle avait envoyé les clous à son fils.
Comment pouvait-elle en avoir d’autres sur elle ? Miracle… Constantin les fait inclure dans le métal qui lui permet un casque et un mors pour son cheval.
Comment dès lors ne pas vaincre sur les champs de bataille avec pareilles amulettes ? Chance également : elle trouve aussi la couronne d’épines.
Chance toujours : elle retrouve les marches foulées par le Christ dans sa montée vers le Calvaire.
Chance encore et toujours, elle retrouve également les tuniques : quatre siècles plus tard, l’étoffe ne manquait-elle non plus d’être miraculeuse.
Tout cela va donner lieu à un effrayant culte des reliques.
En 326, à Rome, le pouvoir ouvre et finance une Maison des reliques de la Passion.
En deux années au plus, dans les lieux dits saints, Constantin et Hélène font construire plus de 28 basiliques.
On ne compte plus les vrais morceaux de la vraie croix – de quoi bâtir un gratte-ciel en bois ; les véritables épines de la couronne du Christ – de quoi faire surgir une forêt.
Des églises sont construites pour abriter ces idoles qu’un païen n’aurait pas reniées.
Hélène fait rapporter de la terre de Jérusalem pour recouvrir sa chapelle privée dans son immense palais.
Ce culte morbide ouvre, avec celui des martyrs, le sillon thanatophilique du christianisme.
Exit le Jésus de paix, doux et pacifique.
Il n’y a plus qu’un cadavre de Christ déchiqueté avec les instruments de la Passion qui fournissent autant d’invitations à s’identifier au Christ.
Avec cette scénographie, cette théâtralisation, cette spectacularisation à destination du plus grand nombre sensible aux histoires magiques et fabuleuses, l’anticorps du Christ se trouve effacé.
Hélène et son fils réalisent l’incarnation : puisqu’on retrouve trois croix, un titulus, des tuniques, une couronne d’épines, des clous, un tombeau, des marches, il faut bien que Jésus ait existé.
Qui pourrait dès lors en douter ? La vérité du christianisme se trouve dans les preuves qu’il y eut un Christ.
« L’invention de la sainte Croix », comme l’écrit Jacques de Voragine dans sa Légende dorée, est un presque aveu… Mais l’étymologie latine permet de rapprocher « invention » d’inventio qui veut dire découverte… Dès lors l’invention devient la découverte, autrement dit, le contraire de l’invention ! Hélène meurt l’été 329 on ne sait où, mais en présence de son fils.
Ses funérailles sont grandioses.
Mausolée en porphyre, débauche de pierres et de métaux précieux.
Le peuple la déclare sainte immédiatement.
Constantin ne peut pas faire autrement que d’accéder aux désirs du peuple ! Du XIe au XIIIe siècle, celle qui invente le corps réel du Christ en imaginant les objets qui furent les siens devient la « reine des croisades » parce que la Croix est devenue un enjeu politique majeur.
Elle a donc inventé aussi le pèlerinage en Terre sainte, donc le pèlerinage tout court, et les croisades, grand moment de furie chrétienne.
Cynique, opportuniste, stratège, tacticien, calculateur, Constantin devenu empereur a probablement compris qu’il existait un moyen d’en finir avec l’éclatement politique de l’Empire, la Tétrarchie, de régler le mécontentement populaire, de pallier l’effondrement du Bas-Empire : le christianisme.
Cette secte qui enseigne que les pauvres doivent le rester (Dieu l’a voulu et les voies du Seigneur sont impénétrables : ceux qui sont pauvres seront les rois du royaume des cieux…) et que le pouvoir n’existe que parce que Dieu l’a confié à celui qui le possède (quels qu’aient été les moyens, parfois peu chrétiens, d’avoir vaincu…) est une bénédiction : il s’assure ainsi, avec une politique favorable aux chrétiens, d’une contre-révolution efficace et d’un pouvoir lui aussi efficace, parce que tous deux sous-tendus par la crainte de Dieu.
Il suffit de dire rétrospectivement que Dieu a voulu la victoire qu’on a déjà obtenue pour ne pas se tromper en affirmant que c’est parce que Dieu a manifesté ainsi sa Providence.
Voilà pourquoi, tout en prenant bien soin de ne pas se faire baptiser, ce qui serait le signe chrétien de la conversion chrétienne, autrement que sur son lit de mort, quelques heures avant la fin, le 22 mai 337, Constantin accepte le baptême non pas comme une assurance vie personnelle et spirituelle pour l’au-delà, mais comme une garantie politique de l’être, de la durée et de la pérennité de son œuvre historique.
En se convertissant, il convertit l’empire ; en convertissant l’Empire, il tue Rome et le sait puisqu’il crée Byzance ; en tuant Rome comme centre du monde, il crée la civilisation judéo-chrétienne qu’il souhaite étendre au monde ; en agissant ainsi, il donne l’impulsion de ce qui devient l’Occident.
Le Bas-Empire a vécu ; il n’eut pas d’Antiquité tardive, mais un effondrement de cette civilisation créée par Remus et Romulus en 753 avant l’ère commune.
De la Rome palatinale de 753 av. J.-C. à la Rome de l’édit de Milan en 313, via la République de César et l’Empire d’Auguste, Rome aura vécu onze siècles.
La Louve est mangée par l’Agneau.
C’est le festin inaugural et fondateur de notre civilisation judéo-chrétienne.
Onfray, Michel. Décadence
Chacun connaît les pyramides égyptiennes, les temples grecs, le forum romain et convient que ces traces de civilisations mortes prouvent… que les civilisations meurent – donc qu’elles sont mortelles ! Notre civilisation judéo-chrétienne vieille de deux mille ans n’échappe pas à cette loi.
Du concept de Jésus, annoncé dans l’Ancien Testament et progressivement nourri d’images par des siècles d’art chrétien, à Ben Laden qui déclare la guerre à mort à notre Occident épuisé, c’est la fresque épique de notre civilisation que je propose ici.
On y trouve : des moines fous du désert, des empereurs chrétiens sanguinaires, des musulmans construisant leur « paradis à l’ombre des épées », de grands inquisiteurs, des sorcières chevauchant des balais, des procès d’animaux, des Indiens à plumes avec Montaigne dans les rues de Bordeaux, la résurrection de Lucrèce, un curé athée qui annonce la mort de Dieu, une révolution jacobine qui tue deux rois, des dictatures de gauche puis de droite, des camps de la mort bruns et rouges, un artiste qui vend ses excréments, un écrivain condamné à mort pour avoir écrit un roman, deux jeunes garçons qui se réclament de l’islam et égorgent un prêtre en plein office – sans parler de mille autres choses…