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Paul de Tarse et l'écharde

En voulant circoncire un enfant, un chirurgien lui sectionne le gland.  (L'article)

Si un chirurgien assisté d’une équipe médicale complète dans une salle d’opération moderne peut accidentellement trancher le gland d’un pénis en ne voulant trancher que le prépuce, imaginez combien ce type d’accident pourrait expliquer la nature de l’écharde de Saint-Paul…

Jérémie 8:8 - 13s
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Le texte qui suit est tiré de l’ouvrage du philosophe Michel Onfray, intitulé Décadence. Un ouvrage à lire pour tout le monde et surtout pour les chrétiens qui ne jure que par la Bible soi-disant sans failles. L’on y découvrira, entre autres, la vraie nature de l’écharde de Saint-Paul ainsi que l’explication de son mépris de la sexualité.

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L'expression « anticorps du Christ » est ici utilisé par l'auteur comme rappel du portrait global de Jésus que trace le Nouveau Testament par la négative, soit qu'on n'y parle pas de la couleur de sa peau, de ses yeux, de ses cheveux, ni de ses besoins de déféquer et d'uriner, de sa nourriture qui n'est toujours que symbolique.

 

L’avorton de Dieu Chemin de Damas, juillet 34, vers midi.

 

L’anticorps du Christ a donc rendu possible le corps du judéo-christianisme – et ce fut au détriment du corps réel et concret des chrétiens. Il fallut, pour cette transmutation du concept de Jésus en or religieux, l’action d’un homme qui eut un corps véritable, lui, mais un corps défaillant. J’ai nommé Paul de Tarse, Saint Paul.

 

Plus qu’un autre ce Juif ayant commencé dans la vie par une contribution au meurtre d’Étienne, le premier martyr chrétien, eut des raisons de vouloir que son corps impuissant génère une puissance qui compense l’anticorps qu’il eut aussi – mais le sien fut un anticorps physiologique. Paul fit de Jésus le doux un Christ à l’épée. Et le tranchant de cette épée ruisselle de sang pendant plus de mille ans.

 

On ne connaît pas le nom complet de Paul ; on ignore sa date de naissance ; on ne sait pas précisément ce qu’ont été ses moyens de déplacement lors de ses nombreux voyages ; certes, il prend beaucoup de notes pendant ses missions, mais  quand il rédige, il contracte des faits, déplace des événements, modifie des situations pour produire une œuvre littéraire apologétique plus qu’une autobiographie historique ; on ne sait où, quand et comment il est mort – décapité dit-on ; on ne sait pas plus à quelle date – peut-être 67 ou 68 ; on ignore avec certitude le lieu de sa sépulture – possiblement à Saint-Paul-hors-les-Murs… Paul reconstruit son histoire ; il se fabrique une personnalité ad hoc ; il réécrit des discours et montre au lecteur non pas ce qu’il a dit, mais ce qu’il voudrait qu’on croie qu’il a dit ; il raconte l’histoire de l’avancée du christianisme telle qu’il l’a souhaitée, désirée, voulue, mais elle n’a pas  véritablement progressé comme il le dit ; il se présente comme l’instrument de Dieu qui permet l’expansion de la prophétie du Christ sur la totalité de la planète ; il se grime en acteur de ce péplum international qui montre un Juif converti à Jésus qui cherche ensuite à convertir les autres, les Juifs d’abord, puis le restant de l’humanité, les Gentils, au message de Jésus.

 

Il fait la propagande de lui-même, ce qui ne saurait en aucun cas transformer ses textes en documents historiques pourtant souvent pris comme tels. Les récits qui se présentent comme autobiographiques ne le sont pas.

 

Sous couvert de raconter l’histoire vraie d’un combat vrai dans un temps et des lieux vrais, Paul raconte l’histoire merveilleuse d’un christianisme qui s’universalise grâce à lui : il se construit lui-même en missionnaire du christianisme, en conquérant du monde qui conduit la secte orientale chrétienne et palestinienne des origines, en religion occidentale d’abord méditerranéenne, puis européenne avant qu’elle ne devienne planétaire.

 

Sa biographe catholique Marie-Françoise Baslez écrit qu’animé par de pareils sentiments « Paul devint ainsi un héros de roman dès le milieu du IIe siècle, le premier héros de roman chrétien ».

 

Constantin fut en effet le véritable convertisseur ; c’est lui qui crée l’Occident chrétien et donne une  forme politique au judéo-christianisme. Mais, sans Paul, cette conversion de l’Empire aurait peut-être été moins facile, voire moins possible. Il a fallu pour ce faire que le treizième apôtre infléchisse le discours la plupart du temps pacifiste de Jésus en apologie de la conversion par le glaive, le symbole de Paul.

 

Pour ce qui semble sûr, du moins si l’on en croit les Actes de Paul évidemment apocryphes, on sait que Paul est petit, maigre, chauve, barbu, les sourcils joints, qu’il a le nez busqué et les jambes arquées.

 

On sait également que ce Juif a désobéi à la tradition de son peuple en ne se mariant pas. Habituellement, on se fiance vers dix-huit  ans pour se marier dans la foulée afin d’éviter l’errance sinon sentimentale, du moins sexuelle, dommageable pour les filiations, essentielles à la vie et à la survie du peuple juif.

 

Le mariage fixe la libido. Dans sa Première Épître aux Corinthiens, Paul affirme : « Je voudrais que tous les hommes fussent comme moi » (7, 7), autrement dit célibataires, non mariés, sans conjoints. Cet homme disgracieux n’a pas de femme – une énigme en milieu juif. Pour quelles raisons peut-on, à cette époque, demeurer célibataire ? On sait que Saint Paul est affligé, à cause de Satan dit-il, d’une « écharde dans la chair » (Deuxième Épître aux Corinthiens 12,  7). C’est probablement cette écharde qui permet de résoudre l’énigme de cette vie sans femme et sans épouse : la haine des corps et de la chair, le mépris des femmes et de la sexualité, l’invitation à la chasteté ou à la continence, la proposition du modèle d’une vierge qui enfante ou de l’imitation du cadavre du corps du Christ, voilà autant de schémas du corps judéo-chrétien infligés aux Occidentaux pendant plus de mille ans qui procèdent en lignage direct du corps débile et malade de Paul de Tarse.

 

La littérature est abondante sur cette écharde. Elle renvoie la plupart du temps à la physiologie : arthrite, colique néphrétique, tendinite, sciatique,  sciatique, goutte, tachycardie, angine de poitrine, démangeaisons, gale, prurit, anthrax, furoncles, hémorroïdes, fistule anale, eczéma, lèpre, zona, peste, rage, érysipèle, gastralgie, colique, maladie de la pierre, otite chronique, sinusite, trachéo-bronchite, rétention d’urine, urétrite, fièvre de Malte, filariose, paludisme, filariose, teigne, céphalées, gangrènes, suppurations, abcès, hoquet chronique, convulsions, épilepsie.

 

J’avais compilé tout cela quand j’écrivais mon Traité d’athéologie. Je commentais ainsi cette liste : « Les articulations, les tendons, les nerfs, le cœur, la peau, l’estomac, les intestins, l’anus, les oreilles, les sinus, la vessie, la tête, tout y passe… »  Tout y passe sauf ce qui relèverait du sexologue, du conseiller conjugal, du psychologue, voire du psychanalyste – il existe même d’étranges centaures de cette corporation qui mélangent l’affabulation freudienne et l’affabulation chrétienne… Car, je veux bien que Paul ait été affublé d’un hoquet chronique ou d’une otite persistante, mais c’est trop peu pour conclure que pareille pathologie empêche de trouver une femme pour faire des enfants !

 

Certes, la fistule ou les hémorroïdes pourraient dissuader un peu une jeune fille en quête d’un père pour sa progéniture, mais si tous les hommes affligés de ce genre de maux devaient demeurer célibataires pour la vie, il y aurait pléthore.

 

Une homosexualité latente et, ou, refoulée, a bien été tentée par des psychanalystes qui trouvent plus facilement ce qui n’est pas que ce qui est. Cette hypothèse ne mange pas de pain anatomique, mais on voit mal que Paul ait souhaité que son mal, donc ce mal, devienne un bien pour l’ensemble de l’humanité, car, rappelons-nous la Première Épître aux Corinthiens, il invite chacun à lui ressembler. Certes, à lui ressembler dans le célibat, et non dans l’homosexualité, mais si la seconde avait été la cause du premier, nul doute qu’il aurait trouvé une autre formule.

 

J’avais précisé que l’usage métaphorique de cette  écharde cachait une certaine honte : on n’a en effet aucune raison de dissimuler une arthrose, un zona ou une gastralgie, des céphalées ou de l’angine de poitrine. Pas plus qu’on ne saurait cacher ce qui se voit – une gale, une teigne, un eczéma, des furoncles. Si Paul tait ce qu’il a, c’est probablement qu’il s’agit d’une maladie honteuse qui lui interdit le commerce des femmes et la possibilité de fonder une famille.

 

Autrement dit une impuissance sexuelle avec turgescence impossible. Quand il souhaite que l’humanité lui ressemble et qu’il entretient immédiatement dans la foulée de sa démonstration de la chasteté, quand il fait l’éloge de la continence absolue plutôt que du  mariage auquel il se résout faute de force suffisante pour renoncer à toute chair, Paul fait de nécessité vertu : il se croit libre en voulant ce qui le veut, à savoir l’impuissance sexuelle.

 

Ce petit homme chauve aux jambes torses, ce Juif chétif et malingre, ce barbu disgracié dit ne pas vouloir ce corps qui ne le veut pas, ce corps qui l’a quitté. On le comprend. Mais, de là à vouloir névroser l’Univers entier en croyant qu’ainsi sa névrose ne se verra pas, il n’y a qu’un pas !

 

Avant sa conversion au christianisme, Paul a persécuté les chrétiens. Il a participé à la lapidation d’Étienne – il gardait ses vêtements pendant qu’on massacrait le disciple du Christ.

 

Sur le  chemin de Jérusalem à Damas, sous la canicule d’un soleil de juillet 34, alors qu’il part demander à la Synagogue l’autorisation d’arrêter les chrétiens, une lumière tombe du ciel et une voix lui parle. Elle lui demande pourquoi il le persécute. Il s’agit donc du Christ. Ceux qui voyagent avec lui entendent la voix, mais ne voient rien.

 

Paul, qui s’appelle alors encore Saül, tombe de sa hauteur (et non d’un cheval – c’est l’iconographie qui lui prête une monture absente des textes néotestamentaires…) et se relève. Mais il est aveugle. Trois jours plus tard, le chrétien Ananias lui rend la vue (Actes des Apôtres 9, 10-19).

 

L’épisode est raconté à trois reprises – la  Deuxième Épître aux Corinthiens (5, 17), les Actes des Apôtres (9, 3-8 et 23, 6-11). Dans les Actes, Paul précise que cet événement est advenu « vers midi » (22, 6) : midi est évidemment une heure symbolique. C’est l’heure de la clarté la plus absolue, l’heure du soleil au zénith, l’heure de la plus grande lumière, l’heure sans ombre, celle qui permet de faire reculer le plus possible les ténèbres, celle qui fait en même temps triompher la vérité, la justesse et la justice.

 

Des cultes solaires préhistoriques aux travaux maçonniques en passant par le zoroastrisme et la métaphore nietzschéenne, l’heure de midi est la plus dense en clarté métaphorique et réelle. De même l’aveuglement et le recouvrement de la vue n’ont pas grand-chose à voir avec un problème ophtalmique – une erreur que je fis au temps du Traité d’athéologie en prenant le texte au pied de la lettre biographique avec un souci moindre de son sens allégorique et symbolique. La lecture historique suppose une écriture historique ; ce qui ne fut pas le cas.

 

Certes, cette chute suivie d’une perte de vue recouvrée peut être vue comme des signes d’une crise d’hystérie. Les symptômes coïncident. J’ai donné dans cette lecture… Mais au-delà de l’erreur qui consiste à regarder avec le seul œil de l’historien des documents écrits avec une plume poétique, mythologique, il faut  décoder ces signes : Paul est un Juif qui persécute les chrétiens ; sur le chemin de son forfait, la vérité s’empare de lui ; la violente clarté est la forme prise par la manifestation de la puissance divine ; l’aveuglement est celui du Juif qui n’a pas compris que la vérité du judaïsme est dans le christianisme – voire que la vérité du christianisme est dans la formulation de ce néojudaïsme ; le recouvrement de la vue est la preuve que Paul sait ce qu’il faut désormais savoir : il va dès lors passer sa vie à enseigner cette bonne nouvelle.

 

Or la « bonne nouvelle » se dit « évangile » : rappelons que les Évangiles sont écrits après Paul. Le retour de la vue trois jours après l’événement  fait également sens : c’est après trois jours que le Christ, mort, est ressuscité. Ce que fut la mort pour Jésus, la chute sur le chemin de Damas l’est pour Paul.

 

Le règne de l’un et le règne de l’autre adviennent après ce moment plein de clarté – quand ses amis découvrent le tombeau vide, un ange lumineux, plein de cette clarté irradiante lui aussi, leur enseigne que le Christ est vivant. De l’ange qui annonce la venue du Messie à celui qui enseigne sa mission accomplie, en passant par la conversion de Paul, la lumière fait la loi. L’anticorps de Jésus se trouve donc célébré par un homme qui déteste son corps et qui se propose de recourir à une métaphore pour dire ce qu’il enseigne.

 

Cet homme probablement impuissant fait du message d’un Jésus sans corps l’occasion d’abolir la circoncision du prépuce qui définissait le Juif pour lui préférer une « circoncision du cœur » qui va faire le judéo-chrétien.

 

Le combat pour abolir le marquage identitaire du corps local par le modèle (rabbin officiant pour couper le morceau de chair), au profit du marquage spirituel de l’âme universelle par le baptême, est fondateur du judéo-christianisme. Jésus est circoncis, Paul est circoncis. Normal, tous les deux sont juifs.

 

Toutefois, Paul souhaite que la circoncision ne concerne plus le corps de  chair, mais l’âme. Jésus qui n’eut pas de corps propre n’a eu que faire du corps d’autrui : il n’a jamais manifesté aucun mépris pour la chair des autres, le corps des autres, la sexualité des autres, la libido des autres. Il n’a jamais mis en garde contre les relations sexuelles. Il n’a eu cure d’inviter son prochain à la chasteté ou à l’abstinence, à la continence ou au célibat. Il n’a invité personne à se marier ou à ne pas se marier. Son souci n’était pas prescripteur corporellement, mais spirituellement.

 

Paul qui fut possiblement impuissant a véritablement voulu faire de l’impuissance la puissance des chrétiens. En plus de mille ans, il y est souvent parvenu. 

 

La circoncision vient de l’Égypte – et de l’Éthiopie. Les pharaons y sont soumis. Abraham la pratique sur son propre corps à quatre-vingt-dix-neuf ans et sur son fils Ismaël, l’ancêtre des Arabes, qui a treize ans.

 

On circoncit en tranchant la peau du prépuce ; le rabbin qui pratique l’opération avec une lame consacrée lèche le sang qui coule de la plaie ; on peut enterrer le prépuce dans un endroit sacré, sous un arbre centenaire, dans des carrefours, des tombeaux d’ancêtres, sous des seuils de maison et autres lieux qu’on pensait chargés de l’énergie du cosmos.

 

Ce rite a lieu au septième jour – le huitième si l’on compte celui de la naissance disent la Genèse  (17, 12) et le Lévitique (12, 3). Chacun sait que Dieu a fait le monde en sept jours. Le jour d’après, c’est celui qui permet à l’homme de vivre sa vie. La circoncision est l’occasion de donner un nom. Donc d’entrer dans sa vie pour la vivre. Et de la vivre sous le signe de Dieu. Ce geste chirurgical effectué par un rabbin marque l’accueil de l’impétrant dans la communauté juive – ce dont témoignent, outre le rabbin, le père, son témoin ou parrain et huit autres personnes.

 

C’est également le signe de fidélité du peuple juif à son Dieu. Jésus, qui, donc, n’avait pas de corps, puisqu’il n’avait pas d’existence réelle, a tout de même été circoncis. Pour preuves, la douzaine de prépuces  pieusement conservés dans différents lieux de culte en Europe – chez les moines de Coulombs en Eure-et-Loir, à l’abbaye Saint-Sauveur de Charroux dans la Vienne, à Hildesheim en Allemagne, à Saint-Jean-de-Latran à Rome, à Anvers, au Puy-en-Velay, à Chartres, à Metz, etc. Charlemagne en a même reçu un, en cadeau, de la main d’un ange. La Saint-Prépuce a été une fête célébrée par les chrétiens le 1er janvier (mon jour de naissance…) pendant plus de mille ans, jusqu’au 1er janvier 1970 où le Vatican a rangé discrètement cette fête dans ses cartons.

 

Pour ceux qui l’ignorent, d’autres lieux de culte disposent également du cordon ombilical  qui reliait Marie à Jésus (à Rome, Clermont, Châlons-en-Champagne…) ou de ses dents de lait (à Soissons, Versailles, Noyon…). « Saint-Prépuce », dit aussi « Sainte-Vertu » (allez savoir pourquoi !), « Saint-Nombril » et « Saintes-Dents », tout cela est très sérieux, je n’invente pas, voilà de multiples preuves que, pour un Jésus qui n’eut pas de corps, celui qu’on lui prête a été multiplié comme les pains.

Ce corps introuvable a fait d’innombrables petits sous forme d’organes disséminés. Miracles… Rien ne permet de savoir ce qu’il en a été du prépuce de Paul lui aussi sectionné.

 

Si j’étais psychanalyste, ce qu’à Dieu ne plaise, je ferais de cette opération chirurgicale un traumatisme inducteur de la théologie paulinienne : cette coupure l’aurait marqué à vie, elle aurait fait bouillir son complexe de castration jusqu’à lui sectionner métaphoriquement les génitoires. Il aurait ainsi voulu, d’une part, interdire la circoncision aux chrétiens pour éviter la reproduction du trauma, d’autre part, condenser et déplacer le geste anatomique pour en faire une geste spirituelle. Mais, Dieu merci, je ne suis pas psychanalyste.

 

Paul marque le passage du judaïsme au judéo-christianisme en obtenant que les disciples du Christ ne soient plus circoncis physiquement, mais spirituellement. « Prenez garde aux faux circoncis ! Car c’est nous qui sommes les circoncis, nous qui offrons le culte selon l’Esprit de Dieu et tirons notre gloire du Christ, au lieu de placer notre confiance dans la chair » (Épître aux Philippiens 3, 3).

 

En agissant ainsi, Paul définit un christianisme qui abolit la différence entre les Grecs et les Juifs, les barbares et les Scythes, les esclaves et les citoyens, les circoncis et les incirconcis, il n’y a plus que des hommes et des femmes qui communient dans une même foi en Dieu, via Jésus-Christ.

 

Paul crée l’universalisme chrétien, il passe du local et du national juif au cosmopolitisme et à l’internationalisme chrétien. Le judaïsme était une religion nationale, tribale, la circoncision du prépuce en faisait foi ; le christianisme devient une religion mondiale, déterritorialisée, la circoncision de l’esprit témoigne.

 

Paul abolit le corps physique et parler de la « circoncision des cœurs » – mais cette formule qui permet de sortir du judaïsme est judaïque : on la retrouve en effet dans le Deutéronome (10, 16 ; 30, 6). On découvre également ailleurs une « circoncision de la bouche » et une « circoncision des lèvres » dans l’Exode (6, 12), une « circoncision de l’âme » dans le Lévitique (26, 41), une « circoncision des oreilles » dans Jérémie (6, 10).

 

Quand Paul, qui est juif, sort du judaïsme, c’est encore en Juif qu’il en sort, et c’est ainsi qu’il fonde le judéo-christianisme. Paul dit : « La circoncision n’est rien, ni l’incirconcision ; il s’agit d’être une créature nouvelle » (Épître aux Galates, Épilogue, 15).

 

Cet homme nouveau fonde une anthropologie nouvelle – celle de notre civilisation.

 

Contre l’homme juif ou contre l’homme romain, l’homme chrétien voulu par Paul voudra moins imiter Jésus le philosophe, le sage, le chamane, la figure de douceur, de paix, d’amour, de tolérance, l’homme qui pardonne à la femme adultère, que le Christ, pire, le cadavre du Christ.

 

Le corps malade de Paul qui affirme : « Je meurtris mon corps et le traîne en esclavage » (Première Épître aux Corinthiens, 9, 27) devient le corps emblématique, la chair archétypale, le modèle soumis aux chrétiens afin qu’ils méritent et obtiennent leur salut.

 

Il ne suffit pas de vouloir imiter la vie sainte de Jésus pour être sauvé, il faut aussi et surtout imiter le Christ sur la croix, autrement dit le corps hissé et cloué, le corps à la tête couronnée d’épines, le corps au flanc percé par une lance, le corps qui boit le vinaigre sur l’éponge, pour ce faire, la vie masochiste est exigée.

 

Notre civilisation judéo-chrétienne se construit donc à partir d’un corps absent, celui de Jésus, pris en charge par le corps d’un masochiste, Paul, qui souhaite névroser le monde pour ne plus s’y sentir étranger. Quand tout le monde souffrira comme lui, sa souffrance lui paraîtra plus supportable. Sauf qu’il n’en souffrit pas moins et que pendant mille ans son propos enseigna à des millions d’hommes et de femmes la jouissance dans la souffrance.

 

La question sur la circoncision fut tranchée, si je puis dire, par le premier concile de Jérusalem en l’an 51 de ce qui n’est pas encore l’ère chrétienne. C’est le premier de tous les conciles, il fournit la matrice de tous ceux qui suivent et qui décident de la nature et de la forme, donc de la force, de l’Église.

 

Les fidèles d’Antioche débattent de la question posée par Paul : certes, les Juifs doivent être circoncis pour pouvoir être ce qu’ils sont. Mais les chrétiens, eux, le doivent-ils ? Certes, ils procèdent d’un lignage Juif, mais faut-il retenir ce marquage du corps ou s’en défaire ? On le sait, Paul milite pour la circoncision des cœurs et l’incirconcision des corps. Avec quelques pharisiens d’Antioche, Cérinthe veut que les Gentils devenus chrétiens soient circoncis et obéissent à tous les préceptes juifs. Autrement dit que les chrétiens soient… des juifs comme les autres.

 

Paul et Barnabé soutiennent que le Christ est venu libérer les hommes de ce genre de servitude. Cinq apôtres, dit-on, assistaient à ce concile : Pierre, Jean, Jacques, présenté comme le frère de Jésus, Paul et Barnabé. Quelques-uns de leurs disciples les accompagnent. Pierre est contre la circoncision ; même chose pour Jacques, il souhaite que les convertis s’abstiennent de manger la viande consacrée aux idoles, mais aussi toute autre nourriture carnée, il interdit également la fornication.

 

La chose fut entendue, les chrétiens n’auront pas besoin d’être circoncis. Il fut dit que le Saint-Esprit avait ainsi dicté sa loi. Ce fut donc un oracle divin et non une prescription humaine… Des milliards de prépuces chrétiens furent épargnés ce jour de l’année 51.

 

Si Saint Paul est représenté dans l’histoire de l’art avec une épée, ce n’est pas forcément, comme il est dit partout, parce qu’elle est l’instrument de son supplice.

 

L’épée dit bien plutôt la collusion de la religion et de la politique rendue possible par la doctrine théologique de Paul qui fonde ce qu’on nommera plus tard le césaropapisme.

 

L’épée de Paul est celle du pouvoir temporel du spirituel. La parole pacifique de Jésus peut alors devenir action conquérante via Paul.

 

L’anticorps de Jésus devient, grâce à Paul, le corps politique chrétien. Le corps du Christ, c’est l’Église ; et l’Église, c’est le Vatican, le pouvoir concentré dans les mains d’un seul – l’empereur qui est pape, le pape qui est empereur, la version chrétienne du philosophe-roi de Platon.

 

De la même manière que Paul remplit les blancs de Jésus avec l’encre de ses soucis (ainsi le silence de Jésus sur le sexe devient-il chez Paul haro sur le sexe, le mutisme de Jésus sur les femmes devient-il misogynie chez Paul, l’absence de considération sur le mariage est-il remplacée par son conseil faute de pouvoir vivre la continence…), le « treizième apôtre », comme il se nomme lui-même, remplit les blancs de Jésus sur le terrain politique.

 

Car on ne sait rien non plus sur la politique de Jésus : il n’a rien dit, ni sa préférence ni sa détestation. Son royaume, disait-il, n’était pas de ce monde – Paul pensait très exactement l’inverse… Il existe un moment dans les Évangiles où l’on peut déduire une politique de Jésus. Les scribes et les Grands Prêtres lui demandent s’il est permis de payer le tribut à César. Réponse célèbre et fameuse : « “Montrez-moi un denier. De qui porte-t-il l’effigie et l’inscription ? Ils dirent : “De César.” Alors il leur dit : « Eh bien ! Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu” » (Luc 20, 24-26).

 

Une partie des chrétiens s’appuie sur ce verset pour affirmer aujourd’hui que Jésus invente la laïcité : c’est lui qui dirait, en effet, qu’il existe deux registres hétérogènes : celui de la cité des hommes, avec César et ses deniers, celui de la cité de Dieu, avec ce royaume qui n’est pas de ce monde.

 

Paul n’est pas dans cette logique libertaire (si l’on me permet l’anachronisme…) de Jésus qui, lui, ne reconnaît aucun pouvoir temporel : ni celui d’Auguste, sous lequel il serait né, ni celui de Tibère, sous lequel il serait mort, ni celui du roi Hérode, roi de sa naissance, ni celui de Ponce Pilate, procurateur lors de sa mort, ni celui des fonctionnaires romains en Palestine.

 

Jésus est tout à son œuvre spirituelle et revendique un seul maître : Dieu, auquel les conciles l’identifient d’ailleurs… À sa manière, il est un Diogène ne reconnaissant aucun Alexandre qui lui ferait de l’ombre et lui cacherait la lumière du Seigneur, son seul maître.

 

L’enseignement de Jésus n’est pas celui avec lequel on construit un empire : un César dont le royaume ne serait pas de ce monde ne saurait être César. Saint peut-être, mais pas longtemps César. Un César qui ne juge pas, qui pardonne les fautes, qui veut l’amour de son prochain ? C’est le contraire d’un César…

 

Ce que Jésus ne permet pas, à savoir le César et l’empire, Paul va le permettre : voilà pourquoi l’iconographie le représente avec une épée à la main. Il est celui qui conquiert les terres du bassin méditerranéen et les christianise.

 

Un épisode des Actes des Apôtres rapporte un autodafé : Paul est à Éphèse pour évangéliser les Éphésiens. Il en convertit une douzaine (19, 7) – autant que les apôtres, le chiffre symbolique fait plus la loi que les mathématiques immanentes.

 

Ces nouveaux convertis « parlaient en langues et prophétisaient » (19, 6) – autrement dit, affligés de glossolalie, ils discouraient dans une langue inventée comme sous le signe d’une possession.

 

Dans cette ville d’Asie Mineure aujourd’hui en Turquie, Paul continue son travail de conversion pendant deux années. Pendant cinq heures, entre 11 et 16 heures, le tribun parle dans une salle. La chaleur est étouffante. Il effectue des miracles.

 

On l’approche, on touche sa peau avec des linges qui deviennent des reliques avec lesquelles les chrétiens nouveaux guérissent. Des altercations ont lieu avec des Juifs, on n’en donne pas les détails, le texte dit juste que ces derniers « s’enfuirent […] nus et couverts de blessures » (19, 16).

 

Le climat de violence est donc avéré : vêtements déchirés, arrachés, lacérés, en lambeaux, mais aussi, sur les corps, coupures, entailles, plaies, sang versé. De la même manière que le narrateur, tout à son hagiographie, signale des violences sans préciser leur nature ainsi que cet autodafé.

 

Pas question de dire, de laisser dire, ou de laisser croire, que Paul le suscite, le sollicite, le demande, le veut, l’organise ou s’en réjouit : Luc, dont on dit qu’il a écrit ce texte, raconte que, comme par enchantement, sans que Paul y soit pour quelque chose, des personnes apportent leurs livres et les consument dans un grand bûcher.

 

Première trace d’un autodafé chrétien. « On en estima la valeur : cela faisait cinquante mille pièces d’argent » (19,19) – ce qui constitue une somme considérable.

 

En 1562, Maarten De Vos, un peintre maniériste flamand, a reconstitué la scène dans une grande toile intitulée Saint Paul à Éphèse. De même le peintre baroque Eustache Le Sueur, surnommé « le Raphaël français », avec Le Sermon de Saint Paul à Éphèse. Il s’agit, dit l’hagiographe chrétien, de livres de « magie ».

 

On ne sait ce que signifie « magie » pour des gens qui croient qu’une femme peut être vierge et mère, qu’un père peut n’avoir pas de relation sexuelle avec son épouse, mais engendrer tout de même un enfant avec elle qui, cependant, reste vierge, qu’un homme peut mourir et ressusciter trois jours plus tard avant de monter au ciel et de s’asseoir à la droite du Seigneur…

 

C’est l’hôpital chrétien qui se moque de la charité païenne. Il s’agit bien plus probablement de livres païens sacrés qui relèvent autant de la magie que les Évangiles. Sinon de textes de philosophes incompatibles avec la fable chrétienne : les nombreux rouleaux de Démocrite ou les 300 livres d’Épicure n’ont pas été rayés de la planète sans raison.

 

Paul part ensuite à Rome continuer son évangélisation : on peut imaginer qu’il y eut d’autres rixes avec des Juifs et des païens, puis d’autres autodafés de livres de la religion qu’il fallait éradiquer ou d’ouvrages de philosophes qu’il fallait détruire, donc déconsidérer en les assimilant à des pratiques induites par des livres de magie – ce que sont tous les livres religieux.

 

Paul n’y serait pour rien ! On se bat, on frappe son prochain, on le blesse, on le dénude, on lui donne des coups, on brûle des livres, mais Paul n’a rien demandé !

 

Certes, il peut bien n’avoir rien demandé, mais ce qui est clair, c’est qu’il laisse faire ! Il ne dit rien contre : il n’empêche pas, il ne condamne pas, il n’invite pas à la retenue, il ne fait pas ce qu’il faudrait faire pour que le sang de ses adversaires ne coule pas, ne coule plus, et pour que les livres qui ne sont pas les siens ne soient pas détruits.

 

Dans pareille configuration, des persécutions avec des victimes physiques et des brasiers dans lesquels on précipite des bibliothèques, qui ne dit mot consent. Un consentement bien restitué par De Vos et Le Sueur. L’hagiographie a insisté sur le Jésus de douceur et de bonté. L’histoire de l’art regorge d’images à la gloire de cet homme-là.

 

On passe sous silence qu’il y eut aussi un autre Jésus, moins connu, plus caché, moins cité, mais tout aussi légitime et qui permit aux allumeurs d’autodafés contemporains de Paul, aux croisés armés jusqu’aux dents et prêts à en découdre, aux inquisiteurs avec leurs instruments de torture, aux conquistadors avec leurs épées de se réclamer eux aussi de Jésus sans que leurs revendications soient illégitimes.

 

De Saint Paul dans Éphèse à Bernard Gui l’auteur du Manuel de l’inquisiteur au XIIIe siècle, en passant par le pape Urbain II qui déclenche la première croisade contre les musulmans au XIe siècle, ou Arnaud Amaury, l’archevêque de Narbonne, chef de l’ordre cistercien qui réprime la révolte cathare et, lors du siège de Béziers pendant la croisade des albigeois au XIIIe siècle s’écrie « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens », sinon le conquistador espagnol Hernán Cortés qui ravage la civilisation aztèque au XVIe siècle, tous ceux qui ont imposé le judéo-christianisme partout sur la planète peuvent en effet s’appuyer sur ces versets de l’Évangile selon Matthieu qui affirme sans ambages : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère ; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison » (10, 34-36).

 

La voilà donc, la fameuse épée associée à Saint Paul. La logique du prélèvement permet d’oublier le Jésus de paix, de tolérance, celui qui tend l’autre joue quand on l’a frappé, celui qui pardonne les offenses, celui qui rend l’amour quand on le hait. Il suffit pour ce faire d’invoquer d’autres passages du Nouveau Testament. Ainsi : « Je suis venu apporter le feu sur la terre et que désirais-je sinon qu’il soit déjà allumé ? » (Luc 12, 49). Et puis : « Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? Non, vous dis-je, mais la division » (Luc 12, 51). Mais aussi ceci qui fait suite à la parabole des mines : « Amenez ici mes ennemis, qui n’ont pas voulu que je régnasse sur eux, et égorgez-les en ma présence » (Luc 19, 27). Ou bien encore, cet épisode cité avec admiration par Hitler dans Mon combat : « Lorsque Jésus entra dans le Temple il se mit à chasser ceux qui vendaient et qui achetaient achetaient dans le Temple ; il renversa les tables des changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons ; et il ne laissait personne transporter aucun objet à travers le Temple » (Marc 11, 15). Ceci enfin : « Si quelqu’un vient à moi, et s’il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, et ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple » (Luc 14, 26).

 

Apporter le feu et la guerre, la division et l’épée sur terre, inviter à couper la gorge à ceux qui ont refusé de se convertir à sa parole, manifester sa colère et, « se faisant un fouet de cordes » (Jean, 2, 15), frapper son semblable, haïr ses parents et sa descendance pour faire passer au premier plan l’amour de Jésus, voilà qui permet à Saint Paul qui n’aimait pas son corps ni la vie, qui a montré, lors de la lapidation d’Étienne, qu’il portait en son âme noire de quoi fêter plutôt Thanatos qu’Éros, voilà donc de quoi faire de la communauté chrétienne une armée placée sous le signe d’une épée.

 

L’Église sera l’épée avec laquelle la civilisation se trouve taillée dans le vif de l’Histoire. Paul n’aime pas les philosophes. La philosophie est, dit-il, « une creuse duperie » (Épître aux Colossiens 2, 8). Dans ses nombreuses pérégrinations, Éphèse et Antioche, Thessalonique et Corinthe, Césarée et Pergame, Tyr et Milet, entre Syrie et Galatie, Galatie, Bithynie et Lydie, Thrace et Macédoine, Pont et Cilicie, il n’a pas manqué d’en rencontrer sur les agoras ou au milieu du peuple, parmi marchands et tisserands, foulons et potiers, poissonniers et portefaix. C’est là en effet que les pythagoriciens, les platoniciens, les stoïciens, les épicuriens, les cyniques enseignaient leur art de vivre selon l’ordre de la raison.

 

À cette époque, la religion fournit une spiritualité aux amateurs d’histoires simples ; la philosophie aussi, mais, cette fois-ci, à destination de ceux qui désirent moins des fictions qui les rassurent que des vérités qui les apaisent.

 

Le Nouveau Testament a conservé trace d’une des rencontres de l’apôtre et des philosophes. Paul se trouve à Athènes, sur l’agora qui, jadis, a servi d’écrin aux échanges entre Socrate et Platon, Platon et Aristote, Diogène et Platon, Platon et Aristippe, sans parler de nombre d’autres philosophes moins connus, dont des néoplatoniciens.

 

Les Actes nous disent de Paul que « son esprit s’échauffait en lui au spectacle de cette ville remplie d’idoles » (17, 16). L’esprit échauffé ? Voilà qui augure un grand climat de sérénité mentale et spirituelle, philosophique et amicale…

 

Lisons : « Il y avait même des philosophes épicuriens et stoïciens qui l’abordaient. Les uns disaient : “Que peut bien vouloir dire ce perroquet ?” D’autres : “On dirait un prêcheur de divinités étrangères” parce qu’il annonçait Jésus et la résurrection » (17, 18). Les philosophes lui demandent d’éclaircir un peu ce qu’il enseigne.

 

En effet, la résurrection de la chair, voilà qui fait sourire le partisan de Zénon ou d’Épicure ! Paul tient alors un discours aux philosophes. Il a remarqué dans la ville que les païens avaient élevé un autel au dieu inconnu – il en va ainsi du polythéisme qu’il n’est jamais pourfendeur du dieu d’autrui, mais qu’il lui laisse toujours une place dans son panthéon.

 

Habile dialecticien, ce dieu inconnu, Paul se l’approprie en disant, d’une part, que c’est le sien, d’autre part, que c’est le seul. Ce geste fait éminemment sens, il est allégoriquement prophétique : abolition du paganisme et de la multiplicité de ses dieux tolérants, puis remplacement de ces dieux divers et multiples, tolérants, par un seul et unique Dieu, intolérant dès qu’il aura le pouvoir.

 

Le programme paulinien tient tout entier dans ce discours aux philosophes : ils vont devoir remballer leurs anciens dieux et les ranger dans la cave de l’histoire pour laisser place au seul Dieu qui soit, celui qui enseigne la « résurrection des morts » (17,32).

 

Face à ce délire mental, les philosophes rient, persiflent, se moquent de lui. Paul quitte cette assemblée goguenarde, non sans avoir converti au passage Denys l’Aréopagite, futur premier évêque d’Athènes, et une femme nommée Damaris. Il continue son périple et part évangéliser Corinthe.

 

L’Église est pour lui le corps qu’il n’a pas eu ; c’est aussi le corps que Jésus n’eut pas. Pour expliquer sa mission évangélique, Paul dit : « Je complète ce qui manque aux tribulations du Christ en ma chair pour son Corps, qui est Église » (Épître aux Colossiens 1, 24).

 

Pour lui, « la réalité c’est le corps du Christ » (2, 17). Et qu’est-ce que le corps du Christ ? « La Tête, dont le Corps tout entier reçoit nourriture et cohésion, par les jointures et ligaments, pour réaliser sa croissance en Dieu » (2, 19).

 

Ailleurs, dans l’Épître aux Éphésiens, Paul précise : « Tête pour l’Église, laquelle est son corps » (1, 23) ou bien encore, dans l’Épître aux Colossiens, « Il est aussi la Tête du Corps c’est-à-dire l’Église » (1, 18).

 

Le corps est donc une tête dont la cohésion se fait par les ligaments – précisons, mais le faut-il ?, que cette anatomie est métaphorique… Ajouter le corps inexistant de Jésus au corps défaillant de Paul, c’est donc obtenir le corps de l’Église.

 

Un faux corps, plus un corps débile (au dire même de son propriétaire qui se présente comme un « avorton » dans la Première Épître aux Corinthiens 15, 8), cela donne un corps mystique, celui de l’Église qui est communauté.

 

L’Eucharistie est le lieu de cette transmutation des corps épars en un corps mystique. On le sait, dans le dernier repas avant la Passion, la Cène permet à Jésus de partager le pain et le vin avec ses disciples.

 

En affirmant qu’il tient du Christ lui-même le principe de l’Eucharistie, Paul fait basculer le judaïsme originaire, dont il se réclame, en christianisme et plus particulièrement en catholicisme dont l’étymologie renvoie à l’universel.

 

On peut en effet lire ceci dans la Première Épître aux Corinthiens : « Pour moi, en effet, j’ai reçu du Seigneur ce qu’à mon tour je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, la nuit où il était livré, prit le pain et, après avoir rendu grâce, le rompit et dit : “Ceci est mon corps, qui est pour vous ; faites ceci en mémoire de moi.” De même, après le repas, il prit la coupe, en disant : “Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; chaque fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi.” Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. Ainsi donc, quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur aura à répondre du corps et du sang du Seigneur » (11, 23-27).

 

Paul fonde ainsi un sacrement propre à l’Église catholique. Le corps absent d’un Jésus inexistant, passant par le corps défaillant d’un Paul infirme, produit un corps mystique obtenu avec un repas symbolique dans lequel le croyant mange le corps du Christ sous les espèces du pain de l’hostie et boit le sang du Christ sous les espèces du vin, le Christ, mélangé d’eau, son peuple.

 

Chaque communion lie et relie les membres de la communauté qui se soude et se définit dans la réitération symbolique d’une scène allégorique – d’une Cène allégorique. La Passion inaugure l’âge chrétien. À plusieurs reprises, Paul parle de ces premières communautés chrétiennes primitives qui se réunissent pour rompre le pain, mais aussi parfois pour « boire à un rocher spirituel […] qui est le Christ » (Première Épître aux Corinthiens 10, 4).

 

Le vin est du sang ; le pain, de la chair ; le rocher est liquide. La raison est en vacances. Paul est également, enfin et surtout, l’homme d’une théologie politique, voire d’une politique théologique.

 

C’est à lui en effet qu’on doit cette terrible affirmation : « Tout pouvoir vient de Dieu. » Lisons en effet ce texte fondateur de la théologie politique paulinienne qui constitue le socle sur lequel se construit l’Église politique de saint Pierre : « Que chacun se soumette aux autorités en charge. Car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu.

 

Si bien que celui qui résiste à l’autorité se rebelle contre l’ordre établi par Dieu. Et les rebelles se feront eux-mêmes condamner. En effet les magistrats ne sont pas à craindre quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu n’avoir pas à craindre l’autorité ? Fais-le bien, et tu en recevras des éloges ; car elle est un instrument de Dieu pour te conduire au bien.

 

Mais crains, si tu fais le mal, car ce n’est pas pour rien qu’elle porte le glaive : elle est un instrument de Dieu pour faire justice et châtier qui fait le mal.

 

Aussi doit-on se soumettre non seulement par crainte du châtiment, mais par motif de conscience. N’est-ce pas pour cela même que vous payez les impôts ? Car il s’agit de fonctionnaires qui s’appliquent de par Dieu à cet office. Rendez à chacun ce qui lui est dû : à qui l’impôt, l’impôt ; à qui les taxes, les taxes ; à qui la crainte, la crainte ; à qui l’honneur, l’honneur » (Épître aux Romains 13, 1-7).

 

Ce texte est, si je puis me permettre l’expression, du pain bénit pour un homme politique : il lui suffit en effet de se réclamer de Dieu pour assimiler quiconque s’oppose à lui, non pas à un adversaire politique, mais à un ennemi de Dieu, puisque le pouvoir qu’il a, il le tient de Lui !

 

Ce formidable tour de passe-passe théologique fonctionne en clé de voûte de l’Église comme pouvoir temporel. Toute figure dépositaire d’un pouvoir, pourvu qu’elle se dise chrétienne, se trouve de facto investie par Dieu ; il faut donc s’y soumettre. Le vicaire, le prêtre, le curé, l’évêque, le cardinal, le pape bien sûr, mais aussi la hiérarchie qui conduit du soldat romain à son empereur, en passant par la gamme de toute la bureaucratie impériale, dont le receveur des impôts, voilà devant qui il faut effectuer une génuflexion. La chose est dite clairement : l’autorité est un instrument de Dieu, s’y soustraire, c’est se refuser à Dieu. On retrouve dans le texte de l’Épître cette fameuse épée, « le glaive » (13, 4). Il s’avère donc de moins en moins le symbole du martyre du saint, l’instrument de sa passion, que celui de sa puissance temporelle au nom du spirituel, l’instrument de son empire.

 

Pareil boulevard ontologique est une providence pour Constantin qui comprend bien qu’une telle doctrine est une bénédiction pour conduire seul un empire dont le pouvoir se trouve, de fait, éclaté depuis la mise en place de la Tétrarchie par Dioclétien à la fin du IIIe siècle afin de lutter contre les invasions dites barbares.

 

Avec Paul, Jésus cesse d’être un personnage conceptuel. Il revêt l’armure et prend l’épée tendue par l’apôtre.

 

La civilisation judéo-chrétienne est en ordre de marche. L’empereur va pouvoir donner le signal à l’armée chrétienne qui va alors s’ébranler. Les disciples de Paul vont sortir des catacombes pour entrer dans les palais. Les loqueteux misérables qui constituent les premiers bataillons chrétiens, Celse les raille et les décrit, vont devenir les soldats sans scrupule d’un empire devenu chrétien. Le judéo-christianisme qui fut celui des persécutés va devenir un judéo-christianisme persécuteur.

 

Ce ne sont plus les chrétiens qui, comme Étienne, vont mourir pour leur foi, ce seront les païens qui, eux, vont trépasser, à cause de leur foi qui n’est pas la bonne.

 

Onfray, Michel Décadence

Onfray, Michel. Décadence Flammarion.

Chacun connaît les pyramides égyptiennes, les temples grecs, le forum romain et convient que ces traces de civilisations mortes prouvent… que les civilisations meurent – donc qu’elles sont mortelles ! Notre civilisation judéo-chrétienne vieille de deux mille ans n’échappe pas à cette loi.

Du concept de Jésus, annoncé dans l’Ancien Testament et progressivement nourri d’images par des siècles d’art chrétien, à Ben Laden qui déclare la guerre à mort à notre Occident épuisé, c’est la fresque épique de notre civilisation que je propose ici.


On y trouve : des moines fous du désert, des empereurs chrétiens sanguinaires, des musulmans construisant leur « paradis à l’ombre des épées », de grands inquisiteurs, des sorcières chevauchant des balais, des procès d’animaux, des Indiens à plumes avec Montaigne dans les rues de Bordeaux, la résurrection de Lucrèce, un curé athée qui annonce la mort de Dieu, une révolution jacobine qui tue deux rois, des dictatures de gauche puis de droite, des camps de la mort bruns et rouges, un artiste qui vend ses excréments, un écrivain condamné à mort pour avoir écrit un roman, deux jeunes garçons qui se réclament de l’islam et égorgent un prêtre en plein office – sans parler de mille autres choses…

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